En Alberta, il n’est pas toujours facile d’être un élu qui parle français
« Tu ne te présentes pas du bon bord du pays, tu devrais te présenter au Québec », ont déjà dit des citoyens à un élu qui parle français.
Le drapeau franco-albertain à côté de ceux du Canada et de l'Alberta. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Julie Préjet
La perception qu'ont les Albertains des politiciens qui parlent français n’est pas toujours tendre, selon certains élus municipaux et provinciaux. Ces derniers subiraient parfois des préjugés et de la discrimination en raison de leur langue. D'autres affirment toutefois ne jamais avoir été aux prises avec ces jugements.
Selon les données de Statistique Canada, un peu plus de 250 000 personnes sont en mesure de s'exprimer en français dans la province. Alors que le bilinguisme est considéré comme un atout, est-ce vraiment le cas dans le domaine de la politique en Alberta?

Pas évident de se tailler une place sur la scène politique albertaine lorsqu'on est francophone. Des élus de la province se disent victimes de discrimination en raison de leur langue maternelle, qui pourtant est parlée par bon nombre d'Albertains. Un reportage de Marc-Antoine Leblanc.
La réponse est évidente pour André Chabot, conseiller municipal du quartier 10 à Calgary, qui a tenté de se faire élire à la tête de l’Association des municipalités de l’Alberta en 2021.
Il explique qu'un maire d'une ville albertaine lui a déclaré : Tu sais, tout allait bien jusqu'à ce que tu fasses ton discours en français. Il y avait beaucoup de monde à ma table qui a dit : "Ah non! J'étais pour voter pour lui, mais vu qu'il est francophone, je ne sais pas, je pense que je vais voter probablement pour l'autre personne."
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Cette perception remonte à loin, dit-il. Déjà en 1998, alors qu’il se présentait comme conseiller municipal, le monde politique pouvait s’avérer sévère pour une personne portant un nom francophone, affirme-t-il.
Une fois que [les gens] voyaient ma pancarte, lisaient mon nom, ils disaient : "Tu ne te présentes pas du bon bord du pays, tu devrais te présenter au Québec."
« Seulement à cause de mon nom, ils se demandaient pourquoi je me présentais dans l’Ouest. »
André Chabot explique ne pas hésiter à parler en français quand quelqu’un l’aborde dans la langue de Molière. Mais souvent, s'il y a des anglophones autour, le monde dit : "Écoute, on est à Calgary, on parle anglais ici." Des fois, des gens m'ont même dit : "Parle canadien."
D’après M. Chabot, ce sentiment à l'égard des francophones est avant tout dirigé vers les Québécois, notamment en raison de l’histoire politique de la Belle Province.
« C’est antiquébécois, pas antifrancophone. »
Le monde voit le Québec comme une province qui est préférée par le gouvernement fédéral. Et c’est l’une des raisons [pour lesquelles] il voit le Québec de manière négative
, dit-il.
Il affirme que la situation envers des élus francophones s’est en revanche améliorée. À Calgary, ça change, mais le changement n'est pas rapide. Autour [...] et au nord d’Edmonton, les francophones sont bien reçus.
Des remarques sur les médias sociaux
Marie Renaud, députée provinciale du Nouveau Parti démocratique dans la circonscription de Saint-Albert, dit vivre des situations similaires, notamment sur les médias sociaux.
On a des problèmes quand on fait des [publications] sur les médias sociaux. Il y a des trolls qui sont vraiment terribles qui disent de retourner au Québec, même si ça fait plus de 30 ans que j’habite en Alberta.
« Ils me disent que je n’ai pas le droit de parler français. »
À son avis, nombreux sont les Albertains qui ne comprennent pas la valeur de la présence des deux langues dans la province. Je me souviens que la première fois que je suis venue en Alberta, j'avais vu un [autocollant sur une voiture] qui disait : "Go East, young man, and take one of your buddies with you" (retourne dans l'Est, jeune homme, et emmène un des tiens).
Pas le cas de tous les élus
La discrimination et les préjugés comme ceux rencontrés par André Chabot et Marie Renaud ne sont toutefois pas vécus par l’ensemble des élus qui parlent français dans la province. L'ancien maire de Beaumont Camille Bérubé a quant à lui une perception bien différente de la situation des élus qui s’expriment en français en Alberta.
Moi, ce qu’on m’a reproché lorsque j’étais élu au conseil municipal, c’est que [certaines personnes] croyaient que je n’en faisais pas assez pour promouvoir notre héritage français, notre culture, le fait que nous étions une communauté bilingue.
« Je ne me suis jamais fait taper sur les doigts parce que j’ai parlé en français dans les discours que j’ai faits. »
Selon l’analyse de M. Bérubé, il s’agit probablement d’un petit pourcentage de la population albertaine, et non pas de la majorité
, qui critique les élus qui parlent français.
Comme l’ancien maire de Beaumont, l’actuelle mairesse de Bonnyville, Elisa Brosseau, affirme n’avoir jamais reçu de commentaires comme ceux qu'ont rapportés M. Chabot et Mme Renaud. Au contraire, certains sont même ravis d’entendre d’autres personnes parler en français, selon elle.
Je crois que c’est un avantage que tu parles une deuxième langue, n’importe quelle autre langue que ce soit.
Une question de contexte
Il faut également comprendre le contexte dans lequel certains élus ont subi les préjugés, rappelle Frédéric Boily, professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta.
Selon lui, certains associent notamment le fait de parler français à la province québécoise, et donc aux enjeux qui s'y rattachent. La critique de la langue peut être incorporée dans cette critique-là du Québec, notamment lorsque les enjeux énergétiques étaient au cœur de l’actualité et ils sont encore au cœur de l’actualité, du moins du côté de l’Alberta.
« La question linguistique est occultée par les questions énergétiques. »
En raison de la question des pipelines, en raison de la question de la péréquation, il peut y avoir une plus grande sensibilité de l’électorat en général à l’égard des questions québécoises
, ajoute-t-il.
Il souligne également que l’ancien premier ministre albertain Jason Kenney s’exprimait régulièrement en français sans toutefois recevoir de critiques.