Les mauvaises communications sur la COVID-19 ont aussi contribué à animer le « convoi »
La tâche du juge Rouleau consistait aussi à explorer ce qui avait contribué à la grogne populaire qui a poussé des milliers de Canadiens à envahir les rues autour de la colline du Parlement et à bloquer des passages frontaliers. (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Selon le juge Paul Rouleau, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a envenimé une situation déjà difficile en gérant de bien mauvaise façon l'annonce des passeports vaccinaux obligatoires pour les camionneurs au début de l'année dernière au moment où la colère grondait déjà et que de fausses informations circulaient à propos de la pandémie.
Son rapport de plus de 2000 pages, publié vendredi dernier, conclut surtout que le gouvernement libéral fédéral a bien fait d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence l'hiver dernier pour répondre aux manifestations du convoi de la liberté
au centre-ville d'Ottawa.
Cependant, la tâche du juge Rouleau consistait aussi à explorer ce qui avait contribué à la grogne populaire qui a poussé des milliers de Canadiens à envahir les rues autour de la colline du Parlement et à bloquer des passages frontaliers.
Le juge Rouleau a fondé ses conclusions sur des centaines d'heures de témoignages et sur des milliers de documents soumis en preuve lors des audiences de la Commission sur l'état d'urgence, l'automne dernier.
Au-delà des considérations politiques et policières, le rapport final indique aussi que même si l'enquête de la Commission n'était pas axée sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19, les Canadiens ont ressenti de la confusion face aux communications des autorités.
Le juge Rouleau signale ainsi une erreur commise par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 12 janvier 2022. L'ASFC
a publié une déclaration indiquant que les camionneurs canadiens non vaccinés n'auraient pas besoin de se mettre en quarantaine à leur retour au pays.Or, dès le lendemain, les ministres fédéraux de la Santé, des Transports et de la Sécurité publique ont déclaré que l'annonce de l'ASFC
était erronée et que tous les camionneurs étaient soumis à l'obligation vaccinale, rappelle le commissaire.Ce flou dans les messages du gouvernement [...] n'a fait qu'exacerber les sentiments négatifs entourant les nouvelles règles frontalières, écrit le juge Rouleau. Dans certains milieux, le "camionneur” est devenu le symbole des Canadiens qui travaillent fort et qui, malgré leurs contributions à la société, voyaient leur vie et leur gagne-pain bouleversés par la réglementation gouvernementale sur la COVID-19. Ce narratif a été un facteur qui a contribué à animer le "convoi de la liberté"
, estime le commissaire.
Désinformation
M. Rouleau conclut aussi que la diffusion, à la fois intentionnelle et non intentionnelle, de fausses informations sur la vaccination et sur le rôle des gouvernements dans la lutte pour endiguer la pandémie ont joué un rôle majeur dans la formation et l'organisation des manifestations.
Les médias sociaux ont aussi servi d'accélérateurs à la mésinformation et à la désinformation
, souligne le juge.
Il rappelle que des informations inexactes ont même été entendues lors des audiences de la Commission, certains leaders du convoi
ayant exprimé ce qu'il a appelé des points de vue plus clairement conspirationnistes
lors de leur témoignage.
Il cite ainsi James Bauder et Patrick King, qui font tous deux face à des accusations criminelles liées aux manifestations.
De fausses croyances selon lesquelles les vaccins contre la COVID-19 manipulent les gènes d'une personne, des flux de médias sociaux regorgeant de contenus homophobes ou racistes ainsi que des comptes rendus inexacts d'événements importants ont tous fait l'objet de témoignages devant moi
, écrit le juge Rouleau.
La vitesse à laquelle des informations incorrectes peuvent se propager a également été mise en évidence par la réaction au rapport Rouleau lui-même puisque de fausses allégations ont circulé en ligne selon lesquelles le juge de la Cour d'appel de l'Ontario était un parent du premier ministre Justin Trudeau.
Confusion compréhensible
En ce qui concerne les restrictions sanitaires proprement dites, qui ont presque toutes été levées l'année dernière, le juge Rouleau admet volontiers qu'elles ont imposé de véritables difficultés aux Canadiens [...] quels que soient leurs mérites
.
Toutefois, alors que certains Canadiens ont réagi avec colère à l'existence de ces règles, le juge a constaté que certaines des règles mises en œuvre par les gouvernements ont provoqué une confusion compréhensible
au sein de la population.
En rétrospective, les règles interdisant aux enfants de jouer dans des aires de jeux extérieures semblent contre-productives compte tenu de ce que l'on sait maintenant sur le mode de propagation de la COVID-19
, rappelle le juge.
De même, les règles qui permettaient aux grandes surfaces de rester ouvertes tout en exigeant la fermeture des petits commerces qui vendaient plusieurs produits identiques étaient difficiles à comprendre ou à expliquer
.
Le juge ajoute enfin qu'à une époque où la pandémie a contraint de nombreuses personnes à vivre leur vie en ligne
, il n'est pas surprenant que les médias sociaux aient été activement utilisés comme moyen pour les gens d'exprimer leur mécontentement à l'égard des actions du gouvernement
.
Une des 56 recommandations de la Commission demande d'ailleurs à tous les ordres de gouvernement de poursuivre l'étude de l'impact des médias sociaux sur la société canadienne, y compris la mésinformation et la désinformation
.