Clic Santé reçoit un 2e prix citron d’un regroupement de gens ayant un handicap visuel

Un regroupement de personnes vivant avec un handicap visuel a décidé pour la deuxième année de suite de décerner son prix coup de gueule au portail Clic Santé.
Photo : Radio-Canada / Lynda Paradis
Le portail Clic Santé met à l’épreuve la patience des personnes ayant une déficience visuelle : le site reçoit pour la deuxième année un prix coup de gueule en matière d’accessibilité web de la part des membres du Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM).
Pour Jérôme Plante, qui est non voyant, il est impossible à l’heure actuelle de réserver de façon autonome un rendez-vous pour une prise de sang ou encore un vaccin sur Clic Santé.
« Des étapes importantes du processus de réservation ne sont pas accessibles. [...] Ça crée des frustrations. »
Pour surfer sur le web de façon autonome, il utilise notamment un clavier standard, dont il connaît les touches par cœur. Il a aussi recours, comme beaucoup de membres du RAAMM, à un lecteur d’écran en synthèse vocale et à une tablette à relief qui se branche à l’ordinateur afin de traduire le texte d’un site en braille.
Mais le portail Clic Santé ne facilite pas toujours l'utilisation de ces outils. Par exemple, Jérôme Plante, qui travaille en informatique, note que la liste des services offerts sur le site n’est pas codée de façon à lui assurer qu’il a sélectionné le bon champ.
C’est aussi impossible pour lui d’interagir avec le calendrier pour choisir une date de rendez-vous. Même scénario pour l’heure et l’emplacement, faute de pouvoir interagir avec les boutons et la carte interactive du site.
« On apprend seulement à la fin du processus l’heure, la date et l’endroit du rendez-vous, sans qu’on puisse choisir. »
Même s'il reconnaît que des changements ont été apportés au site dans la dernière année, Jérôme Plante n’y a pas noté de différences de son côté.
Pas un site gouvernemental officiel
Le gouvernement du Québec, qui vante souvent les mérites du site Clic Santé développé par une firme privée d’Alma, est bien au fait de ces problèmes d’accessibilité.
Bien avant la pandémie, le RAAMM leur avait signalé des problèmes avec le portail, qui ne respecte pas les normes gouvernementales voulant que ses sites soient accessibles au plus grand nombre de personnes possible.
Selon Émilie Viau, coordonnatrice des services en accessibilité numérique du RAAMM, les changements nécessaires ne sont pas très difficiles à réaliser.
« Les délais sont de moins en moins justifiables. Ils ont eu amplement le temps de travailler sur cette plateforme. »
En réponse à Radio-Canada, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) avait affirmé en 2022 travailler à un plan dont les travaux sont complexes, longs, et prendront plus d’une année à réaliser
.
Le MSSS avait aussi précisé que Clic Santé n’était pas un site gouvernemental officiel, qu'il n’avait donc pas à se soumettre aux normes d’accessibilité web du gouvernement.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux a donné suite à la sollicitation de Radio-Canada lundi après-midi, une fois l'article publié.
L'instance fait savoir qu'elle se « préoccupe de l'accessibilité » et que des travaux visant à améliorer Clic Santé sont en cours avec Trimoz, qui développe l'outil. Dans la dernière année, l'entreprise a notamment travaillé sur les contrastes des couleurs, les textes alternatifs, l'ordre de tabulation et l'infrastructure logicielle.
D'autres changements sont prévus, notamment pour ce qui est de l'intégration de composantes de navigation et des formulaires de réservation, dont l'échéancier est fixé à l'été 2023, d'après le Ministère.
Compte tenu de l’ampleur de la clientèle qui utilise la plateforme, ces améliorations doivent se faire par étapes afin de ne pas entraîner de bris de service
, explique une porte-parole du MSSS.
Téléphoner, une solution qui n’est pas idéale
En attendant d’améliorer l'accessibilité de Clic Santé, le gouvernement recommande de téléphoner pour prendre rendez-vous.
Mais cette solution ne plaît pas aux membres du RAAMM, qui montrent du doigt les horaires restreints de la ligne, le temps d’attente et le fait qu’elle n’offre pas de vue d’ensemble sur les services offerts.
