Des consommateurs victimes des robots d’achats
Des revendeurs utilisent des programmes informatiques pour s’emparer de consoles de jeux vidéo. Ils sont aussi soupçonnés d’avoir vidé des stocks de préparations pour nourrisson.

Des revendeurs utilisent des programmes informatiques pour automatiser l’achat de biens populaires.
Photo : getty images/istockphoto / AndreyPopov
D’abord populaires auprès des revendeurs de souliers de course, les robots d’achats ont surtout fait les manchettes dans le domaine des billets de spectacles. Ce sont des programmes informatiques qui servent à automatiser toutes les étapes d’achats en ligne. Leur rapidité est sans égale pour acquérir des articles très demandés. Aujourd’hui, aucun secteur du commerce de détail n’est à l’abri.
Vincent Dupuy en sait quelque chose. Il est propriétaire de Contender eSports Vaudreuil-Dorion, un centre de jeux vidéo qu’il a inauguré en septembre 2022, en pleine pénurie de consoles et de cartes graphiques.
« On voulait offrir le service à la fine pointe. Ça aurait été difficile d'offrir des consoles de l'ancienne génération. Il fallait nécessairement inclure la PlayStation 5 dans notre offre, mais c'était pratiquement introuvable. »
Plus rapides que les consommateurs
Pour comprendre comment fonctionnent les robots d’achats, nous avons rencontré Louis-Éric Simard, un expert en programmation informatique. D’ailleurs, il a déjà codé des robots d’achats pour son usage personnel afin de battre
les revendeurs à leur propre jeu.
Un système bien conçu est analogue au comportement de l'humain
, explique Louis-Éric Simard. En général, les robots exécutent les mêmes opérations qu'un consommateur, mais beaucoup plus rapidement.
Les robots sont programmés pour scruter les arrivages de marchandises, les ajouter au panier, compléter les informations de transaction et passer à la caisse, de manière quasi instantanée. Il existe une multitude de programmes pour différents types de boutiques virtuelles.
« Le logiciel n'est pas limité par l'ergonomie de l'humain, comme taper sur le clavier ou déplacer la souris. Il peut visiter plusieurs URL en une fraction de seconde. Si on voulait faire 1000 achats, on pourrait lancer 1000 tâches concurrentes. »
Quelques dizaines de lignes de code suffisent, selon Louis-Éric Simard, afin d'obtenir un outil de base fonctionnel. Pour concevoir ce type de programme, pas besoin d’être un programmeur exceptionnel. C'est accessible à tout le monde
, croit-il.
Une communauté de revendeurs
Les revendeurs qui ne connaissent rien au codage peuvent même acheter les programmes d’autres revendeurs. Certains d’entre eux ont créé de véritables entreprises pour guider les apprentis utilisateurs de robots, moyennant des frais mensuels. C’est le cas d’Aftermarket Arbitrage, qui a mis sur pied des groupes de discussion et différents outils pour faciliter la revente.
Des consoles de jeux et des préparations pour nourrisson
La plupart des biens de consommation, qu’ils soient essentiels ou accessoires, sont à risque de pénurie, alimentée par les revendeurs.
Jacques Nantel, professeur émérite à HECÇa peut toucher des produits aussi banals que des produits alimentaires, des produits électroniques, des jeux vidéo ou encore des meubles. Les revendeurs siphonnent la marchandise des détaillants et revendent les produits à l'unité, parfois 100 % plus cher.
Aux États-Unis, les robots font des ravages dans des secteurs pour le moins inusités.
Des revendeurs ont utilisé des robots pour bloquer des rendez-vous de renouvellement de passeport sur Internet. Ils les ont ensuite revendus à fort prix. Le département d’État américain a rapidement réagi en annulant le service en ligne. Seules les prises de rendez-vous par téléphone sont autorisées.
Les préparations pour nourrisson ont connu de graves problèmes d’approvisionnement l’an dernier. Les autorités américaines soupçonnent là aussi les revendeurs. La Commission fédérale du commerce des États-Unis mène une enquête sur le sujet.
