Ottawa veut reprendre le gros bout du bâton en santé
L’offre de Justin Trudeau aux provinces permet à Ottawa de reprendre l’initiative dans un dossier où il a longtemps été sur la défensive.
Justin Trudeau a présenté une offre en santé qui est « pas mal finale », a expliqué le premier ministre du Québec, François Legault.
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Durant deux ans, les premiers ministres des provinces et des territoires ont eu le gros bout du bâton et s’en sont servis à répétition pour réclamer un financement en santé de 28 milliards de dollars sans condition, une hausse annuelle de 5 % des transferts et une rencontre avec Justin Trudeau.
Maintenant, c’est au tour de Justin Trudeau de reprendre l’initiative. Il peut dire aux provinces qu’elles ont déjà eu leur rencontre, que le fédéral met 196 milliards sur la table en santé et que, maintenant, c’est à elles d’expliquer à leurs citoyens pourquoi ce montant est à leur avis insuffisant au moment où les urgences débordent et où les médecins de famille sont, pour de nombreuses personnes, introuvables.
Il faut cependant noter que le gouvernement fédéral joue sur les chiffres. Des 196 milliards de dollars annoncés, une grande partie allait être injectée de toute façon. L’argent neuf ne représente que 46 milliards, soit (au minimum) six fois moins que ce que réclamaient les provinces.
Durant deux ans, la pression s'est exercée sur les épaules de Justin Trudeau pour qu’il réponde aux demandes des premiers ministres provinciaux et territoriaux. Maintenant, la balle est dans le camp de ces derniers.
Le front commun des provinces commence déjà à s’effriter. Deux ministres fédéraux seront à Toronto jeudi pour rencontrer le premier ministre Doug Ford avant même que le Conseil de la fédération tienne sa rencontre stratégique de vendredi afin de consolider sa réponse commune.
Cette visite à Toronto est la première étape d’une tournée nationale que va entreprendre le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, au cours des prochaines semaines. Le ministre a décidé de battre le fer pendant qu’il est chaud et d’agir rapidement avant que les provinces déçues ne se ressaisissent.
L’offre de Justin Trudeau est peut-être tardive, incomplète et décevante pour les provinces, mais elle permet à Ottawa de reprendre l’initiative dans un dossier où le fédéral a été sur la défensive pendant un bon bout de temps.
Nouvelle dynamique à long terme
La stratégie du gouvernement Trudeau semble également constituer une tentative de modification à long terme de la dynamique de revendication des provinces dans le domaine de la santé.
De toutes les nouvelles sommes fédérales annoncées en santé (46 milliards de dollars), une partie seulement ira à l'augmentation du Transfert canadien en matière de santé (TCS) (17 milliards). Ces sommes sont envoyées presque automatiquement chaque année en transferts aux provinces et augmentent régulièrement. Il est donc difficile pour le fédéral de s’en soustraire.
Or, la part du lion de l’offre d’Ottawa, soit plus de la moitié (25 milliards) des nouvelles sommes, sera consacrée à négocier des ententes bilatérales avec les provinces dans des dossiers spécifiques comme l’accès aux médecins de famille, la santé mentale ou la modernisation du système de soins.
Ces ententes bilatérales devront être renégociées chaque fois à intervalle régulier. Elles porteront sur des dossiers prioritaires communs établis en partenariat avec Ottawa et nécessiteront aussi des investissements des provinces.
Cette méthode de calcul plaît aux provinces plus petites, surtout en Atlantique. Le TCS
est calculé au prorata de la population, tandis que les ententes bilatérales tiennent compte d’autres facteurs, par exemple les économies d'échelle et le vieillissement de la population.C’est maintenant la façon de faire que privilégie Ottawa.
On pourrait croire que le gouvernement Trudeau prépare le terrain pour l’avenir. Quand, un jour (pas si lointain), les provinces réclameront plus d’argent en santé, l’exercice devra aller au-delà du simple calcul comptable. Il faudra à nouveau établir des priorités communes et négocier avec Ottawa.
Ce ne sont pas nécessairement des conditions imposées par le fédéral pour des transferts qui font partie des revenus généraux des provinces. Mais cette méthode pourrait donner un levier supplémentaire à Ottawa afin d’exercer un plus grand contrôle sur la façon dont l’argent qu’il verse aux provinces est utilisé.