Le Québec doit-il produire des fraises en hiver?
Elles sont savoureuses, sucrées et elles sont produites au Québec. Les fraises de serre prennent de plus en plus leur place dans les marchés et les supermarchés, même en hiver, mais certains se demandent s'il faut produire, ici, ce petit fruit pendant la saison froide.

Une fraise de la serre Savoura à Danville, en Estrie.
Photo : Radio-Canada / Karine Mateu
Les fraises du Québec ont trouvé leur place aux côtés de celles du Mexique et des États-Unis dans les supermarchés, même en janvier. La stratégie de croissance des serres annoncée par le gouvernement Legault, qui vise à doubler la production de fruits et de légumes de serre d'ici 2025, porte ses fruits. La moitié de l'objectif a ainsi été atteint.
L'agriculteur et auteur du livre Le jardinier-maraîcher, Jean-Martin Fortier, émet toutefois certaines réserves sur la façon dont se développe cette industrie.
Pourquoi mettre des ressources à produire un fruit qu'on ne devrait peut-être pas manger à ce moment de l'année? Qu'on peut manger congelé? Ça n'a aucun sens, c'est une fausse piste
, affirme-t-il.
« Le problème, c’est la technologie ou l'argent gouvernemental qui sont investis dans des projets pour produire des fraises en hiver, alors que ce n'est pas nécessaire. »
Il faut réaliser que le but de la politique sur la souveraineté alimentaire du Québec, c'est de nourrir les Québécois. Donc, il faut s'assurer que l'on répond à un besoin de diète, à un objectif sociétal. On n'est pas dans une logique de marché et, encore moins, d’exportation
, croit l'agriculteur.
Produire selon les saisons
Adepte d'un modèle d’agriculture à échelle humaine et écologique, Jean-Martin Fortier croit que la production en serre doit suivre les saisons.
On a quatre saisons au Québec qui apportent leurs défis, mais elles sont aussi le guide de ce que l'on devrait manger et à quel moment de l'année. C'est important si on veut avoir un système alimentaire qui est essentiellement résilient et qui n’est pas dépendant de la mondialisation
, soutient-il.
Surtout dans un contexte de changement climatique [sécheresses, inondations, tempêtes] et où des pandémies et des guerres sont susceptibles de se produire dans les prochaines décennies
, ajoute M. Fortier.
Écoutez le reportage radio de Karine Mateu diffusé à l'émission L'heure du monde.
Des fraises du Québec
C'est dans la municipalité de Danville, en Estrie, que l’entreprise Savoura, bien connue pour ses tomates de serre, fait pousser des fraises. L'aventure a commencé en 2017 et se poursuit.
Il y a quelques mois, l'entreprise a doublé sa production et alloue maintenant six hectares à ce petit fruit, soit l’équivalent de huit terrains de soccer.
« L’avantage d’avoir des fraises ici au Québec, c’est que nous, on les cueille à maturité parce qu’elles n’ont pas à voyager, ou très, très peu. Elles s’en vont à Boucherville, à Longueuil, c’est rien, là! »
Elles sont donc plus sucrées
, assure le porte-parole André Michaud. Cueillies à la main, elles se retrouvent ensuite dans les supermarchés de la province.
Énergivore?
En entrant dans la serre, on constate que l'éclairage est différent tout au fond, sur environ un hectare, où la lumière est plus blanche. Savoura participe à un projet de recherche avec l'entreprise Sollum, qui vise à doter les serres d’éclairage intelligent DEL dans le but d'augmenter la production et de réduire les coûts en énergie.
Ça peut être modulé, l'intensité de la lumière peut varier, tout peut être programmé, c’est la technologie Sollum. C’est moins énergivore, mais c'est plus cher à l’achat. C'est pour ça qu'il y a des programmes, mais la technologie avance
, explique André Michaud.
Est-ce que faire pousser des fraises, c'est plus énergivore que faire pousser des tomates? Je ne sais pas. Est-ce que c'est 3 % de plus d'énergie, 3 % de moins? Au bout du compte, je ne crois pas qu'il y a une grosse différence, dit-il, mais c'est sûr que ça prend plus d'espace. Les tomates, ça monterait jusqu’au plafond, mais des fraises, ça pousse à plat. Oui, tout a un coût!
