Les élus désertent les conseils municipaux du Québec
Un peu plus d'un an après les dernières élections municipales, Élections Québec remarque une hausse « significative » du nombre de démissions au sein des conseils municipaux de la province.

L'ancien maire d'Authier en Abitibi-Témiscamingue, Marcel Cloutier, a remis sa démission en novembre 2022.
Photo : Radio-Canada / Guillaume Renaud
Marcel Cloutier a intégré le conseil municipal de son village natal, la petite municipalité d’Authier en Abitibi-Ouest, il y a plus de 17 ans. Curieux et intéressé d’en apprendre plus sur cette forme de politique, il y trouve une véritable passion.
J’ai pu apprendre comment fonctionne une municipalité et j’ai bien aimé ça. J’ai eu la piqûre
, raconte-t-il.
Quelques années plus tard, il est élu maire. Un poste qu’il occupe pendant neuf ans, jusqu’à sa démission en novembre dernier. La principale raison du départ de Marcel Cloutier : la rigidité du code de déontologie, imposé par la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale.
Comment faire pour développer nos petites municipalités si on est toujours menottés? Si ça continue, les petites paroisses ne pourront plus fonctionner.
Selon l’ancien maire de la municipalité d’environ 300 habitants, il est particulièrement difficile d’assurer le respect d’un code de déontologie dans une communauté comme celle d’Authier.
Même pour les petits contrats, les conseillers ne peuvent pas faire appel à des connaissances ou de la famille. C’est ça le gros défi des petites paroisses où tout le monde se connaît. On ne peut presque pas avoir recours à notre propre milieu pour fonctionner
, déplore-t-il.
Des données préoccupantes
L’ancien maire d’Authier est l’un des 311 élus qui ont quitté leur poste depuis les élections municipales du 7 novembre 2021. Selon Élections Québec, plus de 231 élections partielles ont dû être organisées afin de pourvoir les postes laissés vacants.
À pareille date, à la suite des élections du 5 novembre 2017, 181 élections partielles avaient dû être organisées afin de pourvoir 208 postes vacants.
Depuis les élections générales de 2021, on voit vraiment une tendance à la hausse au niveau des démissions.
L’augmentation observée entre les élections de 2017 et de 2021 affecte d’ailleurs davantage les municipalités de moins de 5000 habitants, qui ont dû déclencher 218 des 231 élections partielles tenues depuis 2021.
Le Bas-Saint-Laurent, Chaudière-Appalaches, l’Estrie, l’Abitibi-Témiscamingue et le Centre-du-Québec sont les cinq régions où le plus grand nombre d’élections partielles ont été organisées.
Nombre d’élections partielles organisées depuis l’élection générale du 7 novembre 2021
Régions | Nombre d'élections partielles |
---|---|
Bas-Saint-Laurent | 43 |
Chaudière-Appalaches | 32 |
Estrie | 22 |
Abitibi-Témiscamingue | 21 |
Centre-du-Québec | 17 |
Ces données n’ont toutefois rien de surprenant, selon le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et maire de Gaspé, Daniel Côté.
Selon ce qu’on nous disait sur le terrain, on se doutait bien qu’on finirait par constater une hausse globale des démissions. Maintenant, il faut trouver les raisons qui expliquent ça. C’est très préoccupant
, affirme-t-il.
Pour Daniel Côté, la cause la plus fréquente des démissions serait le climat de travail malsain généré par des tensions entre les élus, ou encore par une pression parfois excessive de certains citoyens.
C’est le bout le plus difficile. Il y a des citoyens qui vont être tellement vindicatifs à l'égard de leurs élus, qu’ils vont aller jusqu’à provoquer leur démission. Ça arrive aussi entre collègues. Selon moi, c’est une atteinte directe au système démocratique et c’est plus grave que tout le reste
, déplore le président de l’UMQ.
Un conseil décimé par les tensions internes

