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Sous les bombes, des Ukrainiens défendent l’héritage viticole de leur pays

Mykhailo Molchanov, le mari de Svitlana Molchanova, fait un signe de paix à côté d'une roquette plantée dans le sol du vignoble Slivino.

Mykhailo Molchanov, le mari de Svitlana Molchanova, pose à côté d'une roquette en plein milieu des vignes du vignoble Slivino.

Photo : Fournie par le vignoble Slivino

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux vignobles ukrainiens ont été détruits ou parsemés d’explosifs. Face à l’envahisseur et aux tirs d’obus, des vignerons continuent tout de même de presser le raisin dans l’espoir de faire de l’Ukraine un producteur de grands vins. L’une d’entre eux, réfugiée à Toronto, a même décidé de retourner auprès de ses vignes, malgré le danger.

Prendre soin des vignes et chanter est ce qui a permis à Svitlana Molchanova de tenir le coup pendant les trois premiers mois de l’invasion russe. Son vignoble familial, appelé Slivino, est situé sur les flancs du village du même nom, à une quinzaine de kilomètres de Mykolaiv. La ville, située dans le sud de l’Ukraine, a été pilonnée par l’armée russe dès le début du conflit.

Moins de 10 jours après le début de la guerre, une roquette a atterri en plein cœur des vignes. Presque un an plus tard, trois membres de la famille et trois employés sont toujours sur place.

Quand ils avaient peur et qu’ils commençaient à être déprimés, ils continuaient à se motiver pour aller travailler. Ma mère disait à mon père d’aller élaguer les vignes. La ville était très proche de la ligne de front et ils voyaient les roquettes voler au-dessus de leur tête, raconte Mariia Molchanova, en traduisant pour sa mère Svitlana, qui a trouvé refuge à Toronto en juin.

Les Molchanov, qui possèdent aussi une entreprise d’eau embouteillée, ont décidé de rester à Mykolaiev pour fournir des emplois et de l’eau aux résidents.

C’est ce qui les a aidés à traverser tout cela, croit Mariia Molchanova.

Svitlana Molchanova en compagnie de son mari Mykhailo Milchanov et de leur fils Georgiy Molchanov dans leur vignoble en hiver.

Svitlana Molchanova en compagnie de son mari, Mykhailo Milchanov, et de leur fils, Georgiy Molchanov, au vignoble Slivino, en Ukraine.

Photo : Fournie par le vignoble Slivino

Émerger malgré les bombes

Bien que beaucoup de vignobles continuent leurs opérations, les ravages de la guerre ont porté un coup dur à l’industrie viticole du pays, qui commençait tout juste à découvrir son potentiel.

En 2018, le gouvernement ukrainien a décidé de stimuler l'industrie viticole ukrainienne en simplifiant le processus d’obtention de permis de vente de vin. La mesure a permis l'émergence de vignobles artisanaux comme celui des Molchanov, explique Jenia Nikolaichuk, une experte en vin ukrainien.

La politique du gouvernement a également été une bouffée d’air pour l’industrie qui avait été ravagée par la politique de lutte contre l’alcoolisme du président Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 1980, puis amputée de milliers d’hectares de vignes lors de l'annexion de la Crimée par Moscou.

La qualité du vin ukrainien a vraiment commencé à s'améliorer, affirme la jeune femme.

Deux roquettes plantées dans un champ près du vignoble Slivino.

Depuis le début de la guerre, plusieurs roquettes sont tombées près du vignoble Slivino.

Photo : Fournie par le vignoble Slivino

L’invasion russe de l’Ukraine a toutefois transformé la viticulture en une profession périlleuse. Plusieurs vignerons ont été tués dans des bombardements ou par des explosifs tombés dans leurs champs, raconte le fils de Svitlana, Georgiy Molchanov, qui travaille toujours sur le vignoble avec son père.

Les vignobles doivent aussi composer avec la perte d’employés partis au front ou à l’étranger, les coupures prolongées d’électricité et l’explosion des coûts des produits comme l’essence et les bouteilles de verre.

Mais pour les Molchanov, pas question de se laisser abattre.

« Il faut des années aux vignes pour pousser, comme des bébés. On ne peut pas les apporter avec nous. On leur consacre beaucoup de temps et on ne peut pas les abandonner. »

— Une citation de  Georgiy Molchanov, vigneron

Le vigneron compare la viticulture en temps de guerre à un acte de résistance.

