Climat malsain chez Unigym : les méthodes de l’entraîneur-chef dénoncées

Le climat au sein du groupe de haute performance d’Unigym à Gatineau soulève de nombreuses questions. Plus d’une quinzaine d’entraîneurs, de parents et d'anciens athlètes se sont confiés à Radio-Canada pour dénoncer les façons de faire de l’entraîneur-chef Dave Fallon et les interventions jugées inadéquates de la direction. L’enquête de Jonathan Jobin.
Photo : Radio-Canada / Gabrielle Drumond
« Les enfants se font crier après, ils se font dire des mauvais mots. J'étais là, jour après jour, à voir ça aller et à être secoué. En aucun moment je ne voudrais que mes enfants soient dans un environnement comme ça. »
Anic Bellerose garde un souvenir amer de son passage au sein de l’équipe compétitive d’Unigym, un des plus gros clubs de gymnastique au pays avec près de 7000 membres. L’entraîneuse a récemment quitté ses fonctions, fatiguée des méthodes utilisées, selon elle, par l’actuel entraîneur-chef, Dave Fallon, au sein du programme haute performance.
Plus d’une quinzaine d’entraîneurs, parents et anciens athlètes ont accepté de se confier à Radio-Canada. Certains ouvertement, d’autres de façon confidentielle. Ils dénoncent des comportements jugés inacceptables de la part de Dave Fallon, qui s’échelonneraient sur plusieurs années. L'entraîneur-chef est en poste depuis les débuts d'Unigym, en 2012.
On parle ici d’allégations d’abus verbal, d’abus physique, de non-respect d’un protocole de blessure et de la sécurité des athlètes d’âge mineur. Ils dénoncent également les interventions jugées inadéquates des dirigeants du club.
« D'être là, de voir ça, puis de me sentir impuissante, c'était vraiment difficile. »
Le bien-être de l'athlète, qu'il soit dans un environnement sain et sécuritaire, c’est vraiment l’important [...] J'ai réalisé qu'on était loin de ça chez Unigym
, ajoute Anic Bellerose qui entraîne maintenant chez Tumblers à Ottawa. L’entraîneuse dit elle-même avoir levé la voix à certaines occasions sous l’influence de l’entraîneur-chef Dave Fallon, comportement qu’elle dit avoir corrigé depuis.
Michaela Stevenson est une ancienne athlète qui aurait subi les foudres de l’entraîneur chef à plusieurs occasions entre 2011 et 2017.
Elle se souvient d’un épisode qui l’a marquée à l’adolescence pendant un exercice à l’entraînement, lors duquel Dave Fallon aurait utilisé la force.
« Il m'a pris par les cheveux, puis il m'a déposée sur une autre athlète parce qu'il était fâché. Mes pieds touchaient encore le sol, mais il m'a levée par les cheveux et assise sur une autre fille. »
La jeune femme se souvient qu’elle ne comprenait pas ce qui se passait et se questionnait sur l’incident. C'est pas le fun, puis je m'en rappelle que je l'ai senti dans ma tête. J'ai dit “ouch”
, explique la jeune femme, qui ne compétitionne plus, mais est encore entraîneuse chez Unigym, au volet récréatif.
L’ancien entraîneur Francis Tessier, qui a démissionné il y a quelques semaines, affirme avoir été témoin du geste. L'entraîneur a tiré chaque fille par les cheveux, boom, assise sur une autre, boom, assise sur une autre. C'était pas pour placer un mouvement ou corriger une position. Il y a des millions de façons de faire ça autrement
, s’emporte M. Tessier.
Une plainte formelle en cours
Radio-Canada a appris qu’une plainte a été déposée l’automne dernier à l'Officier des plaintes du Québec contre Dave Fallon pour son comportement envers des athlètes. Le rôle de l’Officier est de recevoir les plaintes d'abus, de harcèlement, de négligence ou de violence en vertu de la politique d'intégrité. Le processus est confidentiel et l’audience sur le cas de Dave Fallon n’a toujours pas eu lieu devant le Comité de protection de l’intégrité.
La direction d’Unigym a été contactée pour réagir à notre enquête. C’est le vice-président du conseil d’administration d’Unigym qui a répondu à nos questions.
Pascal Croteau confirme être au courant de plusieurs allégations de comportements problématiques de son entraîneur-chef depuis un an environ. Il précise que le conseil d’administration a rencontré la direction à ce sujet pour assurer la sécurité des enfants
. Le C. A. connaît le contenu de la plainte, mais ne peut pas en discuter puisqu’il doit laisser le processus suivre son cours, selon lui.
« Je pense qu'on a tous intérêt à ce que la vérité sorte. Pour prendre les bonnes décisions. »
J'accepterais pas qu'un entraîneur ou quiconque tire les cheveux de mes enfants, ça c'est certain [...] mais on parle d'allégations qu'on doit investiguer de manière rigoureuse et il y a des gens qui sont dédiés à ça
, ajoute M. Croteau, qui affirme n’avoir jamais entendu parler de cet épisode allégué avant. On s’attend à ce que l’enquête soit faite avec rigueur.
