Pourquoi diffuser la vidéo montrant l’arrestation brutale de Tyre Nichols?
Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, répond à nos questions.

La mort de Tyre Nichols trouve un écho particulier aux États-Unis, un pays encore marqué par le meurtre de George Floyd par un policier, en mai 2020.
Photo : Getty Images / Scott Olson
« Horrifiante », « choquante », « épouvantable »… C’est ainsi que les proches de Tyre Nichols ont décrit la vidéo montrant le passage à tabac fatal de cet Afro-Américain par cinq policiers noirs. La Ville de Memphis a choisi de diffuser ces images violentes, alors que les appels au calme se multiplient avant des manifestations prévues en réaction à cette publication. Mais pourquoi rendre publiques ces images?
Selon Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, il s’agit avant tout d’une question de transparence
.
C’est l’élément-clé dans tout ça, parce qu’on l’a vu dans plusieurs autres cas de brutalité policière, notamment contre des Afro-Américains : quand les vidéos sont rendues publiques des mois après les faits, ça ne démontre pas de la transparence de la part des services de police, ou de la Ville, ou des autorités de façon générale
, explique Mme Beaudoin.
« Je crois que les autorités américaines ont appris des erreurs du passé, et là, elles souhaitent y aller en amont. [...] Il faut se rappeler que la famille et les avocats de Tyre Nichols ont vu la vidéo. Donc, c’est certain qu’ils vont en parler et les autorités sont conscientes de cela. »
L’arrestation fatale de ce jeune homme de 29 ans rappelle celle de l'Afro-Américain George Floyd, tué par un policier en mai 2020 à Minneapolis. Des manifestations contre le racisme et les violences policières avaient alors embrasé le pays, fédérées autour du mouvement Black Lives Matter [La vie des Noirs compte].
Mais à la différence de Tyre Nichols, la mort de George Floyd avait été filmée en direct par un témoin de la scène. La vidéo de 8 minutes et 46 secondes, devenue virale, montrait l’homme en train de suffoquer sous le genou d’un policier.
Le cas de George Floyd est le point tournant des dernières années
, selon Valérie Beaudoin. Depuis, on sait à quel point une vidéo peut changer une histoire derrière une arrestation ou un décès. Car, sans ces images, on n’aurait pas eu la même conclusion, et il y a de fortes chances que le policier [accusé soit] encore en train de patrouiller aujourd'hui.
« Je pense que les mentalités ont changé depuis [la mort de George Floyd]. Les autorités sont conscientes que tout va finir par se savoir et elles tentent donc de contrôler le message le plus possible, même si cela risque de provoquer de la colère. »
Quand mon mari et moi sommes arrivés à l'hôpital et que j'ai vu mon fils, il était déjà mort. Ils l'avaient réduit en bouillie. Il avait des bleus partout, sa tête était enflée comme une pastèque
, a raconté en larmes RowVaughn Wells, la mère de Tyre Nichols, dans une entrevue diffusée vendredi sur la chaîne CNN.
La cheffe de la police de Memphis, Cerelyn Davis, a de son côté prévenu que la vidéo montrant l'interpellation du jeune homme était comparable, voire pire
à celle montrant l'arrestation policière violente de Rodney King en 1991. L'acquittement, un an plus tard, des quatre policiers impliqués avait déclenché des émeutes sans précédent à Los Angeles.
Selon Mme Davis, la vidéo est divisée en quatre séquences différentes : le contrôle [routier] initial, celui à proximité de la maison de Tyre et la caméra portative de plusieurs personnes sur place
. Le tout doit durer une heure.
Incidemment, quelques heures avant la diffusion des images montrant l’arrestation brutale de Tyre Nichols, la vidéo de l'agression à coups de marteau du mari de l'ex-présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a été rendue publique sur décision d'un juge, en dépit de l'opposition des parties, défense comme accusation.
Chaque service de police de chaque Municipalité de chaque État a ses propres lois en ce qui concerne la diffusion de ce genre d’images
, rappelle Valérie Beaudoin. Mais, dans la plupart des cas, c'est un juge qui va finir par décider, parce qu’il y a un élément d’intérêt public.
Dans le cas de la vidéo montrant l’agression contre le mari de Mme Pelosi, tout comme dans celui de Tyre Nichols, c’est une question de transparence avant tout
, estime la chercheuse.