Pérou : le Parlement rejette la demande d’élections anticipées de la présidente

Manifestation à Juiaca dans le sud du Pérou.
Photo : afp via getty images / JUAN CARLOS CISNEROS
Le Parlement a rejeté vendredi la demande de la présidente du Pérou, Dina Boluarte, pour tenir des élections anticipées pour sortir « du bourbier » le pays secoué par des protestations massives qui ont fait 47 morts depuis décembre.
Les manifestants réclament la démission de la présidente par intérim, Dina Boluarte, ainsi que la tenue rapide de nouvelles élections générales. Un projet de loi déposé vendredi prévoyait de devancer les élections à décembre 2023, au lieu d'avril 2024 comme cela avait été décidé le mois dernier.
En séance plénière, les parlementaires ont rejeté le texte par 65 voix contre, 45 voix pour, et 2 abstentions.
Le président du Parlement, José Williams, a ensuite reçu une demande de reconsidération du vote
qui pourrait être débattue lundi, bien qu'il semble désormais très difficile de revenir sur le résultat.
Dina Boluarte a déploré samedi que le Parlement n'ait pas été en mesure de convenir d'une date pour les élections générales, lors desquelles les Péruviens pourront élire librement et démocratiquement les nouvelles autorités
.
Nous demandons instamment aux députés de mettre de côté les intérêts partisans et de faire primer les intérêts du Pérou
, a-t-elle ajouté sur Twitter.
Plaidoyer pour débloquer le pays
La présidente par intérim avait appelé vendredi à de telles élections anticipées afin de sortir le pays du bourbier
.
Elle a dit ainsi soutenir l'initiative de l'opposition de devancer à décembre 2023 les élections présidentielles et législatives.
Mme Boluarte dirige le Pérou depuis la destitution le 7 décembre par le Parlement de l'ancien président élu, Pedro Castillo, ce qui a déclenché de violentes manifestations au cours desquelles 46 civils et 1 policier ont péri.
Son mandat devait à l'origine courir jusqu'en 2026, soit au terme du mandat qu'aurait dû accomplir son prédécesseur.
Mais pour contenir la grogne naissante, le Parlement avait décidé de devancer les élections générales à avril 2024.
Cependant, les protestations continuent, il y a plus de blocages et de violence
, a observé Mme Boluarte.
Elle s'exprimait depuis l'aéroport de Lima, d'où étaient envoyés médicaments et matériel médical dans le sud du pays paralysé par les blocages routiers.
Nous soumettons ce projet de loi [...] afin de devancer les élections à décembre 2023
, a-t-elle annoncé. Dès que le Parlement validera cette échéance, nous, au sein de l'exécutif, demanderons immédiatement ces élections
, a-t-elle précisé.
Personne n'a intérêt à s'accrocher au pouvoir. [...] Je n'ai aucun intérêt à rester à la présidence
, a encore assuré la présidente. Elle affirme y demeurer jusqu'à ce que le Parlement [...] convoque des élections
pour assumer sa responsabilité constitutionnelle
.
Le porte-parole du Département d'État américain, Vedant Patel, a dit vendredi soutenir les efforts continus pour des voies de dialogue
et a répété ses appels au calme
.
On ne va pas attendre. Il faut que ce soit maintenant
, a réagi Sandra Zorela, une enseignante de 53 ans à Cuzco, dont les rues sont désormais désertes. La plupart des hôtels et restaurants sont fermés, les touristes n'affluant plus dans cette ville pour visiter le Machu Picchu, joyau du tourisme péruvien fermé en raison des troubles.
Eddy Longobardi, un musicien de 40 ans, dit lui que [nous] les Péruviens, nous ne sommes pas intéressés par cette date de décembre 2023
. Il veut que dans les deux mois
Mme Boluarte démissionne.
Barrages, blocage et pénuries
Face à la centaine de barrages routiers érigés, principalement dans le sud du pays, les ministères de l'Intérieur et de la Défense ont annoncé que la police nationale du Pérou, avec l'appui des forces armées, va effectuer le déblocage des routes
.
L'autoroute centrale qui relie les Andes et constitue la principale voie d'importation de produits alimentaires vers Lima est bloquée, des centaines de camions ne peuvent pas circuler.
Ces barrages entraînent des pénuries de produits de base et de carburant, font grimper les prix et, selon le gouvernement, compliquent l'accès aux soins et l'arrivée des médicaments dans plusieurs régions.
Le gouvernement a accusé les barrages d'être directement à l'origine de 10 décès, dont ceux de 3 enfants qui n'ont pu, selon lui, recevoir à temps les soins dont ils avaient besoin.
Il n'y a pas de gaz ni d'essence. Dans les commerces, on ne trouve que des denrées non périssables et tout est très cher, jusqu'à trois fois le prix normal
, a expliqué vendredi à l'AFP Guillermo Sandino, un expert en marketing basé à Ica, à 300 km au sud de Lima.
Le tourisme durement frappé
La crise politique a également durement frappé le secteur touristique qui a perdu 5,7 millions d'euros par jour entre juin 2022 et fin janvier, selon le ministère péruvien du Tourisme.
Les manifestations se poursuivent quotidiennement, notamment dans les régions pauvres andines du Sud, qui soutenaient M. Castillo et voyaient son élection comme une revanche sur ce qu'elles considèrent être le mépris de Lima.
Dans la capitale où ont convergé de nombreux Péruviens opposés à la présidente, les affrontements déclenchés jeudi ont repris vendredi.
La ministre des Affaires étrangères, Ana Cecilia Gervasi, a affirmé que le gouvernement était tout à fait conscient des problèmes rencontrés par certaines populations historiquement vulnérables et marginalisées qui ont soutenu le président précédent
.
S'exprimant lors d'une réunion virtuelle dirigée par le secrétaire d'État américain, Anthony Blinken, sur un partenariat économique des Amériques, la ministre a assuré que des élections seraient organisées
au Pérou, dans le cadre de la Constitution et de l'État de droit
.