La victime présumée de l’ex-directeur sportif d’une école chrétienne se confie
Cet ancien entraîneur a été inculpé pour agression sexuelle et exploitation sexuelle.

Jennifer Beaudry dit avoir attendu plus de 10 ans pour que son histoire puisse être entendue.
Photo : Radio-Canada / Kendall Latimer
Jennifer Beaudry n’oubliera jamais son premier baiser, figé dans sa mémoire pour toutes les mauvaises raisons.
AVERTISSEMENT : Ce texte contient des détails pouvant déranger certains lecteurs.
Elle fréquentait alors une école chrétienne privée de Saskatoon, la Christian Centre Academy (CCA). Elle allègue que le baiser a été initié par le directeur sportif de l’établissement, Aaron Benneweis, qui était aussi un entraîneur populaire dans l’école.
Selon Jennifer Beaudry, Aaron Benneweis a eu des comportements inappropriés à son égard quand elle était une élève adolescente et qu’il était en position d’autorité.
Elle avait 13 ans, en 2008, quand il a commencé à lui faire les yeux doux, allègue-t-elle, ajoutant que ces comportements se sont aggravés au fil des ans, pour inclure des rencontres et des attouchements sexuels.
Je veux raconter mon histoire pour plusieurs raisons
, dit-elle. Pour pouvoir tourner la page, pour pouvoir guérir et aussi pour m’assurer que cette situation soit gérée adéquatement.
Jennifer et sa mère Dawn Beaudry allèguent que le pasteur de l’église les a encouragées à porter plainte à la police quand il a été mis au courant de ces allégations. Cependant, disent-elles, le pasteur leur a dit de déclarer que les événements ont commencé à se produire quand Jennifer avait 16 ans, plutôt que 13, pour que ce soit plus facile pour Aaron
. Elles ont accepté.
En août 2022, Jennifer Beaudry est retournée pour la première fois voir la police, pour dire que les conduites alléguées avaient commencé quand elle avait moins de 16 ans.
À 27 ans, elle voulait qu’il y ait des conséquences.
« Je sentais que mon histoire n’avait pas été entendue, qu’il n’y avait pas eu de suites, même si j’en avais parlé auparavant et si je pensais l'avoir dit aux autorités appropriées. »
Des accusations criminelles contre l’entraîneur
Jeudi, CBC a confirmé qu’Aaron Benneweis, 46 ans, avait été inculpé pour agression sexuelle et exploitation sexuelle d'une personne mineure, alors qu’il était en position d’autorité entre 2008 et 2012. Il s’est livré à la police de Saskatoon le 31 janvier, a été arrêté puis libéré sous conditions.
Il doit comparaître devant la cour à Saskatoon le 13 mars.
CBC a demandé à lui parler le 25 janvier, avant son arrestation. Son avocat a répondu en disant que, en se basant sur la couverture des médias jusqu’ici, M. Benneweis s’inquiète de la justesse des reportages, et que sur mon conseil, il ne souhaite pas être interviewé.
Ils n’ont pas commenté les allégations détaillées par CBC dans un courriel.
Changement de politique après les plaintes
Jennifer Beaudry a décidé de rendre ses allégations publiques après la publication, en août 2022, d’une enquête de CBC révélant que 18 anciens élèves avaient déposé des plaintes concernant la même école. Ces plaintes portent sur des allégations de maltraitance comprenant des exorcismes, de la contrainte, des rituels traumatisants, des confinements et des techniques de discipline violentes.
D’autres élèves ont également porté plainte depuis le mois d'août.
Le gouvernement provincial a réagi à ces allégations en serrant la vis à l’école chrétienne privée visée par ces allégations, ainsi qu’à deux autres ayant des liens avec des personnes impliquées. Le gouvernement a aussi nommé des administrateurs pour gérer la Christian Centre Academy.
La défenseure des droits des enfants et des jeunes de la Saskatchewan a ouvert une enquête en raison de l'ampleur des allégations de maltraitance.
La province a aussi mis à jour ses règlements concernant les écoles indépendantes qualifiées. Désormais, une direction d'école ou son conseil d’administration sont tenus de prévenir le ministère de l’Éducation au plus tard 24 heures après avoir été mis au courant d’allégations concernant des activités de nature criminelle ou des accusations criminelles portées contre un membre du personnel.
Jennifer Beaudry a ajouté son nom à la liste des anciens élèves qui souhaitent déposer une demande d’action collective contre l’école et l’église responsable de sa gestion.
Ils allèguent avoir été victimes d’agressions physiques, sexuelles et psychologiques de la part de personnes en position d’autorité à l’école et à l’église.
Près de 100 anciens élèves ont indiqué vouloir se joindre à ce mouvement. La poursuite est en attente d’une certification et les allégations n’ont pas subi le test du tribunal.
