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Changement de nom de l’Université de Moncton : le débat refait surface

Jean-Marie Nadeau soutient que l’Université de Moncton doit se débarrasser du nom de Robert Monckton, « notre oppresseur en chef ».

Jean-Marie Nadeau debout dehors en hiver devant l'enseigne de l'Université de Moncton qui est sur le campus de Moncton.

Jean-Marie Nadeau, jeudi devant l'Université de Moncton.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

Radio-Canada

Le militant acadien Jean-Marie Nadeau relance le débat concernant le nom de l'Université de Moncton. Il estime que l'institution acadienne doit se doter d'un nom qui n’évoque pas les crimes contre les Acadiens.

Moncton, plus grande ville du Nouveau-Brunswick, doit son nom à Robert Monckton (1726-1782), administrateur colonial et colonel de l’armée britannique qui a joué un rôle actif dans l’emprisonnement et l’expulsion de milliers d’Acadiens.

Il est temps de s'affranchir du nom de Moncton comme nom de notre université, ce qui nous maintient dans un état continu d’esclaves et de reclus. Il est temps que nous nous assumions comme peuple à part entière, en commençant par donner un nom approprié à notre université acadienne. Il faut se libérer de ce poids vicié d'avoir à colporter dans le nom même de celle-ci, celui de notre oppresseur en chef, écrit Jean-Marie Nadeau dans une chronique publiée le 7 février par Le Moniteur acadien (Nouvelle fenêtre).

M. Nadeau suggère le nom Université de l'Acadie.

Robert Monckton, ou perpétuer l'aplaventrisme

Il y a une mouvance mondiale actuellement pour se débarrasser des monstres dans l'appellation des différentes institutions, a expliqué M. Nadeau dans une entrevue à Radio-Canada, jeudi.

Selon lui, toute référence à Robert Monckton définit l’Acadie de façon négative. Pourquoi se définir par la négative?

Jean-Marie Nadeau debout dehors en hiver.

Jean-Marie Nadeau, jeudi.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

J'aime définir l'Acadie de manière positive et quand on traîne le nom de Monckton dans le nom de notre université acadienne au Nouveau-Brunswick, quant à moi c'est perpétuer l'aplaventrisme, l'horreur, l'inacceptable, déclare Jean-Marie Nadeau.

C'est la plus grande institution acadienne, poursuit-il, elle doit être porteuse de ce que nous sommes comme peuple.

« C'est une question de dignité. Faut se respecter soi-même, avoir une estime de soi. Colporter et perpétuer le nom de Monckton — le bourreau du peuple acadien — quant à moi, c'est une aberration. »

— Une citation de  Jean-Marie Nadeau

Il est temps qu'on se tienne debout, et puis qu'on s'assume pleinement, ajoute-t-il.

Copie en noir et blanc d'un portrait peint au dix-huitième siècle d'un administrateur colonial britannique en uniforme. L'homme est assis et sa main droite repose entre les boutons de sa chemise sur son ventre.
Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Un portrait de Robert Monckton (1726-1782) peint par Thomas Hudson.

Photo : Bibliothèque et Archives Canada, droits d'auteur périmés

Jean-Marie Nadeau souligne que l’Université métropolitaine de Toronto (TMU) n’a rien perdu de son lustre en se débarrassant l’an dernier du nom d’Egerton Ryerson. Son nom fut changé parce que Ryerson était le personnage historique qui avait implanté les pensionnats autochtones, rappelle-t-il.

Des arguments contre un changement de nom

Jean-Marie Nadeau a déclaré qu’il s’attendait à de la résistance à sa suggestion de rebaptiser l’Université de Moncton.

Il y en a qui vont dire ''ah ça va dévaloriser nos diplômes.'' Ben voyons donc! Les diplômes de Ryerson à Toronto sont aussi bons aujourd'hui qu'ils étaient hier. Ç'a toujours été un des pires arguments contre le changement de nom, raille M. Nadeau.

Qu'en est-il du nom de la municipalité? Peut-être que la ville devrait changer de nom aussi, dit-il.

L’ancien recteur de l’Université de Moncton, Jean-Bernard Robichaud, démonte lui aussi les arguments entendus couramment contre un éventuel renommage.

Jean-Bernard Robichaud en entrevue par webcam. Il est dans une pièce dont les murs sont décorés de photos et de diplômes.

Jean-Bernard Robichaud, ex-recteur de l'Université de Moncton, accorde une entrevue, vendredi.

Photo : Radio-Canada

J'ai un diplôme d'une ancienne institution qui a été intégrée à l'Université de Moncton, et mon diplôme de l'Université du Sacré-Coeur a été très bien reconnu jusqu'à l'Université de Chicago quand je suis allé faire mon PhD, et l'institution n'existait plus. Ça n'est pas un argument, a-t-il déclaré dans un entretien, vendredi.

Le plus tordu que j'ai entendu, poursuit-il encore, c'est que c'est notre revanche d'utiliser le nom de notre tortionnaire. Voyez! Ils nous ont fait tout ce qu'ils ont pu, mais on est toujours là, et même, on porte leur nom! Moi, je trouvais que c'était un argument totalement tordu.

Jean-Bernard Robichaud a été recteur de l’Université de Moncton de 1990 à 2000. Dès le début de son premier mandat, on l’a approché sur la question d’un changement de nom. Désireux de transmettre ce message au conseil des gouverneurs de l’université, il affirme s’être buté à beaucoup d’animosité.

Trente ans plus tard, M. Robichaud estime qu’un débat sur la question ne viendra jamais des hautes instances universitaires. Il encourage les Acadiens désireux de changer les choses à s’organiser et se mobiliser, pour ne pas répéter l’échec des années 1990.

