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Invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, une décision appropriée, selon le juge Rouleau

Le juge Paul Rouleau.

Le juge Paul Rouleau a présidé la Commission sur l'état d'urgence. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Le gouvernement fédéral avait raison d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux manifestations antimesures sanitaires qui sévissaient il y a un an un peu partout à travers le pays. C’est la principale conclusion à laquelle arrive le commissaire Paul Rouleau, qui présidait la Commission sur l’état d’urgence, dans un volumineux rapport déposé aujourd’hui au Parlement fédéral, qui comprend plus de 56 recommandations.

Lors de l’une des tables rondes sur les politiques de la Commission, Leah West, professeure de l’Université Carleton, a décrit les événements qui ont mené à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence comme un échec du fédéralisme. Je trouve, hélas, que cette description est juste.

Ces mots percutants ne constituent qu’un des nombreux constats d'échec dressés par le commissaire Paul Rouleau dans la première partie de son rapport. Une plus grande collaboration à l’échelle politique dès le début aurait pu aider à résoudre les problèmes de communication, de compétence et de ressources qui ont entravé les premières réactions aux manifestations.

Un homme tient une pancarte contre le passeport vaccinal lors du convoi des camionneurs à Ottawa.

Les manifestants ont pris d'assaut les rues d'Ottawa par opposition, entre autres, au passeport vaccinal. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / Spencer Platt

Le juge Paul Rouleau a interrogé 76 témoins et consulté des milliers de documents pour évaluer si le gouvernement Trudeau avait eu raison ou non d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022. L'objectif était de mettre fin aux manifestations de camionneurs, notamment au centre-ville d’Ottawa.

« À mon avis, des renseignements crédibles et convaincants permettaient de croire raisonnablement que la définition de menaces envers la sécurité du Canada était respectée. »

— Une citation de  Rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré en 2022, vol. 1

La déclaration de l'état d'urgence accordait des pouvoirs extraordinaires aux gouvernements, à la police et aux institutions financières pour limiter les droits des manifestants à la liberté de réunion, geler les comptes bancaires et obliger les entreprises privées à collaborer avec les autorités, le tout dans le but de mettre un terme aux manifestations.

D’après mon évaluation de la situation selon la compréhension que le Cabinet en avait, je suis convaincu qu’il existait un fondement factuel convaincant et crédible qui étayait objectivement une croyance raisonnable que la vie, la santé et la sécurité des Canadiens étaient gravement en danger, écrit le juge Paul Rouleau dans son analyse.

Il fait état de forces de l’ordre au bord du point de rupture un peu partout à travers le pays, quelques jours avant l’invocation de la Loi.

Le Service de police d’Ottawa (SPO) est sévèrement blâmé dans l’analyse du juge Rouleau. Une grande partie du désordre à Ottawa était le résultat de la croyance erronée du SPO concernant la durée des manifestations, juge le commissaire.

« Je n’ai aucune hésitation à accepter que le Cabinet avait la conviction subjective qu’il était confronté à un état d’urgence. »

— Une citation de  Rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré en 2022, vol. 1

Le gouvernement Ford est aussi écorché pour ne pas avoir participé à la Commission d’enquête, en alléguant son privilège parlementaire. La Commission aurait grandement bénéficié de la perspective que leur témoignage aurait pu apporter, note le juge Rouleau.

Des manifestants devant le parlement d'Ottawa.

Le juge Paul Rouleau a interrogé 76 témoins et consulté des milliers de documents pour évaluer si le gouvernement Trudeau avait eu raison ou non d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

L’idéologie des manifestants, critère déterminant

Le caractère idéologique des manifestations a été déterminant dans l’analyse du juge Rouleau. Selon lui, la présence dans les manifestations d’extrémistes motivés par une idéologie, dont plusieurs avaient été désignés par le SCRS comme des sujets d’enquête, est pertinente dans le contexte.

En évaluant l’exigence relative à la menace, il est important de ne pas perdre de vue l’élément du ''but''. Seules les menaces de violence grave qui peuvent raisonnablement être considérées comme ayant pour but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique sont pertinentes dans l’analyse du recours à la Loi sur les mesures d’urgence, explique le commissaire.

Il note cependant que les revendications idéologiques d’une manifestation ne suffisent pas, à elles seules, à déterminer qu’une manifestation constitue une menace envers la sécurité du Canada.

Le droit de manifester contribue à assurer la sécurité du Canada, mais la situation que le Canada a connue en février 2022 n’était pas une manifestation pacifique et licite, soutient le juge Rouleau. Le seuil d’invocation est le moment où l’ordre s’effondre et la liberté ne peut être assurée ou est gravement menacée. À mon avis, ce seuil a été atteint en l’espèce.

