Au restaurant, des codes QR pour révéler les conditions de travail des migrants

L'organisme Migrant Workers Alliance for Change distribue des codes QR dans les bars et dans les restaurants non pas pour offrir des menus, mais pour sensibiliser les clients aux conditions de travail des ouvriers agricoles migrants. (Photo d'archives)
Photo : iStock
Alors que des centaines de milliers de travailleurs sans papiers attendent d’obtenir leur résidence permanente dans le cadre d’un programme massif de régularisation, l'organisme Migrant Workers Alliance for Change lance une campagne pour faire connaître les conditions de travail des ouvriers agricoles migrants.
Appelée Menu Secret
, cette initiative consiste à distribuer des codes QR autocollants dans les restaurants, les bars et les aires de restauration non pas pour offrir les menus aux clients mais plutôt pour leur raconter l’histoire qui se cache derrière leur nourriture.
Ça met en lumière l'exploitation des migrants agricoles, les abus auxquels ils sont soumis, les injustices
, explique le directeur général de Migrant Workers Alliance for Change, Syed Hussan, qui souligne que des milliers d'autocollants ont déjà été distribués dans des centaines d'établissements à travers le pays.
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« Ce que les gens doivent savoir, c’est la vérité à propos de la nourriture qu’ils mangent, c'est-à-dire l’exploitation et les abus liés au système alimentaire. »
Selon Syed Hussan, l’idée consiste à encourager les gens à comprendre le problème et à agir
. Pour cela, les gens sont invités à publier un tweet, à signer une pétition et à envoyer un message au premier ministre
pour qu’il tienne sa promesse d’offrir la résidence permanente à tous les migrants du pays
.
M. Hussan demande aux gens de comprendre qu’ils sont directement concernés dans cette chaîne alimentaire et qu'ils ont la responsabilité et les moyens de changer les choses
en faisant pression sur Ottawa.
Robert Boucher, un travailleur agricole venu de la Jamaïque il y a sept ans, dénonce les conditions de travail auxquelles il est soumis en Ontario. Le problème, c'est que nous n'avons pas de droits pour nous protéger de l'exploitation
et des mauvais traitements, déplore-t-il.
Ce travailleur agricole raconte qu’il éprouve de la difficulté à respirer à la fin de ses journées de travail et que certains de ses collègues ont eux aussi des problèmes de santé en raison de l'exposition sans protection aux pesticides et à d'autres produits chimiques dans les serres.
« Je suis allé à l'hôpital et je me suis rendu compte que j’étais traité différemment. »
On m'a dit que j'avais juste besoin de repos. Mais comment je peux me reposer si je dois travailler dès 4 h du matin jusqu'à 18 h le soir?
s’indigne-t-il.
M. Boucher fustige aussi les conditions dans lesquelles lui et ses collègues sont logés. Nous vivons à 24 dans une maison avec deux chambres, donc nous sommes 12 par chambre
, raconte-t-il. En plus, nous dormons dans des lits superposés où les matelas ne sont pas changés pendant plusieurs années
, si bien qu’ils sont aux prises avec des punaises de lit.
« Nos conditions sont en dessous de ce qui est acceptable. »
Le travailleur migrant veut souligner que les ouvriers agricoles comme lui ne sont pas correctement informés avant d'arriver au Canada. Aujourd’hui, il veut obtenir la résidence permanente non seulement pour accéder aux droits et à la couverture médicale mais aussi pour faire venir sa femme et sa fille de 12 ans, qu’il n'a pas vues depuis 2019.
Au départ, j'étais excité de venir au Canada parce que c’est un pays développé [...] où les conditions de vie sont meilleures. Mais depuis que je suis arrivé, avec ces conditions, j'ai compris que ce n'était pas ce à quoi je m’attendais.
« C’est bien pire que ce que nous avions dans notre pays. »
M. Boucher appelle les consommateurs à se demander comment sont traités les travailleurs qui leur permettent d’avoir de la nourriture sur leur table. Ils ignorent ce qui se passe
, assure-t-il.
C'est en effet ce que reconnaît Alain Marc Lévy, qui a scanné le code QR du Menu Secret
à la table d’un centre commercial de Toronto.
Il admet que le sort des travailleurs n'est pas une chose à laquelle il pense lorsqu’il va manger. Les gens mangent parce qu’ils ont faim, donc ils ne pensent pas vraiment à ça. Mais ce sont les gens qui n’en ont pas beaucoup qui pensent à ça.
Grâce au code QR, cet homme dit avoir été choqué par les histoires d’exploitation sexuelle des travailleurs migrants. Les femmes qui ont été violées, je n’aime pas du tout quand je lis ça, parce qu’on ne s'attend pas à ce que ça arrive vraiment. Mais ça arrive
, regrette-t-il.
Les conditions de travail comme ça, à mes yeux, ce n'est pas le Canada, mais on voit que c’est au Canada
, se désole-t-il encore en ajoutant qu’il a signé la pétition pour dire qu’il doit y avoir des changements
.
Alain Marc Lévy pense que cette campagne peut avoir un impact, mais ça va prendre du temps, car [les dirigeants] sont occupés et ils n'écoutent pas trop
.
Selon l'organisme Migrant Workers Alliance for Change, plus de 60 000 ouvriers agricoles migrants viennent travailler au Canada chaque année.
Entre janvier 2020 et juin 2021, neuf d'entre eux ont perdu la vie en Ontario.
Avec les informations d’Andréane Williams