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Menaces, coups, morsures : récits d’enseignants de l’Outaouais victimes de violence

Une personne tient deux bouts de crayon brisé les poingts fermés devant une feuille de papier.

Radio-Canada a obtenu une copie de nombreux formulaires remplis par des enseignants qui sont victimes de violence durant leur travail. L'une d'entre elles s'est confiée à notre collègue Rosalie Sinclair.

Photo : Getty Images / tomazl

La scène se déroule dans une classe de maternelle de l’Outaouais. Un élève prévient l’enseignante qu’un camarade de classe l’a frappé. Quand l’enseignante intervient, elle reçoit un coup au visage, puis se fait mordre l’index. Dans un formulaire rempli après les faits, l’enseignante écrit être « encore très ébranlée ». Elle ajoute qu’un médecin lui a prescrit des antibiotiques puisque la morsure a percé sa peau.

Cette situation est loin d’être unique.

Je pleurais et je tremblais, j'étais très émotive et ébranlée, j’ai eu peur, il se met à me crier des insultes...

Radio-Canada a obtenu copie de formulaires de déclaration d’événement à caractère violent remplis par des enseignants de trois centres de services scolaires (CSS) de l’Outaouais, soit le Centre de services scolaire au Cœur-des-Vallées, le Centre de services scolaire des Draveurs et le Centre de services scolaire des Portages-de-l’Outaouais.

« J’ai dû soulever sa dentition du haut pour arriver à retirer mon doigt qu’il mordait de toutes ses forces. »

— Une citation de  Extrait de la déclaration d’une enseignante de maternelle

La déclaration d’événement est un formulaire que les enseignants peuvent remplir à la suite d’un incident à caractère violent. Il s’agit d’un processus qui n’est pas obligatoire. Ils y inscrivent la nature de l’événement à caractère violent, s’il s’agit d'une agression verbale ou physique, notamment.

Afin de protéger l’identité des élèves et des enseignants impliqués, Radio-Canada a choisi de ne pas nommer les écoles et de ne pas mentionner les dates des événements.

Dans la plupart des formulaires consultés par Radio-Canada, les événements décrits se sont produits devant d’autres élèves. Et aucune année scolaire n’est épargnée. Les rapports s’échelonnent de la maternelle à la cinquième secondaire. Le 31 janvier dernier, une enseignante d’une école primaire a d’ailleurs été transportée à l’hôpital après avoir été blessée par un élève de 6 ans en crise.

1re année - J’ai des ciseaux, ne m’oblige pas à les utiliser.

Dans cette classe de 1re année du primaire, les événements à caractère violent signalés se déroulent sur plusieurs jours. Ils commencent par des coups d’un élève alors que l’enseignante lui demande de mettre son masque, en pleine pandémie.

Le lendemain, alors qu’il est temps de prendre une pause, le même élève refuse de ranger son matériel. L’enseignante le laisse se calmer à son bureau. Alors qu’elle est avec les autres élèves de la classe, elle reçoit des crayons sur la tête. Une technicienne en éducation spécialisée (TES) arrive ensuite en renfort.

L’élève pointe des ciseaux et des crayons vers la TES en lui disant j’ai des ciseaux, ne m’oblige pas à les utiliser. Lorsque la technicienne intervient, l’élève lance les ciseaux et les crayons et crie. La déclaration de l’enseignante indique que l’élève se débattait en donnant des coups de pied, des coups de poing et qu’il a craché sur sa TES.

La journée suivante, le même élève ne veut pas participer à l’activité. Tout en demandant au reste de sa classe d’aller dans le corridor, l’enseignante doit prendre une chaise comme bouclier, avant que l’élève ne lui lance une chaise par la tête qu’elle a réussi à éviter.

« Lorsque je suis sortie dans le corridor, je pleurais, et je tremblais. »

— Une citation de  Extrait de la déclaration d’une enseignante de 1re année du primaire

4e secondaire - C’est hier que je voulais faire mon examen.

C’est jour d’examen dans la classe de cette enseignante de 4e secondaire. Elle remet la copie aux élèves, et l’un d’entre eux se couche sur son bureau et dort. Elle lui demande de faire son examen. Une fois la période terminée, l’enseignante récupère les copies, mais l’élève refuse de remettre la sienne, arguant qu’il n’a pas terminé. Il remet finalement sa copie, en maugréant.

Alors que l’enseignante se retourne pour répondre à la question d’un autre élève, l’élève récalcitrant entre en contact physiquement avec elle, ce qui lui fait perdre pied. Il est devant moi et me crie : "C’est hier que je voulais le faire mon examen!" d’un ton très agressif, témoigne l’enseignante dans sa déclaration d’événement à caractère violent.

