Les Nigérians votent : quels sont leurs choix?
Survol des enjeux électoraux, des candidats et des forces en présence dans le plus populeux pays d’Afrique.

Des partisans d'Atiku Abubakar, candidat du Parti démocratique populaire (PDP), participent à un rassemblement à Abeokuta, dans le sud-ouest du Nigeria, le 18 janvier 2023.
Photo : Getty Images / PIUS UTOMI EKPEI
Les Nigérians doivent élire un nouveau président le 25 février. Mais le scrutin est loin de leurs préoccupations, note Gbemisola Animasawun, professeur au Centre pour la paix et les études stratégiques de l’Université d’Ilorin, au Nigeria.
« La priorité, en ce moment, c’est la survie. »
La dernière crise est causée par une pénurie de liquidités, qui fait suite à la décision des autorités de remplacer les anciens billets de banque par de nouvelles coupures. Les Nigérians devaient échanger leurs billets avant la date limite du 31 janvier, après quoi ils n’auraient plus cours légal.
Ils ont donc apporté leurs anciens billets à la banque en espérant récupérer les nouvelles coupures au guichet automatique. Mais ces dernières ont été imprimées en nombre insuffisant. Les gens ne peuvent donc pas retirer les nouveaux billets dont ils ont besoin pour payer leurs achats quotidiens, dans un pays où le paiement en espèces est encore la norme.
Or, les vendeurs n’acceptent plus les anciens billets. Résultat : de longues files se forment devant les banques. Même si la date limite a été repoussée, la situation est encore chaotique.
Cet enjeu est devenu la principale préoccupation des Nigérians, soutient M. Animasawun.
Cela a pris le dessus à un point tel qu’on voit une diminution des files d'attente pour obtenir les cartes d'électeur permanent, observe-t-il. Les queues se sont maintenant déplacées vers les stations d’essence et les banques.
C'est qu'en plus du problème de liquidités, les Nigérians font face à une pénurie de carburant. Devant les stations-service, les files d'attente sont longues.
« Si vous n'avez pas d'essence et vous n'avez pas d'argent, le vote devient secondaire. »
Une sécurité défaillante
Si la question économique est actuellement la priorité, la sécurité est aussi un enjeu majeur pour les Nigérians. D’un bout à l’autre de ce grand pays de plus de 200 millions d’habitants, les incidents violents sont quotidiens.
Dans le Nord, les islamistes de Boko Haram et du groupe armé État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO) continuent de faire des ravages; plus au sud, le Mouvement des peuples indigènes du Biafra (Ipob), un groupe séparatiste armé, est accusé d'attaques contre les forces de l'ordre et dernièrement contre les bureaux de la commission électorale, alors que dans le delta du Niger, la violence resurgit ponctuellement.
Au centre du pays, des affrontements entre agriculteurs et éleveurs nomades font des dizaines de victimes. Dans toutes les régions, des groupes criminels tuent, volent et pratiquent des enlèvements contre rançon.
Les forces de sécurité elles-mêmes sont responsables de multiples abus, qui restent habituellement impunis.
Il y a un vrai climat de violence
, constate Vincent Hiribarren, maître de conférences au King's College de Londres, qui était, jusqu’à l’année dernière, directeur de l'Institut français de recherche en Afrique (IFRA) à Ibadan, au Nigeria.
« La vie de tous les jours, dans toutes les régions du pays, est difficile une fois que le soleil est couché. Il n'y a pas de sentiment de sécurité. On a peur des kidnappings, peur des cambriolages, peur de la police... »
Les enlèvements contre rançon sont monnaie courante.
Alors que dans le nord, Boko Haram et l'EIAO pratiquent des enlèvements organisés qu’ils revendiquent, dans le sud, ce sont plutôt des enlèvements opportunistes
, explique M. Animasawun, commis par des criminels occasionnels, qui y voient une façon de se faire un peu d’argent.
Des hommes armés ont ainsi attaqué un train entre la capitale, Abuja, et Kaduna, dans le nord, en mars 2022. Ils ont tué huit passagers et en ont kidnappé plusieurs dizaines. Certains n’ont été relâchés que six mois plus tard.