Ce n'est pas parce qu'on lance l'idée une journée que le lendemain matin on se présente au conseil des gouverneurs. Je pense que c'est une erreur. C'est une erreur que j'ai faite dans le passé, a-t-il avoué vendredi.

L’ex-recteur souhaite que les dirigeants actuels de l’Université de Moncton soient à l'écoute d'une population, mais je souhaite que cette population s'explique, parce que si elle ne s'exprime pas, je pense qu'on va garder le nom qu'on a maintenant.

Denis Prud'homme en entrevue dans un studio de radio

Denis Prud'homme, recteur de l'Université de Moncton, dans les studios de Radio-Canada à Moncton le 1er février.

Photo : Radio-Canada / Patrick Lacelle

Interpellé jeudi, l'actuel recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton, Denis Prud’homme, a répondu : Nous sommes sensibles aux interrogations soulevées de la part de membres de nos communautés quant au nom de l’Université de Moncton.

Nous sommes engagés auprès de nos communautés et nous allons continuer d’être à l’écoute de celles-ci, a affirmé M. Prud'homme dans une déclaration écrite à Radio-Canada.

Quel nom pour l’Université de Moncton?

Le militant Jean-Marie Nadeau suggère de donner à l’université francophone du Nouveau-Brunswick le nom Université de l'Acadie. Il s’admet hésitant face à la perspective de rebaptiser l’endroit au nom d’une personne, vivante ou disparue.

« C'est l'Acadie qui nous fait connaître dans le monde, et nous fait connaître au Canada. Je pense que déjà si on s’appelait l'Université de l'Acadie, il n’y aurait aucune ambiguïté dans la tête des gens. »

— Une citation de  Jean-Marie Nadeau

Plusieurs intervenants rencontrés cette semaine ont émis des opinions similaires sur la symbolique d’un éventuel changement de nom. Là où Jean-Marie Nadeau parle de grand pas vers la modernité en Acadie, l’ancien recteur Jean-Bernard Robichaud y voit un autre jalon dans le cheminement collectif des Acadiens.

Joey Couturier en entrevue dehors par une journée pluvieuse.

Joey Couturier en novembre dernier à Saint-Quentin.

Photo : Radio-Canada

Joey Couturier, ancien président intérimaire de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), parle quant à lui de dissonance collective et appuie sans ambages la position de Jean-Marie Nadeau.

Pourquoi on persiste à donner ce nom lorsqu'on pourrait très bien le changer et inspirer une nouvelle génération d'Acadiens lorsqu'ils arrivent à l'université, de vouloir faire rayonner l'Acadie à leur manière, et pas à la manière des colonisateurs?, a-t-il déclaré dans une entrevue vendredi.

« On est rendu dans un point où c'est presque de la dissonance collective de penser que notre université, qui fait rayonner l'Acadie, porte le nom de la personne qui nous a déportés. »

— Une citation de  Joey Couturier

Pendant 60 ans, les nouveaux étudiants qui arrivent à l'Université de Moncton et qui apprennent l'histoire du nom de l'université et de la ville doivent se poser la question, a-t-il suggéré. C'est bizarre.

Est-ce qu'on se sent vraiment légitimes dans notre acadienneté?, demande encore Jean-Bernard Robichaud. On cherche notre légitimité dans cette institution — qui est l'institution phare de l'Acadie — mais sous le couvert d’un nom anglophone.

Évoquant les appuis au maintien du nom de Robert Monckton au début des années 1990, l’ancien recteur déclare : Il y avait également dans ceux qui s'y opposaient la crainte d'être en porte-à-faux avec la ville ou avec la majorité anglophone. Il faut surtout pas les déranger! On est là, c'est correct… mais ne faisons pas trop de bruit, dérangeons-les pas trop!

Le campus de Shippagan de l'Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick.

L'Université de Moncton a des campus à Moncton, Edmundston et Shippagan.

Photo : Radio-Canada / MARIO MERCIER

L’Université de Moncton a ouvert ses portes en 1963. Dans Le Moniteur acadien, mardi, Jean-Marie Nadeau a qualifié la question d’un de ces débats qui reviennent à peu près à chaque décennie.

Jeudi, il a suggéré que le 60e anniversaire de l’université serait une bonne occasion de redynamiser le débat. La création des nouvelles municipalités au Nouveau-Brunswick le mois dernier prouve aussi, à son avis, que des renommages pertinents peuvent s’effectuer sans problèmes.

Au Nouveau-Brunswick, on a changé presque les noms de tous les villes et villages avec la réforme de la gouvernance locale. Personne n'en est mort. Le temps est propice, estime M. Nadeau.

À l'aube du 60e de l'institution, il y a un mérite de se questionner sur la position de l'Université de Moncton en tant qu'institution acadienne. Et ça inclut plusieurs éléments, incluant le nom, a déclaré dans une entrevue vendredi le président de la Fédération des étudiants et des étudiantes du Centre universitaire de Moncton (FÉÉCUM), Jean-Sébastien Léger.

La fédération étudiante n’a pour le moment pas de position sur la question, puisque son émergence soudaine ces derniers jours ne lui a pas encore laissé l’occasion de consulter ses membres.

La Société nationale de l’Acadie (SNA) n’a elle non plus pas eu le temps d'en débattre. Dans une déclaration écrite à Radio-Canada vendredi, l’organisme de défense des droits des Acadiens écrit que les universités sont l’un des meilleurs outils dont dispose l'Acadie pour se faire connaître. Le choix du nom de celle-ci n'est pas sans importance.

La réapparition du débat dans la sphère publique est le signe d'une société mature et en charge de son propre destin, estime son président, Martin Théberge.

D’après le reportage de Frédéric Cammarano

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