Mort de Sammy Yatim : la thèse du suicide ne pourra pas être présentée au jury du coroner

Le Dr David Cameron, qui présidera les audiences, aura pris plus de quatre mois pour délibérer au sujet de la requête des avocats de James Forcillo, qui a déjà purgé sa peine pour tentative de meurtre.

Il donne ainsi raison aux autres parties représentées dans cette enquête qui s'étaient vivement opposées à une telle demande lors d'une audience virtuelle spéciale en novembre, qui avait forcé l'annulation des audiences à la dernière minute.

Dans sa décision, le coroner explique qu'il n'y a pas lieu d'étendre la portée de l'enquête sur les circonstances entourant la mort de Sammy Yatim.

La thèse du suicide par intervention policière est injustifiée, si bien qu'il ne sera pas nécessaire d'appeler à la barre des témoins des experts sur la question, déclare-t-il.

Le Dr Cameron rejette par ailleurs les informations caviardées et avancées en preuves lors du procès de l'agent Forcillo au sujet des informations recueillies dans le téléphone cellulaire du jeune homme.

La défense de l'ancien policier voulait s'en servir lors de l'enquête, peu importe la décision du coroner d'accepter ou non la théorie du suicide par intervention policière.

Le coroner qui présidera à l'enquête a rendu un jugement de 25 pages dans lequel il rejette la théorie de James Forcillo et précise mieux la portée de l'enquête.

Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Nadeau

Le Dr Cameron explique notamment que les recherches d'informations sont trop éloignées dans le temps et que certaines d'entre elles remontent à plus de six mois avant la mort du jeune homme.

Rien ne prouve en outre que ce soit Sammy Yatim qui ait fait les recherches sur Google sur les façons de mourir sans douleur.

Ce genre de preuves ne sont donc pas fiables et il n'existe aucun lien direct qui suggère que M. Yatim voulait mettre fin à ses jours ce soir-là en confrontant des policiers, dit-il.

Le coroner affirme néanmoins que l'état mental dans lequel se trouvait la victime est important, mais seulement dans les moments qui ont précédé sa mort dans le tramway et durant son altercation avec la police.

Les preuves entourant l'état d'esprit du défunt peuvent être un élément essentiel pour comprendre le mode de sa mort [...] il est toujours légitime de peser le potentiel de la propension au suicide chez les sujets déprimés et de ne pas hésiter à le faire, écrit-il.

Le coroner se dit enfin inquiet au sujet de la distraction qu'une telle théorie pourrait causer lors des audiences à venir alors que l'objectif de l'enquête est de soumettre au gouvernement des recommandations afin que pareille situation ne se reproduise dans l'avenir.

Report in extremis

L'enquête du coroner, qui a été reportée à la dernière minute le 14 novembre dernier, doit notamment porter sur les circonstances entourant la mort de Sammy Yatim et la formation des policiers lorsqu'ils interagissent avec des citoyens en détresse sur la voie publique.

Sammy Yatim a été abattu par l'agent James Forcillo au moment où il brandissait un couteau dans un tramway de la métropole le soir du 27 juillet 2013.

Sammy Yatim dans un tramway de Toronto dans les dernières minutes de sa vie.

Photo : Caméra de surveillance du CTT

Forcillo avait été reconnu coupable et condamné en 2016 à six ans de prison pour tentative de meurtre contre Sammy Yatim. Il avait obtenu une libération conditionnelle en janvier 2020 après avoir purgé 4 ans de prison.

L'agent Forcillo avait été renvoyé du service de police de Toronto dès la tombée du verdict de culpabilité.

L'un de ses avocats, Me Badali, avait demandé à ce qu'un verdict de suicide soit présenté au jury du coroner, alors que le verdict doit en être un d'homicide à la lumière des conclusions du procès criminel.

Au Canada, seuls cinq verdicts sont possibles à la fin d'une enquête du coroner : suicide, homicide, accident, mort naturelle ou mort indéterminée.

Théorie du suicide

Fait inusité : James Forcillo avait été acquitté d'une accusation principale de meurtre non prémédité pour les trois premiers coups de feu qu'il avait tirés en direction de l'adolescent.

Le policier avait toutefois été reconnu coupable de tentative de meurtre pour les six derniers coups de feu contre la victime qui gisait déjà sur le plancher du train.

Me Badali soutenait lors des audiences en novembre que le suicide pourrait être l'une des façons dont Sammy Yatim est mort, parce qu'il était dépressif et qu'il voulait provoquer la police afin qu'elle lui tire dessus.

Son état d'esprit six mois avant sa mort ne pouvait être écarté du revers de la main, selon lui.

Le policier James Forcillo sort du palais de justice du centre-ville de Toronto lors de son procès à l'automne 2016.

Photo : La Presse canadienne / Chris Young

Il avait rappelé que Sammy Yatim refusait de lâcher son couteau lorsque l'agent Forcillo lui avait demandé de le faire et que la victime n'avait donc pas compris l'ultimatum de son client.

Il est raisonnable d'envisager que Sammy Yatim a provoqué la police parce qu'il voulait s'enlever la vie, avait-il dit.

La théorie de suicide par policier interposé n'est pas incompatible avec la façon d'améliorer la formation des policiers, avait-il précisé.

L'entrée de la cour du Coroner de Toronto dans le nord de la métropole.

Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Nadeau

Il avait rappelé à la cour que les preuves dans cette affaire montrent que Sammy Yatim venait d'être jeté dans la rue par son père, qu'il était sans le sou et qu'il avait des problèmes de toxicomanie.

Ses recherches sur Internet suggèrent par ailleurs qu'il a cherché des façons de s'enlever la vie.

Le rapport toxicologique d'autopsie avait en outre révélé que le sang du jeune homme contenait des traces de THC, d'amphétamine et de cocaïne.

Le juge au procès de James Forcillo avait néanmoins refusé les preuves de la défense à ce sujet, en les qualifiant de conjecturales.

Avec la décision du coroner de rejeter la requête de James Forcillo, les audiences sur la mort de Sammy Yatim peuvent maintenant débuter, mais aucune date n'a encore été dégagée pour le moment.