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Attente à l’urgence : l’envers du décor au CHUS - Fleurimont

Le CIUSSS de l''Estrie - CHUS nous a ouvert les portes le temps d'une soirée pour observer ce qui se passe à l'urgence.

Un homme atteint devant le triage de l'urgence.

Une vingtaine de patients attendent ce soir-là, mais la plupart n'ont pas des conditions jugées extrêmement urgentes.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Un bébé gémit dans un coin. Une femme visiblement épuisée soupire dans un autre. « C’est long. C’est trop long ». Il est 18 h, et nous sommes dans la salle d’attente du CHUS - Hôpital Fleurimont, à Sherbrooke. Une vingtaine de patients de tous âges attendent, l’air résigné, de voir un médecin. Attente… c’est le mot qui revient le plus pour décrire la situation dans les urgences du Québec. Les taux d’occupation dépassant les 100 % sont devenus davantage la norme que l’exception. Mais pourquoi les patients doivent-ils autant faire preuve… de patience? Incursion dans l’envers du décor des soins d’urgence.

C’est une véritable fourmilière qui s’active de l’autre côté de la salle d’attente. En général, près d’une quinzaine d’infirmières, trois médecins et plusieurs préposés sont à l’action. Les infirmières passent rapidement d’une prise de note à une injection de médicament. Un urgentologue analyse une radiographie pendant qu’un autre consulte un bilan sanguin. Des préposés collectent les assiettes vides. Un technicien ambulancier paramédical désinfecte une civière.

Pourtant, ce lundi soir est étrangement calme, selon le personnel. J’ai pu prendre cinq minutes pour parler avec mon patient, nous souffle une infirmière rencontrée dans le corridor. Elle nous confie que parfois, elle ne peut même pas s’accorder ce petit moment, tant la charge de travail est imposante. 

Un lundi typique, c'est le chaos, affirme en riant l’infirmière clinicienne Bianca Richard. Les gens débarquent, ils ont attendu toute la fin de semaine avant de venir consulter. [...] C'est vraiment la pire journée de la semaine.

Un étudiant en soins préhospitaliers d'urgence en stage se pratique à piquer une infirmière volontaire.

Lorsqu'il y a un moment plus tranquille, les professionnels en profitent pour faire de la formation continue. Ici, un étudiant en soins préhospitaliers d'urgence en stage se pratique à piquer une infirmière volontaire.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Une vingtaine de personnes patientent dans la salle d’attente, dont une dizaine qui a déjà passé l’étape du triage. L’urgence est quand même occupée, mais ce sont plus des patients qui ont des codes de priorité moins urgents, explique la cheffe du Département de médecine d’urgence, la Dre Marie-Maud Couture. Elle affirme qu’elle a eu le temps de manger, même si cela veut dire, pour une urgentologue, prendre cinq minutes sur le coin de son bureau, et jamais de repas chaud!

Au mur, les dossiers des patients à voir sont triés selon leur niveau de priorité : P1 étant la cote la plus urgente, P5 étant celle qui désigne un patient ne nécessitant pas de soins urgents. Trois patients sont cotés P3, et certains d’entre eux ont déjà subi quelques examens, ou ont reçu une médication et attendent de voir si elle fait effet. Six dossiers se retrouvent avec une cote P4 et un dossier est dans la filière des P5. Heure d’arrivée de ce dernier : 10 h 37. Les chances qu’il soit vu en soirée? C’est sûr qu’il a plus de risques d’être encore là à minuit versus le P3 qui est là depuis 17 h, admet la Dre Marie-Maud Couture. 

Une vingtaine de patients sont déjà sous les soins des médecins, couchés dans un lit ou sur une civière. Certains d’entre eux se trouvent dans un corridor, partiellement cachés par un fin rideau. Des cas graves, comme cette dame atteinte d’un cancer du poumon qui s’est pointée à l’urgence parce qu’elle crachait du sang. Ou cet homme, dont la jambe est devenue subitement complètement paralysée. Dans les deux cas, ils affirment avoir été pris en charge en moins d’une trentaine de minutes. Les véritables urgences n’attendent pas, soutient la Dre Couture.

