La Ville de Québec forcée d’embaucher un pompier daltonien
Le Tribunal des droits de la personne force la Ville de Québec à engager un pompier daltonien. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Sebastien Vachon
Le Service de protection contre les incendies de la Ville de Québec (SPCIQ) a fait preuve de discrimination envers un candidat daltonien lors de son processus d'embauche, conclut le Tribunal des droits de la personne.
La Ville est ainsi condamnée à verser plus de 110 000 dollars au candidat-pompier, en plus d'être forcée à lui donner le poste qu'il convoitait.
Sébastien Samson-Thibault avait passé toutes les étapes du processus d'embauche, avant d'être écarté en 2015 en raison de sa difficulté à bien distinguer le rouge et le vert.
Le pompier était alors à l'emploi du service des incendies de Rivière-du-Loup depuis 2009 et avait passé avec succès les tests physiques de la Ville de Québec. Il avait même été invité par le SPCIQ
à la prise des mesures pour son futur uniforme.Sa candidature a toutefois été rejetée, à la toute fin, puisque la Ville a estimé que son handicap le rendait inapte à exercer l’emploi de pompier de façon sécuritaire.
La Commission des droits de la personne a déposé un recours en 2019 qui vient de se conclure par une victoire pour le pompier de Rivière-du-Loup.
Argument rejeté
La Ville de Québec n'a pas réussi à démontrer devant le Tribunal des droits de la personne que distinguer le rouge et le vert constituait une exigence professionnelle justifiant de discriminer le daltonien.
La Charte canadienne des droits et libertés prévoit qu'un employeur peut écarter un candidat si son handicap l'empêche de remplir les exigences de l'emploi.
Selon le juge Christian Brunelle qui a présidé le procès, la Ville aurait dû mener une évaluation individualisée dans le cas de Sébastien Samson-Thibault.
Dans sa décision, le juge rappelle que la Ville devait faire la démonstration d’une contrainte excessive
pour se dégager de son obligation d’accommodement, en prouvant que l’embauche de monsieur Samson-Thibault pourrait entraîner un risque grave
ou excessif
pour sa sécurité, celle de ses collègues ou du public en général.
Le témoignage du directeur du service des incendies, Christian Paradis, n'a pas convaincu le Tribunal.
Un sport extrême
Lors des audiences, le chef paradis a comparé la lutte contre les incendies à un sport extrême
où tous les sens sont immensément sollicités
, dont la vue.
Lors du procès, le candidat Samson-Thibault a réussi à convaincre le juge qu'il pouvait pallier son handicap.
Il a par exemple démontré qu'il maîtrise manifestement très bien le mode de fonctionnement
des bombonnes d'oxygène, indique le jugement.
Ce système est muni de lumières vertes et rouges qui s'éteignent, pour indiquer le niveau d'air dans le réservoir.
Sébastien Samson-Thibault a fait valoir qu'il savait par la luminosité, combien il restait d'oxygène dans la bombonne.
Le chef Paradis a maintenu qu'il n'a jamais vu ça quelqu’un qui comptait les lumières
, ce qui ne constituait pas, selon lui, un moyen fiable
.
Il a aussi insisté sur le fait que 40 % des interventions de son service se déroulent sur le fleuve St-Laurent, où il faut les bouées vertes et rouges lors d’une intervention d’urgence sur l’eau.
« Titulaire d’une carte de conducteur d’embarcation de plaisance, M. Samson-Thibault indique sans peine que les bouées vertes se trouvent du côté gauche du chenal en remontant le courant. Elles sont identifiées par des nombres impairs alors que les bouées opposées, de couleur rouge, portent des nombres pairs. »
Le juge note aussi que le candidat a fait partie de l'équipe spécialisée de sauvetage nautique de Rivière-du-Loup. Les défis que pose un sauvetage sur le fleuve ne sont pas moindres dans cette région du Bas-St-Laurent
, écrit-il.
Pour le juge Brunelle, Sébastien Samson-Thibault a donné des explications crédibles, logiques et rationnelles
qui démontrent qu'il peut pallier son handicap par son expérience et des moyens compensatoires
.
Le directeur Paradis ne semblait pas de cet avis. On ne peut pas demander aux autres de compenser pour nous
, a-t-il dit dans son témoignage au sujet du candidat rejeté.
Pour lui, l’expérience acquise par M. Samson-Thibault à Rivière-du-Loup est sans valeur face à la réalité Québec
et son caractère unique
: On ne joue pas dans la même ligue
, a-t-il lancé.
« Somme toute, l’expérience antérieure acquise par le candidat, en sa qualité de pompier louperivois atteint de daltonisme, semble avoir été complètement banalisée sinon méprisée. »
110 000 $
Le Tribunal accorde à Sébastien Samson-Thibault près de 98 500 dollars qui représente la différence de salaire qu'il aurait touché, s'il avait travaillé à Québec, plutôt qu'à Rivière-du-Loup.
Il touchera également 12 500 dollars à titre de dommages moraux.
La Ville de Québec a 30 jours pour décider si elle interjettera appel. Par son service des communications, elle a dit prendre acte du jugement, mais s'est refusée à tout commentaire.
Joint par téléphone, Sébastien Samson-Thibault a aussi préféré ne pas s'exprimer, pour le moment.