On doit pouvoir suivre ce train de l’informatisation et ne pas être laissés de côté
, croit Jérôme Plante, qui aimerait avoir plus d’autonomie en ligne.
« On est comme des citoyens de seconde zone. »
Il y a urgence d’agir, selon lui. Par ailleurs, le nombre de personnes avec un handicap visuel est à la hausse, notamment en raison du vieillissement de la population.
Le Service québécois du livre adapté dans le collimateur
Le Service québécois du livre adapté (SQLA) figure aussi parmi les finalistes des prix coups de gueule.
La mission de ce service, une division de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), est d’offrir aux personnes ayant une déficience perceptuelle des livres adaptés (livres audio, livres en braille, etc.). Le site sert, entre autres, à faire des recherches dans le catalogue de ces œuvres, à les réserver, à les emprunter et à les télécharger.
Mais la refonte du site mise en ligne en juillet 2022 ne fait pas l’unanimité.
Ironiquement, [le nouveau site] a été mis en ligne en comportant des problèmes majeurs d’utilisation avec un lecteur d’écran
, peut-on lire dans un communiqué du RAAMM.
« Vu sa mission et toutes les possibilités de consultation de la clientèle cible, ce site aurait dû donner l’exemple. Et ça n’a visiblement pas été le cas. »
Le site du SQLA n’est pas impraticable, mais il complexifie la tâche, selon Jérôme Plante. Parmi les problèmes, on compte des champs de formulaire mal étiquetés ou insuffisamment détaillés, difficiles à lire par un lecteur de page web.
Pour Sébastien Nadeau, directeur des services au public de BAnQ, ce prix coup de gueule n'est pas reçu avec fierté
: Le nouveau site est un gros projet qui a mis plus de trois ans à voir le jour. Les équipes ont travaillé très fort.
Il reconnaît toutefois qu’il a volontairement été mis en ligne avec des coquilles
, mais avec l'objectif de régler les problèmes rapidement
.
BAnQ a aussi fait ses devoirs
, affirme-t-il, mentionnant avoir collaboré avec des spécialistes de l'accessibilité à l’interne, avoir eu recours à un consultant ainsi qu’à une firme spécialisée en design de sites accessibles.
L’institution a déjà commencé à déployer des changements et compte travailler prochainement avec le Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) pour relever les problèmes avec la clientèle cible.
« Dans tout projet, comme la refonte d’un portail important, on devrait toujours consulter en amont les utilisateurs sur qui ça aura un effet. »
C’est souvent plus coûteux, et ça engendre plus d’efforts de penser à l'accessibilité après coup
, indique Émilie Viau. Mais pas dans ce cas-ci, selon Sébastien Nadeau, qui précise que ça fait partie de l’entente avec le développeur qu'il répare les bobos
.
Coups de cœur pour les arts vivants
Les arts vivants font bonne figure auprès des membres du RAAMM, à commencer par le Théâtre du Rideau Vert, dont les initiatives d'accessibilité sont qualifiées par plusieurs de novatrices et pionnières
.
Le théâtre invite notamment des personnes qui ont un handicap visuel à venir toucher le décor et à se familiariser avec les voix des différents personnages avant le lever du rideau. Pendant le spectacle, elles peuvent porter un casque d’écoute pour entendre une description de la pièce en direct.
« Le milieu de la culture est en train de travailler très fort pour offrir une plus grande accessibilité des productions à notre clientèle. »
C’est d’autant plus remarquable que les institutions ne reçoivent pas de subventions pour adapter l’art vivant, en dehors des améliorations physiques de l'espace
, souligne Jérôme Plante.
La compagnie de théâtre Joe Jack et John a aussi été récompensée pour l’adaptation de sa pièce Les waitress sont tristes, de même que l’entreprise Danse-Cité, pour son offre de spectacles de danse en audiodescription.
Depuis deux ans, le RAAMM profite de la Semaine de la canne blanche, qui se tient cette année du 5 au 11 février, pour remettre ses prix coups de gueule et coups de cœur en matière d’accessibilité. L’objectif est de sensibiliser la population et les entreprises à adopter des pratiques plus inclusives.