Drame dans une garderie à Laval : attention au diagnostic sans évaluation

Un homme a volontairement embouti une garderie de Laval avec un autobus mercredi, tuant deux jeunes enfants et en blessant plusieurs autres.
Photo : Radio-Canada / Simon-Marc Charron
Comment expliquer le geste de l’homme qui a embouti avec son autobus, de façon présumément volontaire, une garderie de Sainte-Rose, à Laval? « Attention aux conjectures », dit la psychiatre Marie-Eve Cotton, qui met en garde contre tout diagnostic sans évaluation préalable.
La seule personne capable de déterminer si cet homme a une maladie mentale, c'est un psychiatre qui l’a rencontré
, a tranché la médecin psychiatre en entrevue à ICI RDI.
« Si vous êtes un politicien, un usager des médias sociaux ou un journaliste, vous n’êtes pas habilité à poser un diagnostic sur cet homme-là. Et même si vous êtes psychiatre, si vous ne l’avez pas rencontré, vous n’êtes pas habilité à poser un diagnostic non plus. »
Selon cette psychiatre, être en détresse et souffrir de maladie mentale sont deux choses très différentes. Il faut faire attention parce que les conjectures contribuent énormément à la stigmatisation des gens qui souffrent de maladies mentales
, a-t-elle dit. Ces gens sont en très grande majorité non violents [...] et sont, en fait, plus susceptibles d’être victimes de violence que d’être des agresseurs eux-mêmes
.

La psychiatre Marie-Eve Cotton explique qu'il y a une différence entre des gestes commis par des personnes en détresse et des personnes qui souffrent de maladie mentale. La prudence s'impose selon elle quant à l'état dans lequel se trouvait le chauffeur de la STL qui a embouti une garderie mercredi matin.
La Dre Cotton a rappelé que moins du quart des auteurs de tueries de masse ont eu un diagnostic de maladie mentale. C’est donc possible que cet homme-là ait commis son geste parce qu’il entendait des voix ou parce qu’il avait un délire de persécution, mais ce n’est pas automatique du tout
, a-t-elle nuancé, affirmant qu’une personne psychotique court aujourd’hui 2,5 fois plus de risques d’être étiquetée comme étant violente comparativement à ce qui se passait dans les années 1950.
Toujours selon cette psychiatre, les auteurs de tueries de masse sont dans 97 % des cas des hommes, souvent isolés, qui ne sont pas bien intégrés socialement [...] ou qui ont souffert de harcèlement dans le passé [...], mais ça n’équivaut pas à une maladie mentale
.
Elle rappelle le cas de Carl Girouard, l’auteur de la tuerie dans le Vieux-Québec en octobre 2020, dont l’état d’esprit avait fait l’objet de nombreuses conjectures et qui, après évaluation, a été déclaré criminellement responsable du meurtre de deux personnes avant d’être condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 2045.
Dans ces cas-là, on n’est pas dans la psychose, on est plutôt dans une espèce de pathologie sociale
, a dit la Dre Cotton.
Mercredi à Laval, plusieurs témoins ont affirmé que le chauffeur de l’autobus à l’origine du drame était à moitié déshabillé
et paraissait hystérique
pendant qu’il résistait à son arrestation par les policiers. Cependant, selon la psychiatre, ces informations ne permettent pas de conclure grand-chose
.
Elle a expliqué qu’un des traits que partagent plusieurs auteurs de tueries de masse est la recherche de la visibilité
: Tout ce qui peut ajouter au spectacle est recherché dans le but [d'obtenir] de la visibilité.
En même temps, a-t-elle précisé, il est possible que cet homme-là souffrait de délire ou d’hallucinations au moment du drame.
C’est possible, mais encore une fois, on ne peut pas conclure
, a-t-elle dit, appelant le public à attendre l’évaluation psychiatrique à laquelle l'homme arrêté, Pierre Ny St-Amand, sera soumis, ainsi que la fin de l’enquête, avant d'avancer des hypothèses sur l’état d’esprit du suspect.
« Les conjectures sont stériles parce qu’on aura bientôt tous les détails. [...] Le comportement humain est complexe : demander à des professionnels de tirer des conclusions [sans évaluation] ne donne absolument rien. »

La psychologue et professeure en psychoéducation à l'Université de Sherbrooke, Deborah Ummel, explique la façon d'évoquer de telles tragédies avec les enfants.