L’exploitation de pétrole lourd émettrait 3,9 fois plus de méthane que ce qui est rapporté
Des chercheurs ont quantifié les émissions de 962 installations de pétrole lourd dans les Prairies.

À la COP27, le Canada et les États-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane dans les secteurs pétrolier et gazier de 75 % d'ici 2030.
Photo : iStock / bashta
De nouvelles recherches menées avec une technologie de pointe concluent que les installations de pétrole lourd en Saskatchewan rejettent près de quatre fois la quantité d'un puissant gaz à effet de serre qu'elles déclarent au gouvernement.
L’étude a été publiée au début du mois de février (Nouvelle fenêtre) (en anglais) dans la revue scientifique Environmental Science and Technology.
Rectificatif : Dans une version précédente, La Presse canadienne affirmait que l'étude sur le méthane comprenait l'Alberta. En fait, l'Alberta n'était pas incluse dans l'étude.
Selon l'un des auteurs, Matthew Johnson, professeur d'ingénierie à l'Université Carleton, à Ottawa, les chercheurs ont utilisé de nouvelles méthodes de mesure des émissions de méthane, remettant en question les pratiques de quantification de l'industrie pétrolière.
De nombreux rapports sont fondés sur des estimations imprécises
, déplore le chercheur.
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Le méthane est un sous-produit de la production de pétrole dont le potentiel de réchauffement est 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur une période de 100 ans
, précise le gouvernement canadien dans sa stratégie sur le méthane (Nouvelle fenêtre).
L'industrie et le gouvernement fédéral tentent de réduire ces émissions de 75 %, mais il est difficile d'en quantifier l'ampleur, car ce sont des mesures difficiles à prendre
, reconnaît Matthew Johnson.
L'industrie estime le volume de méthane émis en mesurant la quantité de méthane qui remonte à la surface durant le processus de production d'un baril de pétrole. Cette estimation est ensuite multipliée par le nombre de barils produits.
Matthew Johnson affirme que la quantité de méthane produite par baril de pétrole est très variable, ce qui rend les calculs basés sur ce rapport peu fiables.
En effet, ces dernières années, plusieurs études utilisant un système de quantification à partir d'avions qui survolent les sites d'extraction ont remis en cause la méthode de calcul de l'industrie pétrolière.
Pour mieux quantifier le volume de méthane produit par l’industrie pétrolière, les chercheurs de l'étude ont utilisé la plus récente technologie aéroportée et des capteurs au sol pour mesurer les émissions de méthane de 962 installations de pétrole lourd en Saskatchewan.
Chaque technique a fait l'objet d'une vérification indépendante. Je pense qu'il s'agit de la méthode la plus robuste que l'on puisse raisonnablement mettre en œuvre
, estime Matthew Johnson.
Ils ont découvert que ces sites rejettent 3,9 fois plus de méthane que ce que mentionnent les données gouvernementales. Cela représente des émissions de 10 000 kilogrammes de méthane par heure, par rapport aux estimations de l'industrie, qui sont d’environ 2700 kilogrammes par heure.
Cette étude faisait partie d'un effort pour essayer de mieux comprendre les émissions de méthane au Canada. Nous ne nous attendions pas à voir un facteur de 3,9. Personne ne veut voir ça
, explique le professeur.
Le méthane, à lui seul, serait une contribution importante à l'ensemble des émissions de la Saskatchewan
, dit Matthew Johnson.
L'importance d'être précis
Le chercheur affirme qu'il est important d'obtenir une idée précise de la quantité de méthane rejetée dans l'atmosphère par l'industrie pétrolière pour plusieurs raisons.
L'industrie et le gouvernement fédéral ont convenu de réduire ces émissions de 75 % d'ici 2030. Des règlements pour atteindre cet objectif sont attendus cette année et il est crucial, dit Matthew Johnson, de quantifier cette réduction depuis une base précise.
Le chercheur précise que l'obtention d'une analyse fiable des émissions, puits par puits, sera importante pour l'industrie à l'avenir. Aux États-Unis, notamment, le gouvernement envisage de mettre un prix sur le méthane rejeté en vertu de sa loi sur la réduction de l'inflation. Selon un rapport explicatif du Congrès américain, une tonne de méthane coûtera 900 dollars américains en 2024, et 1500 dollars américains, en 2026.
Matthew Johnson explique qu'il est essentiel d'avoir de bonnes informations pour savoir quels puits restent rentables à mesure que de tels régimes de prix se répandront.
« Si on ajoute un prix sur le méthane, beaucoup de ces puits ne seront pas rentables. »
De son côté, le membre du conseil d’administration de la Société environnementale de la Saskatchewan, Peter Prebble, souligne l’importance de la réduction des émissions de méthane pour faire face au changement climatique.
Nous aimerions que de bien meilleurs moyens soient pris afin de mesurer avec précision les émissions de méthane. La province devrait investir dans ce domaine de manière significative et envoyer des inspecteurs sur toutes les installations
, précise-t-il.
La directrice générale de gestion des ressources au ministère saskatchewanais de l'Énergie et des Ressources, Debby Westerman, indique que le gouvernement provincial va déployer des efforts afin d’apporter les améliorations nécessaires.
Ces puits sont très spécifiques et contiennent du gaz à des taux très intermédiaires et très faibles, ce qui les rend très difficiles à mesurer. Il n'est donc pas surprenant que si vous prenez un échantillon à un moment donné, il puisse être supérieur ou inférieur à la moyenne
, affirme-t-elle.
Elle ajoute qu’en 2020, le ministère a fait certaines modifications pour améliorer la méthode de mesure des émissions de gaz et qu'il est ouvert à apporter de nouvelles améliorations dans le futur.
Avec les informations de Bryanna Frankel et de la Presse Canadienne