•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

McKinsey ne figure pas dans les registres de lobbyistes au Canada

Les autres grandes firmes de consultants déclarent des activités de lobbyisme au Québec, en Ontario et au fédéral.

Dominic Barton marche dans la pièce où siège le comité parlementaire devant lequel il doit témoigner.

L'ancien grand dirigeant de McKinsey, Dominic Barton, a témoigné, la semaine dernière, dans le cadre d'un comité parlementaire qui étudie les contrats octroyés par Ottawa à la firme. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Le cabinet-conseil McKinsey est absent des registres de lobbyistes des gouvernements du Québec, de l’Ontario et du Canada, alors que ses concurrents sont déclarés, a découvert Radio-Canada. L'entreprise, sous le feu des projecteurs, affirme ne pas faire de lobbyisme. Toutefois, des courriels que nous avons obtenus font douter des experts.

Les grandes firmes de consultants que sont KPMG, Deloitte, Accenture, Ernst & Young et Pricewaterhouse Coopers se trouvent toutes inscrites aux différents registres de lobbyistes que nous avons consultés. Il est en revanche impossible de trouver la trace de McKinsey, que ce soit parmi les mandats actifs ou les mandats inactifs archivés.

C'est normal, selon la responsable des relations extérieures de la firme, Alley Adams.

« McKinsey & Compagnie Canada n'a pas d'activités de lobbying. »

— Une citation de  Alley Adams, responsable des relations extérieures de McKinsey Canada

Est-ce possible que McKinsey ne tente jamais d'influencer les gouvernements au Canada dans le but d'obtenir un contrat? La firme n'a pas répondu à cette question.

Des exemples de cabinets-conseils figurant dans les registres

Tenter d'influencer un titulaire de charge publique pour se faire octroyer un contrat est tout à fait légal, tant que cette activité figure dans le registre des lobbyistes.

Par exemple, dans le registre québécois, la firme KPMG a inscrit un mandat qui indique clairement qu'elle vise plusieurs ministères, avec pour objectif l'obtention de contrats en services-conseils, de gré à gré ou par appels d'offres publics […] portant notamment sur la gestion [...] opérationnelle et la gestion des risques.

Extrait du registre des lobbyistes du Québec.

Extrait du registre des lobbyistes du Québec. On voit que la firme KPMG s'est enregistrée en indiquant qu'elle souhaite obtenir des contrats en services-conseils de gré à gré, notamment.

Photo : Radio-Canada

Le cabinet-conseil spécifie que son mandat inclut les communications préalables qu'elle pourrait avoir avec un titulaire de charge publique.

Même pour présenter ce qu’elle a à offrir, Accenture s’est aussi enregistrée auprès du gouvernement du Québec. On peut lire au registre : Démarches effectuées dans le but de présenter les solutions d’Accenture pour la haute performance dans le domaine des services de santé et de la fonction publique.

Un courriel démontre une sollicitation de McKinsey auprès d'Ottawa

Dans un courriel cité par le Parti conservateur du Canada en comité parlementaire, mercredi, on apprend qu'un représentant de McKinsey, Kevin d’Entremont, a sollicité une conseillère principale en politiques chez Services publics et Approvisionnement Canada, le 26 mars 2020, au tout début de la pandémie.

La firme américaine est un cabinet-conseil ayant 130 bureaux dans 65 pays qui regroupent 30 000 consultants.

La firme américaine est un cabinet-conseil ayant 130 bureaux dans 65 pays qui regroupent 30 000 consultants.

Photo : McKinsey

Radio-Canada a pu obtenir ce courriel dans lequel Kevin d'Entremont propose au gouvernement fédéral un briefing avec des experts de chez McKinsey pour lui présenter les programmes d'intervention que la firme utilise contre la COVID-19 avec différents États dans le monde.

Objet du courriel : Interventions de McKinsey dans le domaine des soins de santé et de la chaîne d'approvisionnement

Bonjour Kelly,

J'espère que vous allez bien. Je suis avec McKinsey & Company, et je suis basé à Ottawa. Il y a un certain intérêt, ces derniers temps, à entendre parler de ce que nous faisons au niveau mondial. McKinsey a plus de 90 programmes en cours, à travers le monde, avec des gouvernements et des clients du secteur de la santé sur la COVID-19. Nous avons une base de données importante et une équipe d'experts en Amérique du Nord.

Je voulais vous contacter au cas où vous voudriez savoir comment certains de ces gouvernements gèrent l'intervention par le biais de centres nerveux et en créant des architectures de réponse spécialisées. Le document ci-joint présente notre réflexion.

Andrew Pickersgill est notre associé directeur canadien et il a collaboré avec l'industrie et les gouvernements sur ce sujet. Andrew a également dirigé notre équipe canadienne pour soutenir Dom Barton au sein du Conseil consultatif du ministre des Finances en matière de croissance économique. Par l'intermédiaire d'Andrew, je serais heureux de faire appel à des experts pour un briefing.

Si cela vous intéresse, n'hésitez pas à me le faire savoir. Encore une fois, j'espère que vous allez bien, et merci pour l'excellente coordination du front à Ottawa. C'est impressionnant d'observer l'intervention du gouvernement.

Mes coordonnées sont ci-dessous si vous souhaitez me joindre.

Salutations,

Kevin

(Le texte du courriel a été traduit en français)

McKinsey n'a pas répondu à nos questions relatives à ce courriel et le Commissariat au lobbying du Canada n'était pas disponible pour commenter.