Départ de plusieurs entraîneurs
Radio-Canada a appris que le club de gymnastique a perdu coup sur coup plusieurs entraîneurs de haut niveau dans les derniers mois. Des athlètes ont aussi décidé de poursuivre leur carrière ailleurs ou d’arrêter la gymnastique dans les dernières années. C’est le cas de Geneviève Champagne, devenue enseignante après huit ans comme entraîneuse chez Unigym.
« J'ai vu des gymnastes humiliées et ridiculisées devant les autres [...] J'ai vu tellement de choses qui pour moi ne rejoignaient pas mes valeurs. »
Francis Tessier renchérit. Mes valeurs et les valeurs du club ne se rejoignent pas [...] L'atmosphère de travail est horrible
, affirme l’entraîneur de plus de 20 ans d’expérience.
La décision de quitter le club a été déchirante pour Anic Bellerose : J'ai des enfants que j'entraînais 25 heures par semaine depuis 8 ans. Je suis inquiète pour eux, pour leur avenir et leur santé mentale. Je me sens tellement impuissante
, ajoute Mme Bellerose en pleurant.
Unigym refuse de faire un lien direct entre ces récents départs et les problèmes allégués de comportements de l'entraîneur-chef.
Il y a quand même un roulement en gymnastique. Ce n’est pas unique à Unigym. Il y a plusieurs raisons. Chacun [de ces entraîneurs] a ses raisons, que ce soit d’ordre professionnel ou parce qu’il se sentent moins bien dans la situation actuelle. Il faut respecter leur choix
, précise Pascal Croteau.
Des comportements jugés inacceptables et récurrents
Tous les parents, athlètes et entraîneurs à qui nous avons parlé disent avoir été témoins de comportements de Dave Fallon jugés inacceptables, et ce, régulièrement. Je l'ai vu à plusieurs reprises crier et dénigrer des athlètes en public
, mentionne un employé qui ne souhaite pas être identifié, par peur de représailles du club.
Francis Tessier affirme avoir été témoin et victime de ce type d’agissement. Je me suis fait crier après solidement, souvent, parce qu’on avait des désaccords. J'ai vu cet entraîneur-là parler à ses supérieurs de façon insolente et irrespectueuse.
Quand tu as 11-12 ans, puis que tu te fais dire “Tu tombes à cause d'une grosse tête” ou “T'es juste une pauvre petite fille d'Aylmer, tu n'es pas bonne, tu dois arrêter la gym”, c'est des choses qui blessent
, se souvient Michaela Stevenson.
Le porte-parole d’Unigym dans cette affaire dit ne pas être au courant de ces événements précis. Il soutient toutefois que tout propos inapproprié sur l’apparence, les cris et les insultes sont inacceptables dans le gymnase du club.
Il y a une tolérance zéro de la part d'Unigym. Par le passé, il y a déjà eu des congédiements qui ont été faits pour des actions qui étaient en deçà des normes
, précise Pascal Croteau.
Selon des témoignages, des tremplins, des blocs et des bâtons de plastique auraient été lancés en direction d’athlètes. Une ancienne entraîneuse, qui ne veut pas être identifiée pour ne pas nuire à sa nouvelle carrière, se souvient d’un incident en particulier. L'athlète n'a pas été blessée, mais le geste était là
, dit-elle.
Unigym s’en remet encore une fois à l’enquête pour faire la lumière sur ce type de comportement.
La sécurité des athlètes compromise, selon des sources
Des entraîneurs rapportent aussi que Dave Fallon n'aurait pas réagi promptement pour s'assurer de la sécurité d’au moins une jeune fille sous sa responsabilité. Francis Tessier se souvient notamment d’une athlète qui s’est fracturé le pied, récemment. Selon lui, Dave Fallon aurait ri de la gymnaste, l’aurait imitée, lui aurait dit que sa blessure n’était rien et l’aurait empêchée de mettre de la glace.
Depuis 2018, une athlète qui tombe sur la tête doit être à l’écart de l’entraînement pendant 48 heures au minimum en vertu du protocole de gestion des commotions cérébrales.
Une gymnaste qui était tombée directement sur la tête, au sol, a dû retourner derrière la ligne lors d'un entraînement avec Dave Fallon, selon Geneviève Champagne. C'était une des plus jeunes du groupe à ce moment-là. Je l'ai entendu dire : ''Si tu veux t'entraîner avec les grandes, tu vas retourner derrière la ligne et tu vas recommencer. Si tu veux faire le bébé, tu vas aller à l'hôpital''
, ajoute Mme Champagne.
Il y a eu de la formation, de la sensibilisation, des affiches
, soutient Pascal Croteau, qui refuse de commenter ce cas précis, mais affirme que les protocoles sont respectés et que les entraîneurs font l’objet d’évaluations de performance.