« Le problème, ce n'est pas la technologie comme telle, c'est l'éthique. Lorsqu'on commence à jouer avec des produits pharmaceutiques, des produits alimentaires, là, nous avons affaire à un problème d'éthique profond. »
Le chat et la souris
Que font les commerces de détail contre cette menace? Nous avons contacté Walmart et Best Buy, des vendeurs de la PlayStation 5.
Best Buy nous répond que les robots d’achats sont un problème généralisé à l’ensemble de l’industrie. Notre priorité est de nous assurer que nos clients ont accès à leurs produits préférés. Nous avons mis en œuvre des mesures afin de limiter les répercussions de ces robots.
Lors du lancement de la PlayStation 5 en novembre 2020, Walmart affirmait avoir bloqué 20 millions de transactions faites par des robots en une demi-heure.
L’entreprise nous écrit : Nous gérons étroitement [les stocks] pour nous assurer qu'ils parviennent au plus grand nombre de Canadiens possible et nous avons pris des mesures contre les robots. Nous apprenons et optimisons nos systèmes à chaque lancement de produit pour limiter les activités générées par des robots. Ce processus fonctionne comme prévu
.
Selon le programmeur Louis-Éric Simard, les commerces électroniques n’ont pas fini de se battre contre les revendeurs. Les gens sont ingénieux, ils sont inventifs. C'est toujours un jeu d'échecs. Avec une nouvelle technique, il y a une nouvelle réponse. Et c'est en constante évolution.
Un exemple de cette évolution : les captchas, ces petites images pour prouver que l’utilisateur est un humain. Louis-Éric Simard estime que cette mesure de contrôle est désuète. Présentement, les captchas n’ont à peu près aucune valeur. C'est tellement simple de les briser. Des entreprises offrent de les résoudre pour une fraction de sous.
Louis-Éric Simard privilégierait d’autres solutions, comme bloquer certaines adresses IP pour empêcher les robots d'effectuer des achats. La balle est donc dans le camp des entreprises et de la cybersécurité.
Légal, pour l’instant
Ça peut sembler étonnant, mais l’utilisation de robots d’achats est bel et bien permise. Seule exception : les billets de spectacles. Au Québec, par exemple, la Loi sur la protection du consommateur interdit d’utiliser des logiciels pour acheter des billets en contournant les mesures de sécurité du site de vente. Pour tous les autres produits, c’est carte blanche.
Selon Jacques Nantel, nos institutions sont terriblement démunies. Elles sont en retard et ne savent pas comment composer avec les nouvelles technologies. On ne réalise pas à quel point les technologies ont perturbé et vont perturber davantage les marchés dans leur structure conventionnelle. Autrement dit, on ne sait pas quoi faire avec un robot d'achats
.
Ailleurs dans le monde, des projets de loi sont à l’étude, comme aux États-Unis. En 2021, des élus démocrates ont déposé le projet de loi pour arrêter les robots Grinch
, en référence au personnage fictif qui déteste Noël. S’il était adopté, il serait interdit de détourner des mesures de contrôle mises en place par les détaillants sur Internet.
Mais Jacques Nantel est sceptique : Vous aurez beau légiférer, il y aura toujours une échappatoire. Lorsque chaque joueur – consommateur, détaillant, manufacturier – veut optimiser son mieux-être à très court terme, on arrive à ce genre de choses là
, observe-t-il.
Il reconnaît toutefois que l’utilisation de robots d’achats pour des produits de première nécessité, comme des médicaments ou des aliments, pourrait faire bouger les gouvernements plus rapidement.
Quant à Vincent Dupuy, il espère que Sony va produire suffisamment de marchandise pour désintéresser les revendeurs.
Quand le fabricant lance un produit, il doit être sûr de pouvoir desservir son marché. Je pense que ça réglerait déjà beaucoup de problèmes. J'espère qu'ils vont aligner leurs flûtes pour la PlayStation 6!
Le reportage de Jean-Luc Bouchard est diffusé à l’émission La facture le mardi à 19 h 30 et le samedi à 12 h 30 à ICI Télé.