La requête en droit civil allègue qu’Aaron Benneweis a eu des relations sexuelles avec des élèves et des mineurs membres de l’église.
En date du mois de janvier, Jennifer Beaudry était la seule victime identifiée dans l’action collective à avoir fait des allégations sexuelles concernant Aaron Benneweis.
Une communauté tissée serrée
Jennifer Beaudry a grandi dans la communauté tissée serrée d’une église que ses parents ont fréquentée quand ils étaient de jeunes adultes. Sa mère a plus tard été une enseignante à l’école de cette communauté.
Jennifer Beaudry a fait ses études primaires et secondaires à la Christian Centre Academy, où elle a obtenu son diplôme en 2013.
L’école était alors gérée par le Saskatoon Christian Centre. Ces deux établissements ont depuis changé de noms pour devenir la Legacy Christian Academy et le Mile Two Church.
En grandissant, Jennifer s’est mise à exceller dans le sport et a pu se joindre à l’équipe senior de volleyball quand elle était en 8e année, explique-t-elle.
Aaron Benneweis était le directeur sportif de l’école. Il était connu pour s’occuper de l’équipe masculine de basketball et pour donner un coup de main dans d’autres disciplines, comme l’athlétisme.
Plusieurs anciens élèves et membres du personnel interviewés par CBC l’ont décrit comme un homme charismatique, social et apprécié des élèves et du personnel.
Jennifer Beaudry dit que la première fois qu’elle s’est rendu compte qu’il lui faisait les yeux doux, elle avait 13 ans. Cela s’est produit en 2008, pendant le réchauffement qui précède une partie de volleyball.
Elle dit qu’il lui faisait de petits sourires et que son regard s'attardait sur elle. Elle dit qu’aucun autre adulte ne la regardait de cette façon.
Elle précise que l’entraîneur et elle ont commencé à passer plus de temps seuls ensemble quand elle s’est mise à l’athlétisme.
Jennifer Beaudry se rappelle qu’il l’appelait à son bureau pour jaser, parfois avec des amis, mais souvent toute seule. Ils parlaient de toutes sortes de sujets, des entraînements comme de ses souvenirs d’école.
Il s’est mis à me demander de le rencontrer dans des salles qui n’étaient pas utilisées pendant le jour
, dit-elle. Puis, il m’a demandé de le rencontrer à l'extérieur de l’école.
La meilleure amie de Jennifer à l’école a été interviewée par CBC. Selon elle, il n’était pas rare que des élèves se retrouvent dans le bureau d’Aaron Benneweis pour parler. Cependant, dit-elle, l’entraîneur semblait accorder plus d’attention à Jennifer qu’aux autres élèves.
CBC a accepté d’accorder l’anonymat à cette ancienne élève, parce qu’elle s’inquiète des conséquences que la publication de son nom pourrait avoir sur son emploi.
Une course en soirée
Jennifer Beaudry se souvient qu’un jour, quand elle avait 14 ans, Aaron Benneweis l’a convoquée à son bureau et lui a demandé si elle prévoyait de s’entraîner ce soir-là.
« J’ai dit : oui, je pensais aller courir plus tard.
Il a dit : Moi aussi
», raconte-t-elle.
Elle dit que l'entraîneur lui a demandé de courir avec lui.
Il avait choisi un endroit dans le nord de la ville, derrière le centre de soccer de Lawson Heights
, se souvient-elle.
Jennifer Beaudry a dit à sa mère qu’elle allait courir, a quitté la maison et a couru vers le parc.
Elle dit qu’Aaron Benneweis l’y attendait, et qu’ils sont allés marcher en se tenant par la main. Il a mentionné que la camionnette de l’école était stationnée tout près et lui a demandé d’y aller avec lui, dit-elle.
Il me dit d'entrer dans la camionnette et il me dit de m'étendre sur un des bancs pour que personne ne me voie
, se souvient-elle.
Elle dit qu’il a conduit jusqu’au stationnement d’une école où personne n’était en vue, et qu’il est venu à l’arrière du véhicule.
Il est appuyé contre la fenêtre, et il me demande de venir m'asseoir avec lui, alors je suis assise devant lui assez haut sur ses genoux, mes jambes sur les siennes, appuyée sur sa poitrine,
se souvient-elle.
Jennifer Beaudry dit s’être sentie bizarre et mal à l’aise, mais mal outillée pour gérer cette situation. L’école privée chrétienne ne parlait pas aux élèves du consentement, n’enseignait pas les relations de pouvoir, l’éducation sexuelle ou les relations saines.
« Il a mis sa main sur mon épaule, m’a retournée et a commencé à m’embrasser. Il a commencé avec des french kiss, je me souviens de la langue et de tout. »
Elle dit qu’il l’a ensuite déposée à quelques pâtés de maisons pour qu’elle puisse courir jusque chez elle.