Le SCRS et le Cabinet : deux entités souveraines

Au moment des audiences publiques, beaucoup a été dit sur la déclaration du directeur du SCRS, selon laquelle les manifestations ne constituaient pas, à son sens, une menace à la sécurité nationale.

Toutefois, le juge Rouleau rejette cette analyse dans le contexte d’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. La Loi sur le SCRS et la Loi sur les mesures d’urgence sont des régimes différents qui fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, avance le commissaire.

Celui-ci cite notamment le témoignage du ministre David Lametti qui, lors des audiences publiques de la Commission, était d’avis que ce que le SCRS fait, c’est déterminer si un seuil est atteint aux fins d’enquêtes plus poussées. [...] Le décideur est différent, et les contributions peuvent être beaucoup plus larges lorsque vous êtes membre du Cabinet, lorsque vous prenez une décision en tant que gouverneur en conseil.

Le ministre Lametti témoignant devant la commission Rouleau.

David Lametti avait dit que le secret professionnel de l'avocat l'a empêché de dévoiler les bases juridiques sur lesquelles repose la décision du gouvernement fédéral d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Une crise économique est-elle une crise de sécurité nationale?

Si un doute existait sur la question de savoir si les impacts économiques que subissait le Canada du fait des manifestations constituaient une menace à la sécurité du pays, le juge Rouleau estime néanmoins qu’ils sont pertinents dans son analyse.

Je reconnais que la Loi sur les mesures d’urgence n’était pas destinée à s’appliquer aux crises économiques. En soi, les coûts financiers et les impacts commerciaux ne sont pas suffisants et je ne les ai pas pris en compte comme tel, juge le commissaire.

Cependant, les conséquences sur la santé humaine et la sécurité publique qui peuvent découler d’une perturbation grave, soudaine, prolongée et délibérée de la sécurité économique et de la capacité de gagner sa vie sont pertinentes, remarque-t-il.

Bannière de la commission d'enquête sur l'état d'urgence.

D’autres moyens pour juguler la crise?

Le commissaire juge que le gouvernement fédéral a abattu un travail considérable pour trouver des solutions dans le cadre législatif canadien sans recourir à la Loi sur les mesures d’urgence. Il cite nommément les mécanismes prévus au Code criminel canadien, mais relève les doutes qu’entretenaient les autorités à cet égard.

Il était évident que les forces de l’ordre entretenaient de sérieuses craintes en ce qui concerne l’exercice de ces pouvoirs, notamment sur la question de savoir si la prise de mesures coercitives entraînerait des risques inacceptables pour la sécurité des policiers, des manifestants et des passants, précise le juge Rouleau.

Or, d'après le commissaire, c’est justement le travail en amont du gouvernement fédéral pour trouver des solutions à l’intérieur des lois canadiennes qui a permis de cerner les lacunes en matière d’autorité qui nécessiteraient la prise de mesures temporaires spéciales.

Deux hommes dans un jacuzzi en plein coeur du centre-ville d'Ottawa.

Les images de ces deux hommes dans un jacuzzi dans les rues d'Ottawa ont marqué le convoi des camionneurs, l'hiver dernier, à Ottawa. (Photo d'archives)

Photo : AFP via Getty Images/JOE KLAMAR

La crise nationale qui doit exister pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence implique aussi qu’une province n’a pas la capacité ou le pouvoir d’y faire face. Dans son analyse, le juge Rouleau croit que cette exigence est remplie.

Par définition, les convois étaient mobiles, écrit-il. Certaines provinces touchées avaient fait part de leur incapacité à gérer la situation.

La décision d’invoquer la Loi était appropriée, conclut le juge Rouleau.

Quelques recommandations du juge Rouleau :

  • Établir des protocoles d’échange d’information, de collecte de renseignements et de distribution;
  • Nommer un seul coordonnateur national du renseignement pour les événements majeurs de dimension nationale, interprovinciale ou interterritoriale;
  • Élaborer des protocoles relatifs aux demandes de ressources policières supplémentaires;
  • Créer des normes nationales de maintien de l’ordre en contexte d’événements majeurs;
  • Répertorier rapidement les infrastructures et les corridors de transport commercial essentiels et établir des protocoles pour les protéger;
  • Supprimer « l’incorporation par renvoi dans la Loi sur les mesures d’urgence de la définition de "menaces envers la sécurité du Canada" de la Loi sur le SCRS »;
  • Ajouter à la Loi de l’obligation de consulter les territoires.

    Source : Rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré en 2022

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