Si des entraîneurs et des athlètes prennent la parole, c'est qu'ils s'inquiètent du bien-être et de la sécurité des jeunes filles qui continuent de s'entraîner sous les ordres de Dave Fallon.
Ça me blesse, j'ai peur pour eux. J'aime pas y penser
, s’inquiète Michaela Stevenson.
Unigym a choisi de maintenir son entraîneur-chef en poste pour l’instant.
On n'a eu aucune recommandation [du Comité de protection de l’intégrité] de démettre l'entraîneur-chef de ses fonctions. S’il l’avait fait, on l’aurait appliquée
, soutient M. Croteau qui estime que la sécurité des enfants n’est pas mise à risque. C’est pour ça qu’il a maintenu ses fonctions.
Nous avons tenté de joindre l’entraîneur-chef Dave Fallon à plusieurs reprises. Il n’a pas répondu à nos courriels ni à nos appels.
L’entraîneur a dirigé au cours des derniers jours l’équipe du Québec aux Jeux du Canada à l’Île-du-Prince-Édouard.
« Je crois que cette personne-là ne devrait pas être choisie pour une équipe de même [l’équipe du Québec]. Surtout que le club sait très bien ce qui se passe, tu comprends. »
Les interventions d'Unigym critiquées
Les interventions d’Unigym dans les dernières années sont jugées insuffisantes par plusieurs sources de Radio-Canada.
Michaela Stevenson affirme avoir envoyé une lettre à la direction en 2018, alors qu'elle était âgée de 15 ans, pour l'avertir de nombreux enjeux avec Dave Fallon. Quand je suis revenue à Gatineau, ils m'ont laissée aller [parler] toute seule avec l'entraîneur [...] C'était très difficile à mon âge de dire ce que je voulais vraiment dire
, se souvient l'ancienne athlète.
Une pétition a été lancée par des parents, en 2021, pour dénoncer plusieurs aspects de la gestion chez Unigym, sans identifier qui que ce soit. Une trentaine de personnes l’ont appuyée.
Un professionnel est venu faire une présentation sur les rôles des administrateurs et leurs responsabilités. [Les parents] ont eu l'opportunité de s'exprimer à leur manière [...] Je dois avouer qu'il y avait plusieurs éléments qui n’étaient pas clairs
, souligne Pascal Croteau, qui affirme que plusieurs enjeux ont depuis été réglés.
Par la suite, un processus d’accompagnement d’une firme externe de ressources humaines a été entamé à l’été 2022.
Un rapport de cette firme a ensuite été remis à la directrice générale de l’organisme, Jacynthe Harper, cet automne. Radio-Canada n’a pas été en mesure de le consulter.
Le vice-président du conseil d’administration d’Unigym n’a pas lu le rapport et n’en connaît pas les conclusions.
Pascal Croteau s’en remet à la directrice générale pour la suite.
« On n'est pas dans la microgestion. C’est sa gestion à elle. »
Radio-Canada avait initialement demandé une entrevue avec la direction d’Unigym, mais le conseil d’administration a délégué un de ses représentants pour répondre à nos questions.
Des parents et des entraîneurs confirment par ailleurs avoir discuté de divers enjeux reliés aux méthodes de l’entraîneur-chef avec la direction d’Unigym au cours des dernières années. Radio-Canada a mis la main sur des échanges de courriels dans lesquels ces questions sont soulevées.
Geneviève Champagne affirme avoir également interpellé le conseil d’administration lors de sa démission, sans succès. J'ai envoyé une lettre [...] en leur disant que j'avais vu des choses dans les dernières années et que je souhaitais leur parler [...] J'attends encore, six mois plus tard
, se désole Mme Champagne.
Pascal Croteau affirme que les entraîneurs démissionnaires ont été rencontrés. Geneviève Champagne maintient qu’elle attend toujours.
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De nombreux intervenants rencontrés par Radio-Canada disent ne plus avoir confiance en Unigym. Des parents estiment que le monopole du club à Gatineau est à la base de nombreux problèmes.
Je ne peux pas déménager ma fille de programme, aucun autre club n'existe à Gatineau
, confie l'un d'eux. Si je retire mon enfant du club, elle ne peut pas poursuivre en sports-études et donc, je brise son rêve
, soutient un autre.
La Ville de Gatineau a forcé la fusion des clubs de gymnastique de son territoire, en 2011. Depuis, aucune alternative ne s'offre aux enfants de la ville qui veulent faire de la gymnastique, autant compétitive que récréative.
Malgré la grogne de plusieurs anciens entraîneurs, parents et anciens athlètes, Unigym s’en remet au processus de plainte en cours au Comité de protection de l'intégrité, mais reconnaît qu’il a la responsabilité de trouver des solutions pour assurer la sécurité des enfants.
On veut une bonne enquête. On veut que la lumière soit faite. On veut que les bonnes recommandations découlent de cette enquête [...] on va les appliquer. Puis je pense que ça va être dans l’intérêt de tout le monde
, conclut Pascal Croteau.
Réalisation : Laurie Trudel