Jennifer Beaudry se souvient de 10 rencontres inappropriées. Elle dit ne pas avoir rejeté ces invitations, et qu’elle se sentait obligée de faire confiance et de satisfaire les personnes en position de pouvoir.
Elle dit qu’Aaron Benneweis insistait sur le secret de leurs rencontres parce que sa vie de famille et sa carrière en dépendaient
.
Elle dit qu’elle comprenait ce message. Leurs familles étaient proches en raison de l’église qu’ils fréquentaient; elle connaissait sa femme et gardait leurs enfants.
Une invitation chez lui
Au printemps de 2012, juste avant la fin des classes, Jennifer affirme qu’elle était en train d’aider les officiels en athlétisme, au stade Griffith, quand Aaron Benneweis serait venu la voir pour lui demander d’aller chez lui. Elle avait 16 ans et était alors en 11e année.
Elle se souvient qu’il lui a lancé : Hé! Tu devrais venir à la maison avec moi. La camionnette de l’école est dans le stationnement, allons dîner
.
Elle dit qu’elle est entrée dans la camionnette et qu’elle s’est étendue à l’arrière.
Ni sa femme ni ses enfants n’étaient à la maison, alors je l’ai suivi à l’intérieur et il m’a menée dans sa chambre à coucher,
affirme Jennifer Beaudry.
Elle raconte qu’il lui a dit quelque chose comme : tu peux ôter ton chandail et ton pantalon. Je vais juste à la salle de bain, je reviens tout de suite.
Elle s’est déshabillée en gardant ses sous-vêtements, et il était aussi en sous-vêtements quand il est revenu dans la chambre, dit-elle.
Encore une fois, il commence à m’embrasser. Il me pousse sur son lit, je suis sur le dos, il est au-dessus de moi
, dit-elle.
Ses mains vont de mon visage à mon cou, à mes épaules, puis sur le devant, tout au long jusqu’en bas.
Elle dit qu’Aaron Benneweis a tripoté la fermeture de son soutien-gorge tout en l’embrassant, et que tout à coup il s’est arrêté. Ils se sont habillés, dit-elle, puis sont retournés au parcours d’athlétisme comme si rien ne s’était passé.
Elle dit s'être sentie salie et violée, mais qu’elle est restée silencieuse.
C’était vraiment heavy,
lâche-t-elle.
Elle en parle à une amie
Puis il est arrivé un moment où elle ne pouvait plus garder ce secret pour elle. Elle a confié certains détails à sa meilleure amie.
Plus tard, cette dernière en a parlé à des collègues de classe. Selon les deux femmes, qui ont parlé à CBC séparément, la meilleure amie de Jennifer Beaudry a dit à des camarades de classe que Jennifer avait des relations avec l’entraîneur
.
Même si les anciens élèves employaient ce langage, Jennifer Beaudry a précisé à CBC qu’Aaron Benneweis et elle n’ont jamais eu de rapports sexuels complets.
La camarade de classe dit s’être sentie obligée d’alerter un adulte. CBC a accepté de ne pas la nommer parce qu’elle a fui l’église pour recommencer sa vie et qu’elle veut que son passé ne soit pas connu de son milieu professionnel actuel.
J’ai trouvé ça vraiment sérieux assez rapidement, je me disais que c'était illégal et pas correct du tout, parce qu’il était marié, il avait des enfants
dit-elle pour expliquer sa réaction à l’époque.
Elle dit en avoir parlé à sa mère qui a informé la femme du pasteur, et qu’on lui a alors demandé d’expliquer au pasteur ce qu’elle avait appris.
Le pasteur me regarde dans les yeux, dans son bureau, et me dit : Je vais appeler la famille d’Aaron. Merci d’avoir porté ceci à notre attention, nous allons nous en occuper.
En janvier 2013, Jennifer Beaudry et ses parents sont convoqués à une rencontre par le pasteur Keith Johnson. Jennifer dit que ses parents lui ont demandé ce qui se passait.
Je savais que je ne pouvais plus le cacher, alors j’ai tout raconté en détail
, dit-elle.
Ma mère, assise à côté de moi, pleure et me demande si je suis encore vierge. Mon père est assis de l’autre côté, silencieux et en état de choc.
La mère de Jennifer, Dawn Beaudry, se souvient qu’elle pleurait à côté de son mari.
Nous avons été horrifiés quand nous avons appris ce qu’elle avait caché
, dit-elle.
Soyez bienveillants
avec l’entraîneur
Selon Dawn Beaudry, le pasteur s’est montré ferme au sujet des prochaines étapes : l’école, qui était gérée par l’église, allait congédier l’entraîneur.
Après la rencontre, ce soir-là, ils ne l’ont plus jamais vu. Plusieurs sources ont indiqué à CBC qu’il avait quitté l’école.