Des patients assis à l'urgence.

Ce soir-là, une vingtaine de patients attendaient d'être vus par un médecin à l'urgence de l'Hôpital Fleurimont.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Des fois, ajoute-t-elle, il faut jouer à la civière musicale. Un patient dont l’état s’améliore doit céder sa place à une personne plus mal en point, et retourner dans la salle d’attente. Un autre va s’y asseoir, le temps d’obtenir le résultat de ses examens. Ce sont des choses qu’on ne voyait pas avant, mais maintenant, on n’a pas le choix pour la gestion de risques. Dans un monde idéal, tout le monde aurait sa civière pour être confortable, admet la Dre Couture. En raison de l’espace limité, il faut toutefois faire des choix. Ce soir, j’ai eu des patients qui ont eu des commotions. Il y a des patinoires un peu partout, des gens tombent sur la tête et nécessitent une civière pour l’évaluation, pour l’examen , donne-t-elle en exemple.

En ce lundi soir, il reste un peu de place, mais cette place est très précieuse, précise la coordonnatrice par intérim des services d’urgences, Hélène Loiselle. Parce qu’on ne sait jamais quelle urgence peut survenir. Des fois, les gens arrivent tous en même temps. On ne sait pas pourquoi, mais surtout vers 11 h, on a une affluence de gens. La capacité de réponse est diminuée. [...] On essaie toujours d’anticiper, mais des fois, on n’a pas de contrôle. 

Notre inquiétude, c’est de pouvoir donner les soins au bon moment, affirme, pour sa part, la Dre Couture. C’est sûr que des fois, c’est spectaculaire. Ça donne des images de gens qui peuvent être couchés par terre. Des enfants qui ont une fracture au bras, on aimerait les soulager, mais on n’a physiquement pas de place pour les voir. C’est sûr que ça vient, je dirais, miner le moral des équipes.

« L’objectif est toujours de permettre au prochain patient le plus malade d’avoir un accès aux soins en temps réel. C’est ça notre enjeu.  »

— Une citation de  Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Département de médecine d'urgence

Oui, ils attendent, mais ce n’est pas parce qu’il n’y a rien qui se passe en arrière, martèle quant à elle Bianca Richard. Le personnel, ça roule tout le temps, il y a toujours quelque chose à faire. Oui, attendre 12 h, c'est décevant. Mais au final, si tu attends 12 h, c'est peut-être que ta cote de triage n’était pas prioritaire, que tu n’étais pas forcément instable. Les cas urgents, ils passent tout de suite, affirme-t-elle.

Bianca Richard, infirmière, écrit une note sur un comptoir.

« La salle d'attente, ça ne veut pas dire que les gens ne sont pas malades, ça ne veut pas dire qu'ils sont pris au sérieux », souligne l'infirmière clinicienne Bianca Richard.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

De nombreux facteurs qui rallongent les délais

La Dre Couture est catégorique : les patients sont plus malades qu’il y a 20 ans, quand elle a commencé sa pratique médicale. Cette lourdeur ralentit le rythme des consultations. Les gens ont une espérance de vie qui augmente, mais traînent un lot, un fardeau de pathologies qu’on ne pouvait pas imaginer.

Quand les patients viennent en ambulatoire, ça prend des prises de sang ou une radiographie, alors on augmente les interventions. On augmente le temps de présence à l’urgence, ajoute Hélène Loiselle. 

La COVID a aussi causé des effets persistants, ajoutant des étapes supplémentaires à tous les membres du personnel, ce qui alourdit le processus, même si, comme l’explique l’infirmière clinicienne Joëlle Morneau, tous s’entendent pour aller le plus rapidement possible pour voir le plus de patients

« Est-ce que c'est entièrement relié à la pandémie? Probablement pas. On s'entend qu’il y a quand même vraiment un exode du personnel infirmier. Mais, qu'est-ce qui a changé? Nos pratiques de travail, les façons dont on gère les patients [la gestion] des risques avec les masques, les vêtements de protection, etc. Notre pratique est différente, elle a été transformée avec la COVID. »

— Une citation de  Bianca Richard, infirmière clinicienne
La coordonnatrice par intérim des soins d'urgences, Hélène Loiselle.