« Si on se demande pourquoi on fait pousser des fraises, je réponds : pourquoi on fait pousser des tomates, des concombres, des laitues, des poivrons? Le consommateur demande de la diversité! »
On est des producteurs. Si demain on arrête de produire des fraises, pour une raison ou une autre, je peux vous assurer qu'il va encore y en avoir dans les supermarchés, mais elles vont venir du Mexique, de la Californie ou de la Floride
, soutient le porte-parole.
Selon lui, ce qu'il faut se demander, c'est plutôt jusqu'où les producteurs doivent aller. La fraise, pour moi, les laitues, les poivrons, je ne vois pas de problème. Mais les ananas, les pamplemousses, les kiwis, on est rendu ailleurs
, conclut-il.
« On est très gâtés au Québec »
Les consommateurs québécois sont très gâtés. On veut de tout en tout temps! Je pense que, collectivement, il faut faire une réflexion : est-ce que c'est nécessaire d'avoir tous les produits sur nos tablettes en tout temps?
se questionne la présidente-directrice générale de l’Association québécoise de la distribution de fruits et légumes, Sophie Perreault, qui voit avant tout l'expansion des serres québécoises d'un bon oeil.
C'est très positif, et je pense que ce n'est pas fini! C'est une question de conjoncture. Les investissements du gouvernement, ceux du privés et puis la pandémie, ça nous a donné le goût d'être encore plus autosuffisants et ça nous a fait réfléchir à notre approvisionnement
, croit-elle.
Malgré tout, selon Mme Perreault, les producteurs pourraient davantage suivre les saisons, même les saisons des serres. Il y a des moments dans l'année où c'est plus facile de chauffer et d'éclairer une serre. L'hiver, c'est plus difficile.
Son collègue, le nutritionniste et directeur stratégie et communication pour l’Association, Mario Lalancette, croit qu’il faut réapprendre à aimer certains légumes du Québec. Le navet, qui est disponible pratiquement toute l'année, est encore un légume mal aimé, illustre-t-il. Il y a d'autres légumes racines. Si on réapprenait à les cuisiner, à les apprécier, ça nous permettrait de manger local plus longtemps dans l'année.
Pendant la période des fraises, on en mange beaucoup, mais on peut aussi apprendre à les conserver, à les faire surgeler. C'est la même chose pour plein d'autres produits du Québec. On parle de fermentation, de blanchiment, de congélation
, suggère-t-il.
Cap sur la croissance
Deux ans après l'annonce de sa stratégie de croissance des serres, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, André Lamontagne, maintient le cap sur son objectif de doubler les superficies de fruits et de légumes de serre d’ici 2025 afin de favoriser l'autonomie alimentaire du Québec.
L'objectif, c'est qu'on soit de moins en moins dépendants des cultures qui se font à l'extérieur et la stratégie des serres vise à remplacer les produits qui viennent de partout dans le monde. Eh bien, qu'on les fasse chez nous!
a-t-il affirmé en entrevue à l'émission L'heure du monde.
Il assure que l'aide gouvernementale profite à tous les types de serres du Québec.
Parmi les serres, il y en a de plus petites qui permettent aux producteurs de rallonger leur saison, des serres un peu plus grandes qui permettent une production 12 mois par année à l'échelle locale, et les plus grandes serres, qui peuvent fournir des produits à l'échelle nationale. Mais avant tout, le but, c'est d'accompagner les producteurs pour qu'ils aient accès à une diversité de revenus
, explique le ministre.
« Environ 335 projets de serres ont été acceptés et mis en oeuvre depuis qu'on a lancé notre stratégie. Sur ce chiffre, environ 240 sont des serres qui ont des profils comme celui de Jean-Martin Fortier. »
Déjà, 50 % de l’objectif initial de doubler la superficie de culture en serres a été atteint, assure son ministère.