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Analyse

Quand la politique déraille

Des wagons de trains accidentés et calcinés.

Le déraillement spectaculaire à East Palestine en Ohio a permis à l'hypocrisie républicaine et à la mauvaise foi démocrate de s'exprimer.

Photo : Reuters / NTSBGov

Chaque fois que survient une catastrophe comme des ouragans ou des accidents industriels, la politique toxique se montre le bout du nez et donne l’occasion aux opportunistes d’utiliser les projecteurs d’une tragédie pour marquer des points.

Pour les républicains, East Palestine est le symbole d’une ville conservatrice victime de l’oubli et d’une gestion paresseuse par la Maison-Blanche, puisque même le président Biden n’a pas daigné se rendre sur place.

Alors que pour les démocrates, cet accident et la fuite de produits chimiques sont la conséquence du sabrage par Donald Trump dans les règles de sécurité ferroviaire mises en place par l'administration Obama qui visaient, semble-t-il, à prévenir ce type d'accident.

Un accident aux retombées politiques

Pour rappel, le train au cœur de l’accident transportait plusieurs substances toxiques, dont du chlorure de vinyle. Le 6 février, les autorités américaines ont procédé à un relâchement, puis à un incendie contrôlé de ces substances pour éviter une explosion, ce qui a engendré une colonne de fumée noire visible à des kilomètres à la ronde.

Aucun mort, heureusement, mais la population est inquiète pour la qualité de l'eau et de l'air depuis trois semaines. Il faut dire que la mort de plus de 43 700 animaux, principalement des poissons et des animaux aquatiques, à la suite de l’accident, n’est pas forcément rassurante.

L’Agence de protection environnementale américaine (EPA) a demandé à la compagnie ferroviaire Norfolk Southern de payer la facture du nettoyage du sol et de l’eau contaminée.

« Soyons clairs : Norfolk Southern va payer pour nettoyer les dégâts qu’elle a créés et pour le traumatisme qu’elle a infligé à cette population. »

— Une citation de  Michael Regan chef de l'Agence de protection environnementale américaine

Hypocrisie républicaine

Depuis, les républicains utilisent le déraillement pour affirmer que Joe Biden privilégie l’Ukraine et néglige les Américains dans le besoin chez eux.

La semaine dernière a été marquée évidemment par ce déplacement surprise du président américain à Kiev pour souligner le premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine. L’occasion aussi de démontrer la solidarité et le soutien indéfectible de son administration au gouvernement Zelensky, afin d’arriver à une fin de guerre qui a de multiples impacts sur la scène politique et économique.

Joe Biden serre la main à Volodymyr Zelensky.

La visite surprise de Joe Biden à Kiev a été perçue comme celle d'un président plus préoccupé par la scène internationale que par les soucis de ses compatriotes.

Photo : ukrainian presidential press off / Handout

Ce voyage a laissé toute la place aux républicains et aux ténors de l’extrême droite qui sont allés déverser leurs doléances et leur fiel contre la Maison-Blanche sur Fox News et consorts. Pour eux, l’occasion était trop belle d’abord de critiquer ce soutien militaire et financier à coups de dizaines de milliards de dollars, mais surtout pour dépeindre Joe Biden et ses démocrates comme des sans-cœur à l’égard des Américains qui souffrent des impacts de ce déraillement.

Et comme Joe Biden était aux abonnés absents dans cette catastrophe ferroviaire, il n’en fallait pas plus pour provoquer une des très rares sorties de l’ancien président Trump depuis son annonce de candidature à l’investiture républicaine pour 2024.

Vous n'êtes pas oubliés, a-t-il déclaré lors de sa visite à East Palestine mercredi dernier, après avoir acheté des hamburgers pour les pompiers dans un McDonald's local et avoir distribué des bouteilles d’eau de la marque Trump.

Donald Trump parle devant la presse.

L'ancien président Trump est venu apporter son soutien aux résidents de East Palestine.

Photo : Getty Images / Michael Swensen

Nous sommes restés avec vous, nous prions pour vous et nous resterons avec vous, a lancé M. Trump, rappelant les grandes lignes de son slogan America First. Donald Trump n'a cependant pas fait état de sa propre mauvaise gestion des catastrophes, comme avec l'ouragan Maria à Porto Rico en 2017 (vous rappelez-vous du lancer de rouleaux d’essuie-tout?) ou encore durant la pandémie de COVID-19.

La vedette polémiste de Fox News, Tucker Carlson, a été encore plus loin, parlant d’un village très majoritairement blanc et politiquement conservateur. Cela ne devrait pas être pertinent, mais ça l'est beaucoup, a-t-il dit avant de poursuivre en parlant de pauvres favorisés qui vivent dans des villes favorisées telles que Détroit et Philadelphie – une allusion peu subtile à des villes démocrates aux populations à forte proportion afro-américaine.

Pour en rajouter sur le sujet, Mark Levin, un animateur de radio de droite a déclaré que Joe Biden était plus préoccupé par les Palestiniens que quiconque à East Palestine, en Ohio. Biden dépense des centaines de millions de dollars pour les Palestiniens du Moyen-Orient, qui tuent des Juifs, a-t-il déclaré.

Un soutien fédéral pourtant présent

Les autorités fédérales étaient-elles si absentes du terrain, comme le prétendent les républicains depuis le début?