Aujourd'hui, à 15 h 30, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Helena Jaczek, comparaîtra devant le comité parlementaire qui étudie les contrats octroyés à McKinsey, qui totalisent au moins 116 millions $ depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau.

Quand McKinsey propose son aide au gouvernement Legault

On trouve le nom de Kevin d'Entremont dans le système de publication officiel d’appel d’offres pour le gouvernement du Québec. Il y est présenté comme la personne référence pour les contrats chez McKinsey.

Radio-Canada a mis la main sur un courriel envoyé par une personne représentant McKinsey, le 20 juillet 2020, près de deux mois après la fin d'un premier contrat accordé à la firme par le ministère du Conseil exécutif (MCE), le ministère du premier ministre François Legault.

François Legault, Christian Dubé et Horacio Arruda marchent dans un corridor.

Le gouvernement Legault a fait appel aux services de McKinsey pour l'aider dans sa gestion de la pandémie. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Alors que la firme n'est plus sous contrat avec Québec, on voit dans ce courriel qu'elle tente une approche auprès d'un cadre du MCE.

Est-ce que la structure de gestion de la COVID-19 évolue à ton goût? demande le représentant du cabinet-conseil dans le courriel. N’hésite pas si on peut aider avec quoi que ce soit.

Et il l’informe que plusieurs juridictions en Amérique du Nord réfléchissent présentement à la modernisation de l'État et à la préparation à de futures pandémies.

Courriel envoyé par un représentant de McKinsey.

Courriel envoyé par un représentant de McKinsey au ministère du Conseil exécutif du Québec, durant la pandémie.

Photo : Radio-Canada

Québec a nouveau fait appel aux services de la firme quatre mois après ce courriel, puis une fois encore, un an plus tard, en 2021.

Le ministère du premier ministre juge-t-il que cette approche constituait du lobbyisme? Cette correspondance visait à faire un suivi de l’évolution de la situation à la suite du mandat de McKinsey, nous répond simplement le MCE.

Du lobbyisme? Des experts se prononcent

Nous avons montré le dernier courriel à un lobbyiste d'expérience qui représente une douzaine de clients auprès du gouvernement du Québec. Il n'est pas nommé pour ne pas nuire à ses clients.

« C'est clairement un courriel qui offre les services d'un expert de la firme. Si c'est arrivé durant une période hors contrat, c'est a priori une communication visée par la Loi [sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme] »

— Une citation de  Un lobbyiste d'expérience au Québec

Que McKinsey affirme ne pas faire de lobbyisme, c'est pour lui un peu intense comme affirmation, même si théoriquement possible.

La professeure au Département de communication sociale et publique de l'UQAM, Stéphanie Yates, a lu elle aussi le courriel, à notre demande. Ses recherches portent notamment sur le lobbyisme et l’influence en matière de politique publique.

« Est-ce que c'est de l'influence? On peut penser que oui, puisque ces discussions éventuelles, sollicitées par le consultant, vont avoir pour objectif d'influencer le gouvernement. »

— Une citation de  Stéphanie Yates, professeure à l'UQAM, spécialisée dans les enjeux de lobbyisme

L'experte rappelle que si c'était le titulaire de charge publique qui avait écrit à McKinsey pour demander des conseils, ce serait tout à fait différent, et ce ne serait pas du lobbyisme.

Pour éviter toute zone grise et par mesure de prudence, Stéphanie Yates recommande aux organisations de s'inscrire au registre. Ça ne demande pas tellement de ressources pour s’inscrire, dit-elle, et la quantité d’informations qu’on y inscrit est assez minimale.

Vérification du Commissaire au lobbyisme du Québec?

Nous avons partagé ce courriel avec Lobbyisme Québec. Son Commissaire, Jean-François Routhier, nous a répondu qu'il ne peut commenter un cas particulier pouvant faire l'objet d'une enquête ou d'une vérification. Il a toutefois accepté de nous accorder une entrevue pour répondre à nos questions plus générales.

Dans la majorité des cas, les cabinets-conseils ont généralement tendance à s’inscrire, ne serait-ce que par prévention et transparence, dit-il. On encourage ça.

« Peut-être que certains cabinets ont une discipline interne très, très forte qui ferait en sorte qu’ils sont capables d'affirmer qu’ils ne font jamais d’activités de lobbyisme. »

— Une citation de  Jean-François Routhier, Commissaire au lobbyisme du Québec

En dehors d’un processus d’appel d’offres, Jean-François Routhier rappelle qu’il est toujours permis à une entreprise de présenter ses produits et services à un titulaire de charge publique, dans la mesure où il n’y a pas de tentative d’influencer la décision.

« Le simple fait de dire : "J’ai un expert qui fait telle chose et qui coûte 200 $ de l’heure", si on ne tente pas d’influencer la décision, ça pourrait se qualifier dans l’exception d’une offre de service. »

— Une citation de  Jean-François Routhier, Commissaire au lobbyisme du Québec

Toutefois, il note que, dans plusieurs cas, les cabinets-conseils vont quand même inscrire des activités de lobbyisme, parce que, au fil des discussions, ça se peut qu’il y ait plus qu’une présentation de produits et services, mais c’est plutôt préventif.

Le Commissaire encourage les titulaires de charges publiques (fonctionnaires ou élus) à dénoncer une activité de lobbyisme non déclarée. Ce sont eux qui reçoivent les communications, les courriels… Si on juge que c’est nécessaire, on va poser des questions, on va aller obtenir de la documentation et on va faire notre analyse, dit-il.

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...