La grève du transport bouscule le fragile équilibre des enfants à besoin particulier

En raison de la grève de plusieurs chauffeurs d'autobus scolaire, Stéphanie Leclerc doit faire le trajet entre l'école de sa fille et la maison matin et soir.
Photo : Radio-Canada
Plusieurs parents de la région de Québec doivent modifier leurs horaires, cette semaine, en raison de la grève de 85 chauffeurs d'autobus scolaire. L'impact est particulièrement important pour des parents d'enfants ayant des besoins particuliers. Ils réclament d'ailleurs la mise en place d'un service de surveillance ou de garde après l’école.
Il est 14 h 30. Stéphanie Leclerc franchit les portes de l’École secondaire de la Cité avec sa fille Sarah, âgée de 13 ans. La journée d’école de Sarah est terminée. En conséquence, la journée de travail de sa mère l’est aussi.
Normalement, Sarah prend l’autobus pour rentrer chez elle. Cette semaine, le service est interrompu en raison de la grève de certains chauffeurs. Puisque Sarah vit avec une déficience intellectuelle, sa mère n’a d’autre choix que d’écourter sa journée de travail pour reconduire sa fille matin et soir.
La marge de manœuvre qu'il me reste pour travailler, c'est à peu près entre 9 h le matin et 2 h l'après-midi
, dit Stéphanie Leclerc, qui doit piger dans sa banque de congés pour finir sa journée de travail plus tôt.
Pour plusieurs parents d’enfants à besoin particulier, l’arrêt temporaire du transport scolaire est un service de moins sur lequel ils peuvent compter.
Je trouve qu'on a une belle occasion de se questionner : est-ce qu’il y a des parcours d'autobus qui devraient être définis comme étant des services essentiels?
, se demande-t-elle.
Quand Sarah était à l’école primaire, sa mère pouvait compter sur un service de surveillance après les cours. À l’École secondaire de la Cité, ce service n’est pas offert. En temps normal, Stéphanie doit donc être à la maison à 15 h pour accueillir sa fille. L’accès à ce type de service aurait le potentiel d’alléger considérablement son quotidien.
« C'est le cumul de la charge qui est sur les épaules du proche aidant. Le fardeau s'alourdit toujours au fur et à mesure qu'il y a des petits bouts de service qui disparaissent ou qui se réduisent. »
Le Centre de services scolaire (CSS) de la Capitale a refusé notre demande d’entrevue.
Nous sommes conscients que la grève des chauffeurs d’autobus occasionne des défis supplémentaires pour tous les parents d’élèves de notre CSS, précise l’organisme par courriel. À l'École secondaire de la Cité, particulièrement, nous n’avons ni la structure ni le personnel pour mettre en place un service de surveillance.
Le CSS ajoute qu’aucun autre transporteur n’est en mesure d’assurer le service, notamment en raison de la pénurie de main-d'œuvre.
Un fardeau de plus en plus lourd
Plusieurs familles aimeraient pourtant bénéficier d’un tel service pour leurs enfants. Comme Sarah, Arthur a une déficience intellectuelle et fréquente lui aussi l’École secondaire de la Cité. Sa mère, Geneviève Côté, a été surprise de constater qu’il n’y avait aucune surveillance après les cours, comme c’était le cas au primaire.
Je ne réalisais pas à quel point ça me sauvait la vie. Je ne réalisais pas, la perte de ce service-là, à quel point ça allait affecter le fonctionnement, l'horaire et l'organisation
, dit-elle.
Geneviève Côté est urgentologue. Son emploi du temps est déjà chargé. Depuis l’entrée d’Arthur au secondaire, elle doit faire des pieds et des mains pour s’assurer qu’il y ait toujours quelqu’un à la maison pour accueillir son fils à 15 h 45. L’absence de transport scolaire, cette semaine, est la goutte de trop.
« C'est déjà tellement difficile, on dirait que chaque nouvel obstacle, ça multiplie les difficultés. À chaque fois, on se demande comment on va faire pour passer à travers la semaine. »
Geneviève Côté est à la recherche de solutions, mais elles sont limitées. Le père de ses enfants est décédé. Elle a un conjoint aidant, des amis disponibles, mais sa famille vit à l’extérieur de la ville. Elle a recours à des ressources de répit, mais celles-ci sont moins nombreuses qu’avant la pandémie. Pour elle, il est hors de question de sacrifier son emploi pour devenir proche aidante à temps plein.
Je ne vois pas pourquoi je devrais mettre une croix sur un parcours professionnel qui me comble parce que je suis aussi la maman d'un enfant handicapé. Ça ne fait pas de sens qu'on demande ça aux familles.
Le maintien à domicile menacé
Kim Fortin n’est pas non plus prête à faire ce sacrifice. Malgré tout l’amour qu’elle a pour son fils Logan, elle doit aussi penser à elle.
Je l'aime, je l'adore [...], mais j'ai envie de m'épanouir
, dit-elle.
Logan a 17 ans. Pendant quatre ans, Kim et son conjoint ont eu la chance de bénéficier d’un service de surveillance : d’abord à l’école, puis grâce au Patro Roc-Amadour. En janvier 2022, l’organisme communautaire a toutefois été contraint de suspendre ce service. Depuis, Kim Fortin et son conjoint doivent eux aussi jongler avec leurs horaires et celui de Logan. Cette gymnastique quotidienne, dont l’intensité est difficile à supporter, a d’ailleurs poussé la maman à arrêter de travailler.
J'ai de la misère à tout gérer. Pas juste Logan, mais tout ce qui entoure Logan, tout ce qui s'en vient dans le futur, dit-elle. Je veux être une bonne maman, une bonne professionnelle.
Geneviève Côté, Kim Fortin et Stéphanie Leclerc savent que leurs enfants ne pourront pas vivre éternellement avec elles. Un jour, elles devront trouver un nouveau milieu de vie mieux adapté à leurs besoins. Si les services de répit continuent de disparaître, ce jour risque d’arriver plus tôt que tard.
Le maintien à domicile est en péril
, dit Stéphanie, qui doute de pouvoir tenir le rythme jusqu’à ce que Sarah finisse l’école.
Les trois mamans demandent un peu d’aide pour pouvoir s’occuper de leurs enfants le plus longtemps possible.
Il n’y a personne qui peut aimer nos enfants plus que nous autres, lance Kim, la voix nouée. La meilleure personne pour s'en occuper, c'est moi. [...] Donnez-nous les outils pour le rester. Arrêtez de tout mettre sur nos épaules.
À consulter sur le même sujet :
Un vote de grève générale illimitée à l’horizon pour les chauffeurs d’autobus scolaire