Iran : où en est le mouvement de contestation cinq mois plus tard?
Les manifestations ont peut-être baissé en intensité, mais l’opposition s’organise pour « l’après-révolution », estiment des experts.

Plus de 500 manifestants iraniens ont été tués depuis le 16 septembre 2022, selon diverses organisations de défense des droits de la personne.
Photo : Getty Images / AFP/ROBERTO SCHMIDT
Il y a cinq mois jour pour jour, Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, est décédée en détention à Téhéran trois jours après son arrestation par la police des mœurs pour port « inapproprié » du voile islamique, ce qui a déclenché un mouvement de protestation inédit dans tout le pays.
Les manifestations, qui visaient d'abord à dénoncer les agissements de la police, se sont très vite transformées en protestations contre le régime des mollahs, au pouvoir depuis 44 ans.
Les images de femmes brûlant leur voile ou se coupant les cheveux en pleine rue sous le slogan phare Femme, vie, liberté
ont fait le tour du monde, marquant le début de ce mouvement qui a gagné aussi bien les grandes villes du pays, comme Téhéran, que les coins plus éloignés.
Ont ensuite retenti les cris de Mort au dictateur!
en référence au guide suprême Ali Khamenei, qui détient le véritable pouvoir dans la République islamique d’Iran.
Aujourd’hui, les observateurs notent que les manifestations dans les rues ont faibli en intensité, mais tous les experts interrogés par Radio-Canada assurent que ce mouvement n’est pas mort pour autant. Ils affirment que l’opposition, notamment à l’étranger, s’organise pour la suite des choses.
Le mouvement révolutionnaire se trouve dans une impasse
, explique Ali Fathollah-Nejad, expert de l'Iran à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth. Ni le régime ni les manifestants ne parviennent à avoir le dessus pour le moment.
Cet hiver, le nombre de manifestations dans les rues a nettement chuté, à l'exception de manifestations organisées après la prière du vendredi dans la province du Sistan-Baloutchistan, dans le sud-est du pays
, précise-t-il. Selon lui, deux explications sont possibles : le froid hivernal et la répression brutale
des autorités contre les manifestants.
Plus de 500 morts en cinq mois
L'hiver en Iran est réputé pour être particulièrement rude avec des températures glaciales qui descendent souvent au-dessous de zéro. La répression s'est elle aussi avérée particulièrement rude avec plus de 500 manifestants tués en cinq mois, selon le groupe de défense des droits de la personne HRANA, basé aux États-Unis.
L'ONU a également dénombré 14 000 arrestations depuis le début du mouvement et, selon l'ONG norvégienne Iran Human Rights, au moins 109 personnes risquent d'être exécutées en rapport avec les manifestations, en plus des quatre qui ont déjà été pendues.
Le mouvement est bien vivant et les protestataires vont revenir en force
dans la rue, prédit Hadi Ghaemi, directeur du Centre pour les droits de la personne en Iran (CHRI), basé à New York. Il explique que les raisons qui ont mené au déclenchement du mouvement de contestation n’ont toujours pas été abordées par les autorités.
« Il n’y a plus de retour en arrière possible pour les Iraniens. Le régime peut donner l'impression de maîtriser la situation, mais il n’a plus aucune légitimité aux yeux du peuple. »
Selon M. Ghaemi, le mouvement est désormais entré dans une nouvelle phase, celle de la réflexion stratégique et de la planification
. Pour moi, c'est un signe de maturité politique
, dit-il en rappelant que l’Iran a déjà connu plusieurs mouvements de protestation au cours des dernières années, axés notamment sur des revendications économiques.
M. Ghaemi rappelle aussi que le régime des mollahs s’est emparé du pouvoir en Iran à la suite d’une révolution déclenchée en 1979 pour renverser le shah Mohammed Reza Pahlavi, qui a ensuite été contraint à l’exil. En 1979, la révolution est parvenue à faire chuter la monarchie, mais nous nous sommes retrouvés avec un régime qui est bien pire à divers égards
, explique-t-il. Il faut tirer des leçons de cette expérience ainsi que d’expériences plus récentes dans la région, où on a vu des gouvernements tomber pour laisser la place à de nouvelles dictatures.
Retour des manifestations au printemps?
Pour M. Fathollah-Nejad, il faut s’attendre à ce que les manifestants réinvestissent les rues au printemps, compte tenu de la grave crise économique qui plane sur le pays, avec une perte de valeur sans précédent de la monnaie nationale et des taux d'inflation supérieurs à 50 %
.