La municipalité de Roquemaure, en Abitibi-Ouest, compte environ 400 habitants.
Photo : Radio-Canada / Guillaume Renaud
À la suite d’une enquête sur le climat de travail malsain et les pratiques en place au sein du conseil municipal de Roquemaure, en Abitibi-Ouest, la Commission municipale du Québec a décidé en août dernier de placer la municipalité de 400 habitants sous tutelle.
La Direction des enquêtes et des poursuites en intégrité municipale avait alors été informée que plusieurs fonctionnaires avaient quitté la Municipalité dans les dernières années, dont quatre directrices générales depuis 2021.
Un conseiller – membre d’une majorité informelle qui siégeait au conseil – avait même informé les enquêteurs de son intention de mettre fin à l'emploi de l'actuelle directrice générale, France Pelletier.
C’était un climat de travail malsain. Des clans s’étaient formés et ça nuisait vraiment à la stabilité des opérations de la municipalité.
La Commission se réserve donc maintenant le pouvoir exclusif de nommer ou de destituer des employés de la Municipalité, ce qui a permis à la directrice générale de préserver son emploi.
La mise sous tutelle a suscité des réflexions chez certains membres du conseil. Des gens ont pu s’asseoir et se demander s’ils étaient là pour les bonnes raisons
, raconte France Pelletier.

France Pelletier est directrice générale de la municipalité de Roquemaure.
Photo : Radio-Canada / Guillaume Renaud
Deux élections partielles ont eu lieu à Roquemaure depuis l’élection générale de 2021 et deux postes de conseillers municipaux sont toujours à pourvoir. Malgré ces nombreux départs, la situation demeure tendue au conseil municipal.
Petite municipalité veut aussi dire que quelques familles se chicanent depuis des générations. On ressent encore ça aujourd’hui et je suis certaine que dans d’autres petites municipalités c’est un peu la même chose
, soutient France Pelletier.

Marcel Cloutier s'est impliqué pendant près de 20 ans au sein du conseil municipal d'Authier.
Photo : Radio-Canada / Guillaume Renaud
La formation de petits groupes au sein du conseil a également été source de préoccupation pour l’ancien maire d’Authier, Marcel Cloutier.
Je conseille aux autres élus de faire attention à ce niveau-là. On se connaît tous, c’est normal qu’il y ait des difficultés. On n’a pas le temps de s’attarder à des petites guerres comme ça, il faut s’asseoir ensemble pour faire avancer les choses
, lance-t-il.
Des pistes de solution
Selon Daniel Côté, président de l’UMQ, il serait bénéfique de mieux informer la population sur les tâches qu’impliquent les professions de maire ou de conseiller municipal.
On ne peut pas changer le monde avec une baguette magique quand on est élu municipal. Tout est encadré.
Un travail de valorisation de cette forme d’implication doit également être fait, selon Daniel Côté, qui rappelle au passage que malgré les nombreux défis, la politique municipale demeure un important vecteur de changement.
Le paquebot municipal se tourne beaucoup plus rapidement que le provincial et le fédéral. Quand on prend une décision, l’impact peut être assez direct auprès de la population. On peut vraiment améliorer notre milieu de vie au quotidien et il faut mettre ça de l’avant
, affirme-t-il.

Le président de l’UMQ et maire de Gaspé, Daniel Côté.
Photo : Radio-Canada / Roxanne Langlois
Pour le président de l’UMQ, le travail de valorisation de la profession pourrait notamment passer par une meilleure rémunération.
C’est pas très attractif de sacrifier une carrière pour un contrat de quatre ans dans une municipalité où un élu va gagner environ 10 000 $ par année pour un travail à temps plein. Cet aspect-là nuit beaucoup à l’implication en politique municipale
, déplore Daniel Côté.
Notons que la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a décliné notre demande d’entrevue. Dans une réaction écrite, elle affirme avoir l’intention d’appuyer certaines initiatives visant à favoriser la participation citoyenne pour une saine démocratie municipale
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