Je n'ai pas à me plaindre, a déclaré Mike DeWine, le gouverneur de l’Ohio. Je me plains toujours que la bureaucratie n'avance pas assez vite… Mais franchement, les gens travaillent très fort.

« Nous prenons les choses au jour le jour. Mais nous recevons l'aide dont nous avons besoin. »

— Une citation de  Mike DeWine, le gouverneur de l’Ohio

De quoi désamorcer certaines attaques républicaines, puisque Mike DeWine est un élu… républicain.

Pete Buttigieg en conférence de presse à East Palestine, Ohio

Le secrétaire aux Transports, Pete Buttigieg, a finalement visité le village de East Palestine en Ohio.

Photo : Getty Images / Michael Swensen

Pete Buttigieg, secrétaire aux Transports, est lui aussi devenu une cible de choix pour les critiques de la droite, puisqu’il s’est rendu seulement jeudi dernier sur le site de l’accident, soit un jour après Trump. Il a admis qu'il aurait pu s'exprimer plus tôt au sujet du déraillement, mais qu’il était concentré sur le fait de s'assurer que ses équipes sur le terrain étaient prêtes.

Là-dessus, le présentateur de Fox News Bret Baier a concédé que les visites de secrétaires aux Transports – dont Elaine Chao (ancienne membre du cabinet de Donald Trump) – sur les lieux de déraillements de trains étaient rares. Qui plus est lorsque les accidents ne faisaient pas de victimes.

Mauvaise foi démocrate

Dans ces dérapages politiques, les démocrates se sont également illustrés. Joe Biden, par exemple, a tweeté alors qu'il se trouvait en Europe, en reprochant à l'administration de son prédécesseur d'avoir rendu plus difficile la mise en œuvre de mesures de sécurité ferroviaire.

La Maison-Blanche a jeté le blâme sur les républicains en publiant : Arrêtez de démanteler la sécurité ferroviaire et de vendre des communautés comme East Palestine au lobby ferroviaire.

Rappelons qu’en 2015, après le déraillement mortel d'un train Amtrak roulant trop vite à l'extérieur de Philadelphie, le président Obama avait pris des mesures pour rendre obligatoire l'installation d'une technologie de freinage automatique permettant de sauver des vies d'ici 2023, et ce, malgré les protestations des plus grandes compagnies ferroviaires. En 2018, dans le cadre d'une vaste réforme de la réglementation, M. Trump a abrogé cette règle.

Et les faits alors?

Toute cette politicaillerie a fait sortir de ses gonds Jennifer Homendy, la présidente du National Transportation Safety Board.

« Assez de politique dans cette affaire, je ne comprends pas pourquoi cette affaire est devenue si politique. C'est une communauté qui souffre. »

— Une citation de  Jennifer Homendy, s'adressant aux républicains

Il y a beaucoup de désinformation sur ce qui aurait pu empêcher cela, a-t-elle ajouté. Tout le monde fait des suppositions. Ces solutions, toutes celles dont j'ai entendu parler, ne sont pas les solutions.

Jennifer Homendy en conférence de presse.

La présidente du National Transportation Safety Board, Jennifer Homendy, a dénoncé la récupération politique du déraillement de train à East Palestine.

Photo : Getty Images / Alex Wong

Elle a fait allusion à une règle qui aurait imposé des freins plus rapides sur certains trains, mais qui a été retirée en 2017 sous la précédente administration. Selon elle, ces freins n'auraient pas empêché ce déraillement ni même réduit significativement sa gravité. De quoi évidemment défaire les attaques démocrates à l’endroit de Trump et des républicains.

Loin de la politique, une réalité évidente

Défaillance mécanique, faiblesse humaine, les causes seront épluchées et validées au fur et à mesure de l’enquête qui surveillera aussi les retombées potentielles sur la santé des résidents. Plusieurs se sont plaints d'avoir été incommodés par cette fumée toxique aux propriétés cancérigènes et ont déclaré avoir des maux de tête et de gorge, de la toux et des éruptions cutanées.

Il n’en reste pas moins qu’un constat s’impose : tant les politiciens des deux bords que les institutions en prennent pour leur grade dans ce genre de dérapages. Et les citoyens deviennent de plus en plus méfiants face aux grandes entreprises.

Un homme au bord de la rue observe une colonne de fumée au loin.

Les autorités ont décidé de vider les citernes et de brûler leur contenu pour éviter une explosion, causant une gigantesque colonne de fumée.

Photo : Associated Press / Gene J. Puskar

Celles-ci ne peuvent ignorer qu’elles ont fait d'énormes compressions budgétaires qui ont affecté le nombre de salariés. Ces grandes compagnies ferroviaires auraient procédé à des réductions de personnel de 30 % entre 2016 et 2022.

Quant aux politiciens, même si leurs attaques contre leurs adversaires leur permettent d’engranger quelques points auprès de leurs partisans, les citoyens-électeurs ne sont probablement pas dupes. Ils doivent bien savoir que les grandes entreprises de transport emploient des lobbyistes aux carnets de chèques bien garnis pour faire assouplir les réglementations de sécurité et les cahiers de charges imposés par les politiciens.

Bref, la politique peut-être aussi toxique que les fumées qui surplombent les villages qui sont malheureusement le théâtre de telles catastrophes.

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