Des bouteilles de vin du vignoble Slivino.

Le vignoble Slivino produit 3000 bouteilles de vin annuellement.

Photo : Fournie par le vignoble Slivino

Cela montre que nous sommes restés sur nos terres. Le vin est un produit culturel du terroir, de notre région, ajoute-t-il. Il nous parle grâce à son téléphone portable de sa voiture, alors que son village est plongé dans la pénombre par une coupure d’électricité.

Le vin ukrainien de plus en plus apprécié

Depuis Toronto, Mariia Molchanova s’occupe des médias sociaux de l’entreprise familiale et reçoit régulièrement des commandes pour le vin de sa famille.

Le petit vignoble produit 3000 bouteilles par année, qu’il exporte à travers le pays.

Les 140 bouteilles de riesling à la lavande qu’il a récemment mises sur le marché se sont vendues en une journée seulement.

Une photo de l'étiquette de la bouteille, laquelle représente une bouteille de vin qui gicle montée sur un lance-roquette.

Les Molchanov ont voulu faire un pied de nez à la guerre en appelant un de leur vin « Grad Cru », un jeu de mots faisant référence au vin et à un lance-roquette russe. L'étiquette de la bouteille représente une bouteille de vin mousseux qui gicle, montée sur un lance-roquette.

Photo : Radio-Canada

Avant la guerre, l’intérêt pour les produits ukrainiens avait déjà commencé à croître, mais depuis le début du conflit, les gens veulent soutenir les petites entreprises ukrainiennes, explique la jeune femme.

La vente de leur vin mousseux appelé Grad Cru – un jeu de mots avec l'expression grand cru, qui désigne un vin de qualité supérieure, et le terme Grad, en référence au BM-21 Grad, un lance-roquette russe – leur a également permis de lever l'équivalent de plusieurs milliers de dollars canadiens pour l’armée ukrainienne.

Le vignoble Shabo, près d’Odessa, souligne toutefois que le départ de millions d’Ukrainiens qui ont fui le pays depuis le début du conflit a considérablement réduit la taille du marché domestique.

Son co-fondateur, Giorgi Iukuridze, explique que 70 % des ventes [de vin] sont faites aux femmes et les 7 millions de [personnes qui ont quitté le pays] sont presque toutes des femmes et des enfants. C’est donc difficile pour le marché domestique.

L’homme, qui a appris le français en travaillant dans les vignobles de l’Hexagone, rêve aujourd’hui de faire des vins d’aussi bonne qualité que de grands pays producteurs comme la France, l’Espagne et l’Italie.

Le grand bâtiment en briques qui accueille le vignoble Shabo, entouré de vignes.

Le vignoble Shabo produit 30 millions de bouteilles d'alcool annuellement, dont 6 à 8 millions de bouteilles de vin.

Photo : Fournie par le vignoble Shabo

Avec ses 1200 hectares de vignes et ses 6 à 8 millions de bouteilles de vin produites annuellement, le vignoble de Giorgi Iukuridze est d’ailleurs l’un des plus importants au pays. Il a déjà réussi à percer le marché international en exportant dans une vingtaine de pays comme le Danemark, le Japon, la Chine et les États-Unis. Il dit que son vin a également été vendu à la Régie des alcools de l'Ontario (LCBO) en Ontario et que des négociations sont en cours avec la Société des alcools du Québec (SAQ).

L’explosion des coûts de production et de transports lui complique toutefois la tâche.

Nous devons prendre une nouvelle route pour exporter nos vins en Asie et cela fait augmenter les coûts. Nous n’avons donc plus de commandes parce que les coûts [de transport] font en sorte que nos vins ne sont plus compétitifs, déplore Giorgi Iukuridze.

Cultiver l'âme d'une nation

Moins d’un an après son arrivée au Canada, Svitlana Molchanova a déjà décidé de quitter le pays pour retourner auprès de son mari et des vignes.

En viticulture, peu importe les saisons, il y a toujours quelque chose à faire. [...] On ne peut pas quitter les vignes, explique-t-elle.

Sa fille Mariia comprend sa décision.

Pour nous, il s’agit de perpétuer le legs de notre région, qui a une longue histoire viticole, dit-elle.

La famille Molchanov a déjà décidé d’appeler le vin qu’elle produira en 2023, le vin de la victoire.

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