Que penser de la barbe?

L'animateur Joël Le Bigot a adopté la barbe tôt dans sa carrière. Notre photo le montre à la barre de l'émission « Science Réalité » en 1976
Photo : Radio-Canada / Jean-Pierre Karsenty
Pourquoi certains hommes se laissent-ils pousser la barbe plutôt que de la raser? Des journalistes de Radio-Canada se sont attardés à cette question ainsi qu’à la perception des barbus qui semble avoir changé au Québec entre les années 1960 et 1980.
Avez-vous déjà été embrassée par un barbu? C’est la question que pose le journaliste Pierre Bourdon, pour l’émission Femme d’aujourd’hui du 12 septembre 1966, à des passantes qu’il croise dans une rue de Montréal.

Extrait remanié d'un vox pop dans lequel des femmes répondent à la question « Avez-vous déjà été embrassée par un barbu? ».
Nombre de femmes accostées par le journaliste jugent sa question trop indiscrète. D’autres répondent tout bonnement ne pas en avoir eu l’occasion. Se raser la barbe est la norme à l’époque pour les hommes. Je n’y tiens pas, je n’aime pas ça
, précise une passante interviewée, tandis qu’une autre grimace simplement à l’évocation de cette idée.
Celles qui ont expérimenté le baiser d’un barbu font la distinction entre une barbe qui n’est pas faite et une barbe entretenue. La première pique et la seconde chatouille.
La barbe, à une certaine longueur, c’est beaucoup plus doux
, confirme la comédienne Michelle Rossignol que le journaliste croise en compagnie de son compagnon Michel Garneau. J’ai une lèvre mince et cruelle, c’est pour la cacher
, invoque le poète barbu.

Reportage de Louise Racicot sur les raisons qui motivent les hommes à se laisser pousser la barbe.
« C'est beau des barbes, je trouve ça joli! »
Il semble que le vent ait tourné pour les barbus dans les années 1980 au Québec. Je trouve ça beau, masculin, viril
, exprime une femme interviewée pour l’émission Au jour le jour du 10 mars 1986. Un avis qui paraît partagé par bien d’autres. Ça dépend de l'homme, ça ne dépend pas de la barbe
, modère cependant une d’entre elles.
Il y a des barbes de tous les genres, selon les époques et les goûts personnels, illustre la journaliste Louise Racicot dans ce reportage. De tout temps, les hommes ont utilisé cet attribut naturel pour projeter soit une image de sagesse, de respectabilité, de marginalité, de puissance ou de virilité
, suggère-t-elle.
En 1986, la barbe semble encore proscrite ou mal vue dans certains milieux. Louise Racicot rencontre à ce sujet le père Ambroise Lafortune et Pierre Mantanaro, rare homme barbu à occuper un poste de cadre dans le milieu des affaires au Québec.
Dans le monde universitaire, c’est plutôt le contraire. Le sociologue Marc Laplante confirme qu’il porte la barbe depuis les événements de mai 1968. Elle lui semble depuis associée aux gens idéologiquement à gauche.
Enfin, pour l’animateur Joël Le Bigot, la barbe est au départ apparue dans son visage pour se distinguer de la masse. Puis ça devient de la paresse, du plaisir, ça chatouille et ça plaît
, exprime-t-il.
« Il n'y a pas de raison de l'enlever pour rien! Il faut une bonne raison! »

Reportage de Danielle Mondoux sur les profils d'hommes qui se laissent pousser la barbe.
Que cache ce bouquet de poils sur la figure?
se demande la journaliste Danielle Mondoux à l’émission Reflets d’un pays du 12 novembre 1980. Pourquoi certains hommes se laissent-ils pousser la barbe, alors que la majorité, et selon la coutume, se rasent?
Bien que la barbe revienne en force, le professeur de psychologie Jean Ouellette rappelle que son acceptation n’est pas un phénomène nouveau. Sa faveur varie selon les périodes, les milieux et les conventions sociales.
Les Vikings et autres grands explorateurs ne portaient-ils pas fièrement la barbe lors de leurs périples sur l’Atlantique?
En ce début des années 1980, deux prototypes d’individus se cachent derrière une barbe, selon le psychologue. Il y a d’abord celui qui porte la barbe comme forme de contestation ou pour se démarquer du système social suivant la mouvance hippie. Puis il y a celui qui porte la barbe pour l’esthétisme, pour modeler son visage et le mettre en valeur tout en conservant une espèce de sérieux
.
La barbe est ainsi fréquente chez les artistes qui correspondent au premier groupe et chez les chercheurs et penseurs qui peuvent donner l’impression qu’elle leur permet de mieux réfléchir.
Selon cette analyse, la barbe joue ainsi un rôle social. À cela s’ajoute un motif valable à toutes les époques et évoqué dans ces trois reportages : se laisser pousser la barbe, c’est beaucoup moins d’effort et d’entretien que de devoir se raser quotidiennement!