Les canyons… du Saint-Laurent
Dans les profondeurs du fleuve Saint-Laurent, loin de tous les regards, des avalanches insoupçonnées de sédiments se produisent au fond d’immenses canyons. Des structures qui commencent à peine à livrer leurs secrets.

Carte des canyons sous-marins dans le fleuve St-Laurent au large de Pointe-des-Monts.
Photo : Jean Carlos Montero Serrano, ISMER-UQAR
Au sommet du phare de Pointe-des-Monts, sur la Côte-Nord, la vue sur le fleuve Saint-Laurent est spectaculaire. Mais si par magie on pouvait retirer l’eau d’un seul coup, la surprise serait totale. Au large, on verrait apparaître d’immenses canyons, semblables à ceux qu’on imagine aux États-Unis.
Longues de quatre kilomètres, d’une profondeur allant jusqu’à trois cents mètres sous l’eau, ces gorges sous-marines constituent une véritable autoroute pour le transport des sédiments.
Alexandre Normandeau, chercheur en géosciences marines à la Commission géologique du Canada, et Patrick Lajeunesse, professeur au Département de géographie de l’Université Laval, ont cartographié depuis 2019 ces canyons de long en large grâce, entre autres, à un robot sous-marin.
« C'est un drone, ni plus ni moins. Il enregistre les données de positionnement, mais prend aussi des mesures de profondeur et des différentes caractéristiques du fond marin. »
Au fil des ans et des relevés, ils ont observé des déplacements de dépôts massifs de sédiments au fond de ces canyons.
Ils sont associés à des avalanches de sédiments, qu’on appelle des courants de turbidité. Une dynamique semblable à celle des avalanches de neige, mais sous l’eau.
En se déplaçant dans le fond marin, ces masses de sédiments posent un risque pour des infrastructures, dont des câbles de télécommunication.
« Si ces infrastructures sont brisées par ces avalanches de sédiments ou par ces glissements de terrain, cela peut affecter notre vie de tous les jours. »
Pour mieux comprendre le mouvement et la fréquence de ces avalanches de sédiments, à court et à long terme, les scientifiques disposent de différents outils.
À la sortie de ces canyons, Jean Carlos Montero Serrano et son équipe de l’Institut des sciences de la mer à Rimouski ont installé des trappes à sédiments dans la colonne d’eau. C’est une sorte d’entonnoir dans lequel les sédiments en suspension se déposent au fil du temps.
En parallèle, on prélève aussi des sédiments sur le fond marin, certains sous forme de carottes.
En laboratoire, l’analyse de ces carottes, prélevées au large de Pointe-des-Monts, permet de distinguer différentes couches sédimentaires, en fonction de la taille des particules.
« Tout au long de la longue carotte, on voit des couches de sable. Ça témoigne de la dynamique active des canyons à Pointe-des-Monts. »
Ces avalanches sous-marines de sédiments se produisent aussi ailleurs au Canada et dans le monde. Chaque système a ses particularités et le déclencheur de ces courants de turbidité peut varier d’un endroit à l’autre.
Dans les canyons au large de Pointe-des-Monts, on croit qu’ils sont associés à de fortes tempêtes qui déferlent sur la côte pendant plusieurs heures.
« Ça se produit pendant les tempêtes qui augmentent la hauteur des vagues. On pense que ça prend aussi une marée basse parce que plus la marée est basse, plus l'impact des vagues va affecter le fond marin par rapport à une marée haute. »
Ce brassage profond des sédiments peut également remettre en suspension des organismes, potentiellement toxiques, qui dormaient au fond de l’eau. Audrey Limoge, professeure au Département des sciences de la Terre à l’Université du Nouveau-Brunswick, s’intéresse à une espèce en particulier, un dinoflagellé, l’Alexandrium catenella.
Durant son cycle de vie, cette algue microscopique produira un kyste de dormance, une sorte d’enveloppe protectrice, avant de se déposer dans les sédiments au fond de l’eau.

Des avalanches, dans des canyons, à des centaines de mètres sous l'eau. Le fleuve Saint-Laurent est le théâtre d'un phénomène particulier. Lorsqu'elles se déclenchent, ces avalanches peuvent présenter un risque pour les câbles sous marins. Reportage de notre collègue de l'émission Découverte, André Bernard.
Quand survient une avalanche dans ces canyons sous-marins, l’algue endormie pourrait être propulsée vers la surface et se réveiller de nouveau.
« Et si les conditions redeviennent propices, si la cellule a accès à suffisamment d'oxygène, elle va sortir de son enveloppe et pourra continuer son cycle de vie, se diviser, proliférer dans la colonne d'eau. »
La prolifération de ces algues peut à son tour provoquer des marées rouges et les toxines ainsi libérées peuvent se propager dans la chaîne alimentaire. Les mollusques, entre autres, peuvent accumuler ces toxines en grande quantité et nuire à la santé des personnes qui les consommeront, rappelle Audrey Limoges.
Les canyons sous-marins n’ont pas fini de révéler leurs secrets.
En effet, seulement 20 % de nos océans sont cartographiés. Alexandre Normandeau estime qu’il y a encore beaucoup à faire pour comprendre ces avalanches sous-marines et les risques qu’elles font planer sur l’intégrité de certaines infrastructures au fond de l’eau.
Avec les informations de la journaliste stagiaire Simone Caron à Découverte
Le reportage d'André Bernard, de Simone Caron et de Jean-François Michaud est diffusé à l'émission Découverte le dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.