« Tous les chefs de service se réunissent pour trouver une solution pour désengorger l'urgence. C'est l'affaire de l'équipe, pour un accès équitable à tous les patients, peu importe où il est », affirme la coordonnatrice par intérim des services d'urgences, Hélène Loiselle.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Près de la moitié des patients couchés à l’urgence nécessitent par ailleurs une hospitalisation, un autre enjeu qui rallonge les délais permettant de voir un médecin. On attend juste un lit à l’étage, explique la Dre Couture. C’est notre problème depuis quelques mois. C’est la congestion des hôpitaux. Ils sont refoulés à l’urgence. On a beaucoup de patients qui n’appartiennent plus à l’urgence. Ce soir, on a de la place, mais il y a des soirées où on n’a pas ce luxe-là! 

L’homme à la jambe paralysée attend d’ailleurs sa place à l’Hôtel-Dieu depuis plusieurs heures. Arrivé à l’urgence dimanche matin, il ne sait toujours pas quand il pourra être transféré vers l’autre hôpital sherbrookois. Dans une heure? Demain? On attend juste une place, explique-t-il. On m’a dit que c’est là qu’il y a le spécialiste qui doit me voir. Même s’il patiente sur une civière depuis plus de 36 heures, il est loin d’en vouloir au personnel. Ça travaille fort en "tabarnouche"! On s’occupe très bien de nous!

La Dre Couture qui marche à l'urgence.

Un enfant ayant de la difficulté à respirer, une dame de 92 ans ayant fait une chute, des commotions cérébrales : la soirée de la Dre Couture a été occupée.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

La Dre Couture doit également gérer un retour à la maison d’une femme de 92 ans qui a fait une chute. Elle tente à tout prix, dans son cas, d’éviter une hospitalisation qui pourrait complètement désorganiser la dame. Quand je faisais mes études, on ne parlait pas de ça. On disait que la personne âgée devait être hospitalisée. Maintenant, on est beaucoup plus à dire qu’il y a plus de risques de rester à l’hôpital.  

La famille est sur place, et la décision sera prise en collaboration avec elle. Je vais pouvoir discuter avec les gens d’un retour sécuritaire à la maison. Ça nous aide beaucoup pour décider quel est le meilleur endroit pour elle, leur expliquer les risques [d’une hospitalisation], quels sont les risques les moins grands pour le patient. 

« On met beaucoup de pression pour que les médecins hospitalisent les patients. Mais aussi sur les familles pour venir chercher leurs proches quand les soins sont terminés, autant à l’étage qu’à l’urgence. »

— Une citation de  Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Département de médecine d'urgence
Deux médecins discutent ensemble à l'urgence.

La Dre Couture a pu donner un coup de main à ses collègues affectés à l'ambulatoire parce que la soirée était moins occupée.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Vers une meilleure fluidité

Vers 20 h, la situation reste relativement calme. Un patient avec une cote P5 a quitté les lieux, ayant accepté la proposition de l’infirmière au triage d’être réorienté vers une clinique. Le guichet d’accès à la première ligne, le GAP, le contactera dans les prochains jours pour lui offrir un rendez-vous, ce qu’on ne faisait pas, il y a cinq ans; les cliniques ne prenaient pas de patients de l’urgence, explique la Dre Couture. 

C’est l’une des solutions trouvées pour améliorer la fluidité des services. Selon Hélène Loiselle, le CIUSSS tente aussi d’avoir une vue d’ensemble du réseau pour déterminer, chaque jour, où il faut alléger la pression afin d’éviter un engorgement potentiellement dangereux pour la sécurité des patients. Cela passe par des congés, des transferts aux étages ou même dans un autre centre hospitalier. Ce jour-là, l’équipe responsable de cette évaluation s’était d’ailleurs activée pour hospitaliser des patients, puisque le taux d’occupation de l’urgence devenait préoccupant.