Les défis qui attendent le prochain président sont monumentaux
, estime Leena Koni Hoffmann-Atar, chercheuse au programme Afrique à l’institut Chatham House, à Londres.
En plus de l’enjeu sécuritaire, le futur dirigeant devra s’attaquer à plusieurs chantiers économiques urgents, dont l’élimination des subventions au carburant (un système corrompu, improductif et ridiculement coûteux
qui coûte annuellement à l’État plus de 10 milliards de dollars américains), l’unification de la politique monétaire, la lutte contre l’inflation et le chômage… La liste est longue.
Ce n'est pas un travail enviable, mais il faut le faire, croit Mme Hoffmann-Atar. Il faudra arracher plusieurs pansements.
Qui sont les principaux candidats?
Dix-huit candidats sont en lice pour remplacer Muhammadu Buhari, qui, après deux mandats, ne peut pas se représenter. Les trois principaux sont :
- Bola Tinubu, 70 ans, représente le parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC).
- Atiku Abubakar, 76 ans, se présente au nom du principal parti d'opposition, le Parti démocratique populaire (PDP). Il s’agit de sa sixième tentative de se faire élire président.
- Peter Obi, 61 ans, espère briser le système bipartite qui domine le Nigeria depuis la fin du régime militaire en 1999. Colistier d'Atiku Abubakar lors de la dernière présidentielle, il est maintenant candidat pour le Parti travailliste.
Les candidats ont-ils des propositions crédibles pour faire face aux multiples défis?
Pas vraiment, observe M. Animasawun. Quand vous regardez attentivement les programmes des partis politiques, en particulier sur la question de la sécurité, ils n'expliquent pas comment ils comptent s'y prendre. Aucun d’entre eux ne propose une feuille de route convaincante
, opine-t-il.
Les partis politiques se soucient peu de présenter un programme détaillé parce qu'ils tiennent pour acquis que les électeurs ne les consulteront pas. Les gens vont voter pour celui qui va leur offrir le plus d’argent pour leur vote, ou celui qui appartient à la même ethnie qu’eux
, affirme-t-il.
La présence d’un nouveau candidat pourrait toutefois changer la donne. Peter Obi espère réussir une percée, même s’il n'a pas le soutien de l’un des partis traditionnels.
Il a bénéficié de la désillusion et de l'insatisfaction à l'égard des deux principaux partis
, constate Leena Koni Hoffmann-Atar. Alors que les deux autres candidats sont des représentants de la politique traditionnelle et du clientélisme, Peter Obi veut incarner le changement.
Avec son discours qui met l’accent sur la transparence et l’imputabilité, il a réussi à canaliser l’insatisfaction des jeunes.
« Les jeunes ont soif d’un nouveau type de leadership, d’un nouveau type de politique. »
Peter Obi peut créer la surprise en termes de nombre de votes
, souligne Vincent Hiribarren. Il ne sera pas forcément élu président du Nigeria, mais il peut priver ses deux adversaires principaux d'une manne de votes assez importante et il pourra sûrement influencer le deuxième tour de l'élection [prévu le 11 mars si aucun candidat n’emporte au moins 25 % des voix dans les deux tiers des 36 États du Nigeria].
Les jeunes partisans de Peter Obi, qui se font appeler Obidients
, pourraient changer la donne s'ils exercent effectivement leur droit de vote. Selon les données de la Commission électorale nationale indépendante du Nigeria (INEC), les 18-34 ans représentent 40 % des électeurs.
« Dans quelle mesure est-ce que les jeunes vont se présenter le jour du vote? Si l’on a un fort taux de participation, ce sera une élection différente. »
Quel que soit le résultat, le risque de violence est très élevé, estime, pour sa part, M. Animasawun.
Je crains qu’il n’y ait des violences postélectorales, explique-t-il. La tension est très élevée. Les deux partis disent que les sondages les donnent gagnants, alors que va-t-il arriver si celui qui ne gagne pas dit qu’on lui a volé l’élection?
Malgré tous les problèmes du Nigeria, l’alternance démocratique y est la norme depuis près d’un quart de siècle.
Que l'élection s'y déroule de manière pacifique est essentiel pour la stabilité du pays et pour donner l'exemple dans la région, écrit dans son dernier rapport International Crisis Group, qui redoute un surcroît de violence à l’approche du 25 février.