« Je me retrouve coincée entre les deux comptoirs de ma classe avec l’élève agressif en face de moi et sans issue de sortie possible. »

— Une citation de  Extrait de la déclaration d’une enseignante de 4e secondaire

Lorsque l’élève quitte la classe, l’enseignante raconte qu’il la regarde avec un regard intimidant et qu’il s’avance brusquement vers elle en tentant de la frapper à nouveau. Sous le choc, elle termine son cours et poursuit sa journée en faisant comme si rien ne venait de se passer.

5e secondaire - Un élève sur son téléphone

Dans une classe de 5e secondaire, une enseignante demande à un élève d’enlever ses écouteurs et de déposer son téléphone pendant les présentations d’autres élèves. Il refuse et elle lui demande de lui parler à la porte de la classe pour lui expliquer qu’il devra sortir puisqu’il ne respecte pas les consignes. L’enseignante se fait ensuite insulter par l’élève.

Ce dernier part chercher son matériel à sa place et, au passage, il s’empare d’une chaise et la lance au bout de ses bras, raconte-t-elle dans la déclaration d’événement, ajoutant que son regard est menaçant et agressif.

« Il m’a dit, avant de s’éloigner dans le corridor : "Une chance que tu n'es pas un homme". Et il a continué à me crier des insultes en s’éloignant. »

— Une citation de  Extrait de la déclaration d’une enseignante de 5e secondaire

La pointe de l’iceberg

Le nombre de déclarations d’événements à caractère violent reçues par le Syndicat de l’enseignement de l’Outaouais (SEO) a plus que doublé en moins de cinq ans. Il est passé de 44, en 2018-2019, à 90, en 2021-2022. Et alors que l’année scolaire 2022-2023 n’est encore qu’à mi-chemin, le SEO a déjà reçu 84 formulaires de déclaration d’événement à caractère violent.

Nombre de formulaires remplis en fonction de l’année

Année scolaire

Formulaires sans arrêt de travail

Formulaires avec arrêt de travail

2018-2019

44

1

2019-2020

35

1

2020-2021

38

5

2021-2022

90

aucune donnée

2022-2023

84

aucune donnée

Mais ces données ne sont que la pointe de l'iceberg, selon le Syndicat puisque ce dernier ne reçoit pas automatiquement tous les formulaires remplis des centres de services scolaires. Le Syndicat déplore donc avoir des données incomplètes et estime que les événements à caractère violent sont beaucoup plus nombreux que ce qui lui est signalé.

Le Syndicat affirme aussi que des enseignants hésitent à signaler certains incidents par l’entremise du formulaire.

Certains se disent que ça fait partie du travail, qu’ils ont peur de la réaction de la direction, que ça peut arriver dans une classe spécialisée. Mais il ne faut pas banaliser cela, expliquait la présidente du SEO, mardi, en entrevue avec Radio-Canada.

Radio-Canada a demandé aux centres de services scolaires au Cœur-des-Vallées, des Draveurs et des Portages-de-l’Outaouais le nombre de formulaires de déclaration d’événement à caractère violent reçus dans la dernière année. Au moment d’écrire ces lignes, aucun d’entre eux n’avait pu fournir cette information.

Hausse de la violence partout au pays

Le nombre d’actes de violence envers les enseignants est aussi en augmentation en Ontario et ailleurs au pays, selon Carl Bouchard, professeur au Département de psychoéducation à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Cette hausse s’explique, selon lui, par l’impact de la pandémie qui a mis à mal la santé mentale des élèves.

Le psychoéducateur souligne que cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un contexte de pénurie d'enseignants et de professionnelles spécialisées.

Les données sont claires : l'augmentation du nombre d'élèves est importante et les enseignants qui n’ont pas eu de formation en termes de gestion de comportement sont dépassés par les événements, indique-t-il lors d’une entrevue aux Matins d’ici.

Même la nature des violences a changé selon M. Bouchard, qui observe une hausse des violences du type lancer des objets, frapper des enseignants.

Choquée par les témoignages faisant état de violence dans les écoles du Québec, ces derniers mois, la députée québécoise de Saint-Laurent, Marwah Rizqy, a obtenu des données grâce à la loi sur l’accès aux documents des services publics. Les chiffres montrent qu’il y a une augmentation de la violence entre les enseignants, mais aussi envers les élèves.

Face à cette situation, la porte-parole libérale en matière d’éducation souhaite que la Commission de la culture et de l’éducation à l’Assemblée nationale se dote d’un mandat d’initiative afin de mener des consultations auprès d’acteurs clés du réseau scolaire pour comprendre ce phénomène de violence.

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