Des mères mettent leur carrière sur pause faute de place en garderie francophone
Dans la capitale néo-brunswickoise, il est commun que les listes d’attente pour une place en garderie dépassent les deux ans, ce qui force des mères francophones à cesser de travailler ou à envoyer leur progéniture dans une garderie anglophone.
Le manque de place en garderie se fait sentir à Fredericton.
Photo : Radio-Canada / Alix Villeneuve
À la fin de son congé de maternité, Isabelle McLaughlin n'a pas trouvé de place en garderie pour son jeune fils dans la région de Fredericton. Faute de solution, elle a cessé de travailler pendant cette période et a dû attendre neuf mois supplémentaires pour avoir une place.
J’ai dû mettre ma carrière sur pause, c’est un choix que j’avais pris à l’avance, mais ce n’est pas toutes les mères qui peuvent faire ce choix
, dit Isabelle McLaughlin.
Elle raconte que l’incertitude était oppressante. Même si on s’était créé un coussin par prévention, je voyais le coussin diminuer. Ça ne regardait pas bien si on allait avoir une place à l’automne. Le stress augmentait.
« C’était comme si on avait un poids au-dessus de nous. On sentait qu’on était prêt à s’écrouler à tout moment. »
Venessa Austin-Paulin a également attendu plus d'un an pour avoir une place en garderie à Fredericton pour son premier enfant. Elle a choisi d'allonger son congé de maternité pour s'en occuper.
Le nombre [de places francophones] est restreint et la demande est de plus en plus grande aussi.
Les options sont limitées en français dans la région de Fredericton et d'Oromocto. Il y a trois centres de la petite enfance et seulement deux garderies en milieu familial, selon le registre de la province.
Venessa Austin-Paulin pense qu’il faudrait plus de garderies. Oui on peut mettre nos noms à des garderies. Mais quand il n’y en a pas, on ne peut pas mettre les noms.
Un enfant, pas de place
Il n'est en effet pas garanti qu'un jeune poupon acadien de la région de Fredericton pourra compter sur une place en garderie francophone lors de ses premières années de vie, explique le président du conseil d'administration de la garderie Au P'tit Monde de Franco, Nicolas Carrière.
Par exemple, dans sa garderie, il y a 18 places pour les 2 ans et moins. En septembre, elles étaient toutes comblées, et la liste d’attente comportait 46 noms supplémentaires. Les chances que ces personnes-là aient une place dans notre garderie sont très minces.
« Il y a près de trois fois plus de monde sur notre liste d’attente que notre capacité de service. »
Ses services sont également saturés pour les jeunes enfants de 2 à 3 ans. Vingt-quatre enfants sont sur sa liste d’attente et la capacité de service est de 30 places.
Loto-Garderie
Isabelle McLaughlin raconte son soulagement lorsqu’elle a eu la confirmation qu’une place venait de se libérer pour son enfant.
J’ai déjà fait tirer des millions, mais là, c’était plus émotif que ça
, raconte celle qui a déjà travaillé pour Loto-Québec.
« Je me vois encore assise à terre, les larmes aux yeux et trembler. Enfin on a une place. »
Nicolas Carrière sourit en entendant l’analogie avec la loterie.
Ce n’est pas une loterie, dans le sens qu’on ne tire pas au sort, c’est plus un adon, il faut être chanceux. Mais oui, c’est un peu comme tirer une pièce de monnaie dans les airs et se dire peut-être que je vais avoir ma place
, illustre-t-il.
39 nouvelles places… mais pas de main-d’œuvre
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a lancé cette semaine des appels d’offres pour ouvrir 39 nouvelles places dans des garderies francophones à Fredericton. Cependant, Nicolas Carrière avertit que la création de nouvelle place n’est pas si simple.
« Si on veut créer des places, on a besoin d'éducateurs et éducatrices. »
Signe de l’ampleur du problème, même si le gouvernement offre des subventions, sa garderie ne compte pas participer à ces appels d’offres. L’élastique est [déjà] étiré au maximum.
De par le contexte minoritaire qu’on est, accéder à des éducateurs et éducatrices qui sont capables de s’exprimer en français, c’est quelque chose qui est très rare à Fredericton.
Garderie anglophone ou francophone?
Le contexte de pénurie a également un effet pernicieux sur la communauté francophone de la capitale, puisque plusieurs mères décident alors de se tourner vers des garderies anglophones.
C’est un choix qui a traversé l’esprit de Venessa Austin-Paulin. J’ai quand même mis mon nom à d’autres garderies anglophones, juste au cas où. Je n’avais pas le choix.
Bien qu’elle ait finalement trouvé une place en français, elle trouve dommage que la communauté francophone soit ainsi prisonnière du manque de service.
« C’est la capitale, c’est un milieu minoritaire, étant donné que la province est bilingue, ça serait bien de promouvoir le français et de le faire rayonner un peu plus. »
À lire aussi :
Nicolas Carrière s’inquiète que de jeunes francophones soient contraints d’aller à la garderie en anglais. C’est pas juste de s’assurer que notre enfant reste en vie pendant les neuf heures qu’on l’envoie à la garderie! C’est un service éducatif
, lance-t-il.
On va les envoyer à l’école en français après, et cette transition-là va se faire beaucoup plus facilement pour nos enfants que pour des parents qui ont été obligés d’envoyer leurs enfants dans un centre anglophone.