Les Beaudry mentionnent que le pasteur leur a dit de porter plainte à la police.
Cependant, Dawn Beaudry dit que le pasteur a aussi conseillé
à sa famille de rester bienveillants
à l’égard d’Aaron Benneweis. Dawn Beaudry et sa fille ont toutes les deux indiqué que le pasteur leur a suggéré de dire à la police qu’Aaron Benneweis avait commencé à poursuivre Jennifer de ses assiduités quand elle avait 16 ans plutôt que 13.
Je suis là, je me sens super honteuse, super dégoûtée, je leur dis les choses les plus sales qui me soient arrivées, et qui se sont produites pendant des années, et l’église veut que je mente afin de minimiser la situation
, affirme Jennifer Beaudry.
Elle dit s’être sentie dépassée et exposée. Elle s’est aussi sentie obligée de suivre les conseils de l’église, comme on le lui avait enseigné.
Dawn Beaudry dit qu’elle a amené Jennifer au poste de police pour porter plainte. Elles ont dit que Jennifer avait 16 ans au moment des faits et déclarent qu’elles n’ont pas fait d’autres suivis auprès de la police par la suite.
Quand j’y repense, je me dis que j’aurais dû aller au-delà des émotions de Jennifer et de tout ce qui s’est passé ce jour-là au poste de police. Je vois très clairement qu’on pensait faire la bonne chose et gérer cela de la bonne façon
, dit Dawn Beaudry.
Quand on repense à ce qu’on a accepté de faire, on voit à quel point on a été facilement influencés, menés par notre loyauté envers notre famille religieuse.
L’âge du consentement selon le Code criminel
Le Code criminel fixe l’âge du consentement à 16 ans depuis 2008. Il indique aussi que des personnes qui ont moins de 18 ans ne peuvent pas consentir à un contact sexuel quand l’autre personne occupe une position d’autorité ou de confiance.
Dawn Beaudry note que la communauté était tellement tissée serrée qu’ils voulaient causer le moins de tort possible à la femme d’Aaron et à ses enfants
.
Pour Jennifer Beaudry, ces actions sont cohérentes avec ce qu'on leur enseignait à l’école.Nous sommes censés essayer d’être les meilleurs chrétiens possibles. Souvent, cela signifie de tendre l’autre joue et de donner une deuxième chance.
Pas de réponse de l’église
Tout au long de 2022 et de 2023, CBC a tenté à plusieurs reprises, sans succès, de contacter Keith Johnson, qui était le pasteur au moment des événements allégués. Les avocats qui mènent la demande d’action collective ont aussi tenté de le retracer pour lui signifier des documents juridiques.
Le pasteur actuel de l’église, Brien Johnson, a refusé d’accorder une entrevue à CBC et n’a pas fourni une explication par écrit sur la façon dont l’église traite les allégations.
En raison de la situation judiciaire en cours, nous n’accordons pas d'entrevue en ce moment, écrit-il dans un courriel. Nous continuons d’offrir notre pleine collaboration au processus juridique en cours et aux autorités.
Plusieurs sources indiquent qu’Aaron Benneweis vit à Edmonton avec sa famille et qu’il s’est lié à une autre congrégation.
Jennifer Beaudry se demande s’il travaille toujours auprès de jeunes.
Il ne devrait pas avoir un rôle d’autorité ou de leadership
, dit-elle. Je pense qu’il est plus que temps que tout cela soit traité correctement.
Elle dit qu’il lui a fallu des années de réflexion et de croissance personnelle pour comprendre à quel point cette expérience avait été dommageable.
Quand j’ai commencé à rassembler tous ces éléments, j’ai vraiment pris conscience de la gravité de ce qui m’était arrivé, et de la façon dont ça avait bouleversé ma vie jusque là
, dit-elle.
Dix ans après les événements, Dawn Beaudry voit aussi à quel point sa fille a été profondément touchée.
Savoir que ça n’a jamais vraiment été réglé, c’est un tourment, dit-elle. Je veux juste que Jennifer soit en mesure de vivre sa vie en sachant que la bonne chose a été faite.
Les allégations n’ont pas été prouvées devant la cour puisqu’aucun procès n’a encore eu lieu, mais Jennifer Beaudry se sent plus près de la guérison, maintenant qu’Aaron Benneweis a été inculpé.
Elle espère qu’un procès lui permettra de tourner la page et lui apportera une certaine paix. Je suis contente que cela se produise; ça me permet d’agir
, dit-elle.
Jennifer, qui est maintenant une mère, dit aussi que d’élever sa fille l’encourage à se montrer courageuse.
Cela a allumé un feu dans mon cœur
, dit-elle.
Si quelque chose devait lui arriver, je voudrais pouvoir lui montrer que c’est ainsi qu’on s’en occupe et que maman va t’aider.
Avec les informations de Kendall Latimer et Jessie Anton