Commémoration de l’Holocauste : cette haine qui reste

Le Musée de l'Holocauste de Montréal met l'accent sur le contexte social qui a mené au génocide.
Photo : Instagram/Musée de l'Holocauste Montréal
« Pour les enfants, vous avez ce jeu de plateau qui ressemble à Serpents et échelles. Mais ici, on a gagné quand on a mis les Juifs en dehors d’Allemagne. »
Au cœur de l’exposition Apprendre, ressentir, se souvenir, agir
, la directrice adjointe du Musée de l’Holocauste de Montréal, Audrey Licop, passe en revue les différents objets de propagande nazie distribués aux enfants et aux adultes. Des objets qui n’avaient qu’un seul but : inculquer la haine des Juifs.
En cette Journée internationale de commémoration de l'Holocauste, qui marque le 78e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, Mme Licop insiste : on aurait tort de croire que l’antisémitisme est une chose du passé.
En témoigne le détecteur de métal, sous lequel tous doivent passer avant de pouvoir entrer dans le musée.
« C’est toujours un combat et ça l’a toujours été. Mais ces dernières années, c’est pire. Vous seriez venu il y a trois ans, et vous n’auriez pas eu à passer le détecteur de métal. »
Comment expliquer que l’antisémitisme continue de se frayer un chemin dans nos sociétés? Et que faire devant sa résurgence? Des experts se prononcent.
Une locomotive
de nombreux discours haineux
L’antisémitisme et la théorie du complot juif, c’est vraiment une locomotive du conspirationnisme et des mouvements extrémistes
, explique David Morin, codirecteur de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
Cette idéologie, qui consiste souvent à prétendre que le monde serait secrètement contrôlé par des Juifs, responsable d’horreurs et de calamités, est clairement omniprésente, et elle a traversé le temps et l’histoire
, selon M. Morin.
On le retrouve au carrefour de plein de formes d'extrémismes violents, que ce soit l’extrême droite, que ce soit le djihadisme et même, dans une certaine mesure, une partie de l’extrême gauche
, ajoute-t-il.
Ce qui explique, selon M. Morin, que l'antisémitisme teinte et s'infiltre dans différents mouvements.
On peut citer comme exemple le mouvement de contestation des mesures sanitaires. On a vu dans des manifestations en France et ici des pancartes avec la mention "Qui?", faisant référence à l'idée selon laquelle ce serait des gens de confession juive qui seraient dans les postes importants de décision
, avance-t-il.
Si cette haine est en résurgence, c'est entre autres parce que l’histoire de l’Holocauste tend à s’effacer, croit le chercheur.

Il y a 78 ans, le 27 janvier 1945, le camp de concentration d’Auschwitz était libéré. Partout dans le monde, on s'est souvenus des 6 millions de victimes du génocide et des survivants, dont les vies ont été marquées à tout jamais. Reportage de Mathieu Gohier.
Un néonazi a d'ailleurs été reconnu coupable cette semaine d'avoir incité à la haine des Juifs dans de nombreux écrits publiés en ligne sur des plateformes d'extrême droite.
« Vous savez, la mémoire est une faculté qui oublie. On s’aperçoit, sondage après sondage, qu’une part de plus en plus importante de la population ne sait pas ce que c’est que l’Holocauste. »
Mais l’antisémitisme n’est pas la seule idéologie à servir de catalyseur de nombreux discours haineux, précise David Morin. Depuis 20 ou 30 ans, l’islamophobie a pris du galon. Après les Juifs, il y a cette idée que ce sont les musulmans qui ne sont pas compatibles avec les sociétés démocratiques occidentales, qui auraient un agenda prosélyte qui viseraient à conquérir le monde.
Deux idéologies, précise-t-il, qui découlent de pans de la population [qui] essaient de trouver des boucs émissaires pour faire passer leur colère, leur haine
.
Déconstruire la haine de l’autre
Il y a donc fort à faire pour combattre les préjugés en société, selon la professeure Sivian Hirsch, qui pilote à l’Université du Québec à Trois-Rivières un projet sur l’enseignement de l’histoire des génocides aux plus jeunes.
Honnêtement, dit-elle, les enseignants ont souvent évité de parler des génocides, parce que ce sont des événements extrêmement complexes.
Elle souhaite ainsi leur offrir un outil clés en main
pour les aider à aborder ces sujets en classe.
« On veut leur montrer comment ça se construit, le racisme, et comment ça se déconstruit aussi. Parce qu’il s’agit d’une construction sociale. C'est une idée que l’on se fait de l'autre. Et cette idée, on est capable de la déconstruire. Mais il faut bien comprendre les phénomènes pour pouvoir le faire. »
Audrey Licop est au diapason de cette approche, elle qui croit qu’il faut retourner aux sources de ce qui a rendu le génocide des Juifs possible pour en saisir toute la portée.
C’est une histoire complexe, celle de l’Holocauste, qui prend ses racines bien avant la guerre, et bien avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir
, rappelle-t-elle.
David Morin plaide lui aussi pour un devoir de mémoire
, qui passe d'abord et avant tout par l’enseignement aux plus jeunes.
Il faut leur rappeler ces pans terribles de notre histoire humaine collective, pour qu’ils n’oublient jamais, dit-il. D’autant plus que les dernières personnes qui ont vécu ces horreurs vont bientôt disparaître. Qui va porter cette mémoire collective là?
C’est un travail de longue haleine, et un travail répétitif. À chaque génération, il faut le recommencer. Mais c’est le prix à payer pour espérer que l’histoire ne se répète pas
, ajoute-t-il.