Un technicien ambulancier paramédical pousse une civière sur laquelle se trouve un sac contenant les effets personnels d'un patient.

« S'il y a trop de patients à l'urgence, ce n'est plus sécuritaire. Tout le monde peut faire de la surcapacité temporaire à l'étage, alors c'est possible qu'un patient soit admis en surnuméraire dans un corridor [pour faire de la place à l'urgence],» soutient Hélène Loiselle, coordonnatrice par intérim des services d'urgences.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Une autre solution de longue haleine : l’éducation des patients pour que l’urgence ne serve… qu’aux urgences. Cela arrive encore aujourd’hui que les gens arrivent à l’urgence et n’ont pas essayé d’appeler le 8-1-1. C’est ce que j’encourage les gens à faire en premier, explique Bianca Richard. Il y a beaucoup d’outils qui sont méconnus.

La Dre Couture admet qu’il faut faire preuve de patience et que le système est loin d’être parfait, d’autant plus que le patient, à l’urgence, a tout de suite accès à l’éventail des services et des examens, contrairement à une clinique. Le GAP a également connu des ratés et les temps d’attente sont très longs pour le 8-1-1. L’urgence ressort parfois comme la seule solution possible, ce qu’il faut démystifier selon l’urgentologue.

Je ne blâme pas les patients, les gens viennent avec une inquiétude, affirme Dre Couture. Mais ce n’est pas l’urgence qui devrait être mon réflexe. [...] On ne peut pas s’attendre à toujours avoir des soins au moment où on en a besoin, sauf si on a une condition grave. [...] Je vais répondre à son besoin, je vais regarder les bonnes ressources, mais la population aussi doit le faire. 

« C’est sûr que le concept de fast food de l’urgence, c’est alléchant. Mais il y a beaucoup de chances que dans trois jours, le patient aille mieux. Il faut vraiment le voir comme de la pertinence des services. Il faut que j’amène les gens à être patients. »

— Une citation de  Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Département de médecine d'urgence
Un médecin analyse des données à un ordinateur.

« On a compris comment rendre nos urgences beaucoup plus fluide. Je suis moins inquiète pour la sécurité maintenant », affirme la Dre Couture.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

La Dre Couture est positive : elle voit déjà le changement. On est beaucoup plus outillés qu’avant, ajoute-t-elle. On dirait qu’on a mis la population souvent à l’écart. On a dit comment fonctionner dans les établissements, mais en oubliant que la communauté à un rôle à jouer.

Tous les professionnels admettent cependant qu’il reste encore énormément de travail à faire, autant dans les changements de paradigmes que dans le système lui-même. La pénurie de main-d’œuvre, les temps supplémentaires obligatoires (TSO), le vieillissement de la population sont tous des facteurs qui contribuent à la fatigue du corps médical. Bianca Richard a d'ailleurs fait des heures supplémentaires la veille. Ce soir encore, au moins une infirmière devra faire un TSO. L'infirmière ne sait pas si elle sera toujours sur place, dans cinq ans.

J’adore l’urgence, c’est un milieu vraiment extraordinaire. Mais justement, la pression qui est sur nous, d’être toujours prise entre la population et le réseau, c’est difficile à vivre au final. [...] On nous en demande toujours plus, alors c’est sûr qu’au final, ça devient de plus en plus difficile.

Une infirmière sourit.

« À un moment donné, c'est difficile sur le corps. Mais, je suis encore jeune, c'est correct », affirme l'infirmière Joëlle Morneau, qui affirme adorer son travail à l'urgence.

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Il est 21 h et nous sommes sur le point de quitter l’urgence. Au moment où nous revêtons nos manteaux, un branle-bas de combat s’amorce dans la salle de réanimation. Un patient en situation critique est attendu dans les prochaines minutes, et le personnel s’organise en préparant les injections et les appareils de réanimation. Comme quoi les soirées tranquilles peuvent rapidement devenir chaotiques… et si notre soirée tire à sa fin, celle des employés de l’urgence semble visiblement loin d’être terminée.

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