Encore des dépassements de nickel, mais toujours pas de sanction
Des concentrations quatre fois supérieures à la nouvelle norme de 70 ng/m³ ont été enregistrées.

Certaines activités commerciales et industrielles situées dans le secteur Limoilou-Basse-Ville émettent des contaminants atmosphériques variés. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
Une vingtaine de dépassements de la norme quotidienne sur le nickel ont été enregistrés dans le Vieux-Limoilou depuis 2021. À deux reprises, la concentration de particules était quatre fois supérieure à la nouvelle norme, largement assouplie, de 70 nanogrammes par mètre cube (ng/m³). Même si des indices pointent vers les activités portuaires, les violations répétées n’ont mené jusqu’ici à aucune sanction.
Selon des données du ministère de l’Environnement obtenues par Radio-Canada, en 2021, 12 dépassements de l’ancienne norme de 14 ng/m³ ont été enregistrés à la station d’échantillonnage située sur la rue des Sables, comparativement à 8 en 2022.
Les chiffres les plus à jour pour l’année qui vient de se terminer datent de la mi-novembre. À noter que les données pour septembre sont manquantes, car le laboratoire n’a pas encore transmis les résultats au Ministère. D’autres dépassements de l’ancienne norme pourraient donc s’ajouter.
L’an dernier, le gouvernement Legault a adopté une nouvelle norme quotidienne sur la concentration de nickel permise dans l’air ambiant, la faisant passer de 14 à 70 ng/m³. Cela signifie que les émetteurs peuvent désormais rejeter cinq fois plus de nickel sans être passibles d’une sanction.
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle norme, le 28 avril 2022, un seul dépassement a été enregistré à la station Vieux-Limoilou. Le 26 juin, les concentrations de nickel ont atteint 72 ng/m³.
Moins de dépassements
En se référant uniquement à la norme de 70 ng/m³, sans égard à sa date d’implantation, le nombre de dépassements enregistrés passe de 12 à 6 pour l’année 2021, et de 8 à 5 pour l’année 2022.
Cela signifie que la nouvelle norme a pour effet de réduire d’environ de moitié les dépassements observés chaque année, sans qu’il y ait pour autant une diminution des émissions de nickel.
Pour le président du Conseil de quartier du Vieux-Limoilou, Raymond Poirier, cela revient en quelque sorte à réduire artificiellement
le nombre de dépassements. Il associe la mesure à un exercice de relations publiques.
On vient peut-être donner une impression que c'est moins pire que ce que c'est réellement et au bout du compte, le problème, c'est que ça se substitue à des actions concrètes. Donc, artificiellement, on fait une modification, alors que concrètement, on ne fait rien de plus pour protéger la population
, dénonce M. Poirier en entrevue à Radio-Canada.
« On cache une réalité et peut-être que derrière cette cachette-là, on va cacher aussi une volonté d'inaction, au bout du compte, en disant : "bien, voilà, le problème est quand même moins grave que ce qu'il était". Alors, c'est problématique. »
Selon lui, les concentrations élevées de nickel enregistrées dans un secteur résidentiel riverain du Port de Québec démontrent que les investissements réalisés dans les installations portuaires n’ont pas permis de rendre les processus de manutention du nickel parfaitement étanches.
Montrer l'exemple
C'est une situation qui n’est pas acceptable. On est quand même face à un port qui est en milieu urbain, qui est en milieu fortement densifié. Donc, on est face à des locataires, à des industries qui devraient aller chercher les plus hauts standards, être l'exemple, le fer de lance en matière de pratiques environnementales, en matière de bon voisinage, ce n'est pas le cas actuellement
, déplore Raymond Poirier.
Dans son rapport sur le portrait de la qualité de l’air, dont le contenu a été rendu public mardi, le Groupe de travail sur les contaminants atmosphériques (GTPA) écrit que la provenance des teneurs plus élevées en nickel mesurées dans le secteur Limoilou-Basse-Ville est fortement associée à des activités au Port de Québec
.
L’entreprise Glencore est depuis quelques années le seul opérateur du port à manutentionner du nickel. Le groupe d’experts indépendants mandaté par Québec a constaté que la plupart des opérations de chargement et de déchargement de nickel des navires se font aujourd’hui sous couvert.
Il note cependant que le déchargement du concentré de nickel et le chargement de la matte de nickel se font avec des cales de navire exposées, c’est-à-dire en position ouverte, ce qui accroît les risques inhérents d’émissions de matières particulaires
.
Le GTPAdes opérations de chargement et de déchargement avec des cales en position fermée pour réduire, voire éliminer, ce risque à la source
. L’opérateur dit accueillir favorablement cette recommandation.
Jean-Pierre Charland, président du groupe de travail sur les contaminants atmosphériques à Limoilou
Photo : Radio-Canada / André-Anne Paré
60 M$ investis en 10 ans
Nous sommes à explorer les moyens technologiques à notre portée pour améliorer les procédures de gestion des émissions fugitives lors du chargement et déchargement des cales de navire
, indique l’entreprise dans un communiqué publié mercredi.
Glencore souligne que ses efforts d’atténuation déployés à Québec depuis 2013 se poursuivent et représentent à ce jour des investissements totalisant 60 millions de dollars.
De son côté, le Port accueille lui aussi favorablement les recommandations du GTPA
, dont celles ayant trait au nickel.Concernant précisément le nickel, le Port de Québec est conscient que la communauté est préoccupée et compte appuyer l’entreprise Glencore pour maintenir de bonnes pratiques et l’amélioration continue des conditions d’opération
, indique l’organisation par voie de communiqué.
Même si les manipulations de nickel au Port de Québec se limitent aux installations de Glencore, et même si le groupe d’experts associe les concentrations élevées de nickel dans le secteur Limoilou-Basse-Ville aux activités du port, les autorités ne sont pas en mesure d’identifier un responsable.
Résultat, aucune sanction n’a été imposée à qui que ce soit pour les dépassements répétés de l’ancienne norme ni pour celui de la nouvelle norme observé en juin.
Identifier la source, un défi
Le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, reconnaît qu’il est difficile d’exercer un contrôle sur une norme lorsqu’on a affaire à des émissions diffuses de particules.
Moi, je ne peux pas mettre en cause le Port de Québec. Au niveau de la réglementation environnementale, il faut que je mette en cause le premier responsable, et [il] est là, le défi, par moments. On sait [de quel] secteur ça vient, mais il y a plusieurs activités au Port et le défi, c’est d'identifier laquelle de ces activités-là a été à l'origine du dépassement telle ou telle journée
, a réagi le ministre mercredi.
Il a ajouté qu’à partir du moment où on parvient à identifier la source d’un dépassement, le ministère de l’Environnement est en mesure d’imposer des sanctions.
Si on ne sait pas d'où proviennent exactement ces émissions-là, c'est difficile d'assurer les contrôles. C'est la raison pour laquelle on est venu renforcer le réseau des stations d'échantillonnage
, a précisé Benoit Charette.
Le ministre a mentionné que les résultats des analyses effectuées à partir des données recueillies par ces stations seraient publiés au cours des prochaines semaines.
Avec la collaboration d’Olivier Lemieux, Marie-Pier Mercier et Alexandre Duval