La Côte-Nord se vide : le fly-in fly-out montré du doigt
La population de la Côte-Nord baisse et de plus en plus d’emplois sont pourvus par des travailleurs navetteurs. Le phénomène amplifierait d’ailleurs l’exode de la région.

Un paysage de la Côte-Nord
Photo : Radio-Canada / Jean-Sébastien Cloutier
L'an dernier, la Côte-Nord a été la seule région du Québec à voir sa population diminuer. Une centaine de résidents en moins, selon l'Institut de la statistique du Québec. Rien de dramatique, mais pour une région qui en compte seulement 90 405 et qui se vide goutte à goutte, la nouvelle n'est pas passée inaperçue.
Parmi les facteurs qui expliquent la tendance, il y en a un qui revient souvent : le navettage, communément appelé fly-in fly-out, le terme qui désigne ces travailleurs qui vont sur la Côte-Nord seulement à temps partiel pour travailler.

Gabrielle Tremblay-Lussier profite des beautés de la Côte-Nord.
Photo : Radio-Canada / Jean-Sébastien Cloutier
Gabrielle Tremblay-Lussier est une de ces personnes : Moi, je suis une opportuniste, professionnellement, c'est sûr!
Infirmière sur les avions d’urgence médicale de la région, la femme de 33 ans accompagne les patients de petits villages isolés vers Blanc-Sablon ou Sept-Îles, où plus de services sont disponibles pour eux. Un métier qui n'a rien de banal à l'image de sa vie.
Gabrielle a un pied-à-terre à Blanc-Sablon quand elle travaille, mais elle continue de vivre dans le Grand Montréal. Elle a trouvé son emploi via une agence privée des Basses-Laurentides.
Le fly-in fly-out out, ça permet d'avoir beaucoup de temps libre. On est appelés à travailler beaucoup, très intensément, sur des courtes périodes de temps pour, après ça, être complètement maître de notre temps.

Jadis associé à l’industrie minière, le fly-in fly-out s’est étendu dans la région faute de main-d'œuvre locale. En janvier, 525 employés du Centre de santé et de services sociaux de la Côte-Nord – près de 20 % des travailleurs – étaient de la main-d'œuvre dite indépendante comme Gabrielle, en majorité des employés qui font du navettage.
D'ailleurs, heureusement que cette solution existe pour pourvoir les postes, sans quoi plusieurs services seraient menacés au CISSS. Sauf que pour les communautés de la Côte-Nord, le fly-in fly-out est aussi vu comme un problème.
C'est mortel pour une ville comme Sept-Îles, pour une région comme la Côte-Nord, que des gens de l'extérieur viennent travailler. Que ce soit sur des horaires de 7/7 ou de 14/14, ça ne contribue pas au tissu social et à l'économie d'une ville.
Gabrielle dit avoir le meilleur des deux mondes en faisant du navettage : d'un côté, la proximité de ses proches et les avantages de la grande ville. De l'autre, la pratique d'un métier qu'elle aime et l'accès à la nature et aux grands espaces.
Le maire de Sept-Îles respecte ce choix de vie : Moi, je n'ai rien contre eux. Cependant, est-ce qu’il y a un cadre législatif ou réglementaire qui pourrait être adopté, qu'est-ce qui peut être fait pour favoriser les gens à revenir en région? Est-ce qu’une aide financière peut être apportée aux municipalités qui sont ciblées dans certaines régions éloignées? Par exemple, pouvoir donner un congé de taxe la première année?
En attendant, Steeve Beaupré, comme d'autres élus locaux, travaille sur ce qu'il peut contrôler. Un nouvel aréna et un nouveau skatepark verront le jour l'an prochain à Sept-Îles. Des terrains ont été cédés à des CPE pour plus de places en garderie, des campagnes de promotion sont aussi faites pour promouvoir la qualité de vie et la nature de la Côte-Nord. La clé est d'attirer et de garder les jeunes.

La région de la Côte-Nord a vu sa population baisser en 2022.
Photo : Radio-Canada / Jean-Sébastien Cloutier
Des logements chers et rares
Le fly-in fly-out exacerbe aussi la pénurie de logements; un autre problème qui nuit à la région. Les milliers d'employés qui travaillent à temps partiel sur la Côte-Nord doivent être hébergés, alors que, déjà, les propriétés à louer ou à vendre sont rares. Un logement de quatre pièces et demie à Sept-Îles se loue facilement plus de 1000 $. Encore faut-il en trouver un.
Dans les dernières années, on a senti peut-être une pression s’accentuer au niveau du fly-in fly-out, et là, on commence à le sentir avec un déséquilibre au niveau de nos capacités de logements
, s'inquiète Paul Lavoie, directeur général de Développement économique Sept-Îles.
Sa mission est d'attirer les investisseurs. Il fait du logement sa priorité. Il faut un espace de discussion entre les entreprises qui ont besoin de loger des employés et les promoteurs immobiliers qui seraient intéressés à construire, à condition justement d'avoir, par exemple, des garanties de location. Notre objectif, c'est de provoquer de nouvelles constructions pour donner de l'oxygène au système.
Préfet de la MRC des Sept-Rivières, Alain Thibault rappelle que le coût des matériaux de construction a explosé, particulièrement sur la Côte-Nord, ce qui nuit aussi au développement. Il faut qu'il y ait des programmes au niveau du gouvernement pour nous aider là-dedans. La ville ne peut pas devenir promoteur immobilier, puis commencer à arriver puis bâtir des blocs appartements!
Alain Thibault est aussi maire de Port-Cartier. Sa ville vit un déclin démographique avec une population de quelque 6500 personnes et elle n'a même pas de résidence pour personnes âgées. On parle de perte démocratique là, ben actuellement, on essaie de trouver un promoteur qui va venir investir ici à Port-Cartier. On n’en a même pas! On ne demande pas la terre puis la lune, on veut avoir de l'aide pour pouvoir bâtir ça.

Alain Thibault, maire de Port-Cartier
Photo : Radio-Canada / Jean-Sébastien Cloutier
Québec bien conscient du problème
Kateri Champagne Jourdain, la ministre de l'Emploi et ministre responsable de la Côte-Nord, connaît bien la problématique du navettage qui fait parler depuis des années là-bas.
Originaire de la région et encore résidente, elle assiste à la baisse démographique et sait bien que ses causes sont nombreuses. Le défi est d'abord de promouvoir la beauté et la qualité de vie de ce coin du Québec assez méconnu. Si on veut amener des gens à s'installer sur la Côte-Nord, donc à réduire les effets néfastes du navettage et développer nos milieux de vie, il faut être en mesure d'offrir des services essentiels, d'offrir du logement, des places en services de garde. Cette attractivité-là passe [aussi] par le désenclavement de notre région.
Elle mentionne l'amélioration du transport aérien et le prolongement de la 138 vers Blanc-Sablon comme solutions au désenclavement.