« Comme nous l’avons vu par le passé, les protestations alimentées par les problèmes socioéconomiques sont susceptibles de prendre assez rapidement une tournure politique et anti-régime. En d'autres termes, le processus révolutionnaire se poursuivra, compte tenu du gouffre probablement impossible à combler entre le régime et le peuple. »
Le peuple iranien ne veut plus de ce régime : le message ne pouvait pas être plus clair
, affirme la chercheuse iranienne et militante pour les droits des femmes Parvaneh Hosseini dans un entretien avec Radio-Canada. Les gens veulent non pas des réformes mais un véritable changement de fond en comble.
Selon Mme Hosseini, la lutte des femmes en Iran contre le port obligatoire du voile islamique ne date pas d'hier. Ces femmes ont acquis une certaine expérience avec le temps alors que le voile représente un pilier important de ce régime, comme un fanion pour la République islamique
, dit-elle.
D’ailleurs, ajoute-t-elle, le slogan Femme, vie, liberté
est en soi un slogan révolutionnaire
. Ce slogan ne fait pas uniquement référence aux femmes iraniennes, il représente aussi toutes les personnes marginalisées, stigmatisées ou discriminées en Iran
, explique Mme Hosseini, qui donne comme exemple les multiples groupes ethniques ou religieux minoritaires dans le pays.
Pas de révolution « sans unité »
Toutefois, si le mouvement semble essoufflé dans les rues, il reste bien actif sur les réseaux sociaux, malgré les restrictions imposées par le régime sur différentes plateformes, dont Instagram, qui est très populaire en Iran.
Interrogé par Radio-Canada, un activiste iranien basé aux États-Unis, qui préfère ne pas dévoiler son nom pour protéger sa famille toujours établie en Iran, affirme que le régime utilise des tactiques différentes pour diviser l’opinion publique et pour discréditer les activistes en ligne en semant la méfiance envers eux
.
Selon lui, certains militants en ligne, dont lui-même, ont été accusés d’être des séparatistes ou des monarchistes ou encore des pions à la solde du régime.
« Les Iraniens commencent à se sentir déçus parce qu’ils ne voient pas d’issue. Il faut renforcer l’unité, car sans unité, il ne peut pas y avoir de révolution. »
Il indique par ailleurs que même les activistes qui se trouvent à l’étranger ne sont pas en sécurité. Fin janvier, les autorités américaines ont annoncé l’arrestation et l’inculpation de trois personnes pour avoir tenté d’assassiner aux États-Unis la journaliste et militante Masih Alinejad à la demande de Téhéran.
Masih Alinejah, 45 ans, qui a dû quitter son pays en 2009, est connue depuis 2014 pour avoir lancé sur les réseaux sociaux le mouvement MyStealthyFreedom
(Ma liberté furtive
), qui encourage les femmes iraniennes à protester contre l’obligation du port du voile dans leur pays.
Avec 500 000 abonnés sur son compte Twitter et plus de huit millions d'abonnés sur Instagram, où elle relaye par dizaines chaque jour des photos ou des vidéos parfois violentes de la répression, elle est devenue une des porte-voix du mouvement de protestation depuis cinq mois.
Des opposants de la diaspora s'organisent
Vendredi dernier, Mme Alinejad s’est réunie à Washington avec sept autres figures importantes de l’opposition iranienne de la diaspora, notamment le fils du shah Reza Pahlavi, la lauréate iranienne du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, le président de l'association qui représente les familles des victimes du vol PS752, le Canadien Hamed Esmaeilion, ainsi que les actrices Nazanin Boniadi et Golshifteh Farahani, le capitaine de l'équipe nationale iranienne de football, Ali Karimi, et le secrétaire général du parti kurde iranien, Komala Abdullah Mohtadi.
Le groupe a ainsi voulu afficher un front uni face au régime iranien, affirmant travailler sur une feuille de route
qui doit être présentée au public dans quelques semaines.
Nous travaillons à l'élaboration d'une charte commune qui intègre les revendications du peuple, quelque chose qui s'appuie sur la Déclaration des droits de la personne, sur l'égalité, qui accepte l'intégrité territoriale de l'Iran, et cela réaffirme la décentralisation du pouvoir
, a déclaré Masih Alinejad à l’issue de cette rencontre organisée par le Georgetown Institute for Women, Peace and Security.
Nous ne sommes peut-être pas d'accord sur tout, mais ce qui est important, c'est de ne pas perdre notre élan
, a pour sa part déclaré Reza Pahlavi.
« Notre seul ennemi est la République islamique. Nous avons prouvé que notre révolution est une révolution d'empathie et d'unité. Ce que nous voulons, c'est la liberté et l'égalité. »
Les révolutions connaissent des hauts et des bas... Parfois, les révolutions peuvent échouer, mais elles reviennent avec des vagues plus fortes
, a conclu Hamed Esmaeilion. Les gens sont très en colère et attendent la prochaine vague. La prochaine vague va arriver et elle sera plus imposante.
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Avec les informations de Agence France-Presse, et Reuters