Pas de belles dents, pas de greffe du cœur
Des chirurgies, des greffes et même des traitements de chimiothérapie sont reportés en raison de « bouches en mauvais état ». L’Ordre des dentistes du Québec demande au gouvernement de rembourser les soins buccodentaires médicalement nécessaires.

La clinique de médecine dentaire de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) évalue les dents des patients en attente de traitements cardiaques pour éviter l’entrée de bactéries par la bouche.
Photo : Radio-Canada / Pierre-Alexandre Bolduc
Une dizaine de réparations aux dents et cinq extractions. Bernard Noël ne s’attendait pas à passer des heures sur la chaise de la petite équipe de dentistes de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) avant de pouvoir accéder à une greffe du cœur.
Les soins dentaires, j’ai appris que c’était directement relié avec le cœur… Je ne savais pas avant
, lance Bernard Noël.
C’est que son cœur ne fonctionne plus bien depuis les fêtes. Il attend d’en recevoir un tout neuf à tout moment. Mais pour que les chirurgiens l'opèrent, il doit avoir une santé buccodentaire impeccable afin d'éviter des complications.
Sauf que ces soins ne sont pas remboursés par la RAMQ. Les patients doivent puiser dans leur poche. Bernard Noël l’admet, les nettoyages et examens dentaires n’ont pas été une priorité pendant la pandémie. Résultat, il y avait beaucoup de travail à faire.
J’ai pas encore la facture, mais ça va représenter sûrement une couple de mille
, soupire le Gaspésien qui doit en plus payer une chambre d’hôtel à Québec pour recevoir ses traitements à l’IUCPQ. Dans un hôpital, tu t’attends à ce que tous les soins que tu vas recevoir ici soient couverts.
Frapper un mur
La Dre Michelle Bourassa dirige la clinique de médecine dentaire à l’IUCPQ
. Elle analyse les dents des patients avant leur intervention cardiaque.L’objectif de la Dre Bourassa est d’éviter des endomyocardites : des infections de microbes qui entrent par la bouche et qui peuvent ensuite détruire des valves du cœur.
Les chirurgiens vont refuser de traiter les patients qui n’auront pas une santé buccodentaire adéquate, soutient la chirurgienne-dentiste. Parce que le risque de complications sévères, jusqu’à mortel, est en jeu.
Elle demande au gouvernement d’aider financièrement les patients qui n’ont pas d’assurance pour éviter l’annulation ou le report de leur chirurgie faute de moyens financiers.
« Le patient arrive… frappe un mur, reçoit un coup de massue et doit réfléchir puis revoir son budget. C’est un enjeu important pour les patients. »
L’Ordre réclame des changements
C’est tout à fait révoltant! C’est inacceptable
, lance la présidente de l’Ordre des dentistes du Québec, la Dre Liliane Malczewski.
L’Ordre ignore le nombre exact de patients qui doivent repousser des chirurgies, des greffes ou des traitements de chimiothérapie, car chaque établissement garde ses données, mais la Dre Malczewski estime qu’il y a probablement des centaines de patients à la grandeur de la province
qui sont touchés par des coûts de soins buccodentaires trop élevés pour eux.
On demande une couverture de ces soins-là. On ne veut pas des situations catastrophiques où un patient repousse une chirurgie vitale parce qu’il ne peut pas se payer des soins dentaires qui sont médicalement requis et nécessaires.
La Dre Malczewski soutient que des dentistes prodiguent des soins gratuitement dans certains cas. Des œuvres de charité aident aussi des patients. Mais elle croit que la bouche fait partie du corps humain, et que comme les autres soins au Québec, les soins buccodentaires médicalement nécessaires devraient être couverts.
De la discrimination par l’argent
Ça nous met souvent dans des situations très, très difficiles
, souffle le Dr Matthieu Schmittbuhl.
Le médecin est le chef du Département de stomatologie du CHUM et professeur titulaire à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal. Il affirme qu’environ 200 patients par année au CHUM ont des soucis financiers et doivent être aidés afin de payer leurs soins dentaires pour ensuite avoir accès à leurs traitements.
« Qu’on ait les moyens, qu’on n’ait pas les moyens, on devrait avoir accès à ces soins! »
Les patients en oncologie sont déjà confrontés à des situations très sérieuses de cancer et de traitements souvent très lourds.
Le docteur Schmittbuhl explique que les patients en oncologie qui ont besoin de chimiothérapie ont souvent besoin d’un bilan dentaire avant de commencer leur traitement pour éviter d’éventuels foyers infectieux d'origine dentaire. La bouche est la partie du corps humain qui contient le plus de bactéries.
On est vraiment dans les soins essentiels qui peuvent compromettre ensuite un traitement et la guérison d’un patient. Faut pas l’oublier!
Une ouverture du gouvernement
Le ministère de la Santé et des Services sociaux soutient que le système de santé québécois offre des soins dentaires aux personnes ayant des problèmes de santé graves qui ont besoin de traitement de radiothérapie pour des cancers de la tête et du cou. Les enfants ont également accès à des traitements buccodentaires couverts par l’État.
Le gouvernement affirme que des démarches sont en cours afin d'élargir le programme actuellement en vigueur
pour favoriser un accès équitable aux soins dentaires aux gens en situation de vulnérabilité, dont les traitements dentaires s’avèrent médicalement requis afin d’augmenter leurs chances de guérison
.
Prenant la balle au bond. le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel-Nadeau Dubois a critiqué la « négligence » de la CAQ et des libéraux dans ce dossier.
« La bouche, ça fait partie du corps. Les soins dentaires devraient être couverts par la RAMQ, on le dit depuis longtemps » a-t-il tweeté lundi.
Pas d’argent pour le dentiste? Pas de greffe du coeur.
— Gabriel Nadeau-Dubois (@GNadeauDubois) January 30, 2023
La bouche, ça fait partie du corps. Les soins dentaires devraient être couverts par la RAMQ, on le dit depuis longtemps. Un triste exemple de la négligence des libéraux et caquistes dans ce dossier. https://t.co/mGGcQFLw0A
À Ottawa, les révélations de Radio-Canada ont également fait réagir Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD.
Une preuve de plus, s’il le fallait, de la nécessité du programme de soins dentaires qu’on force le gouvernement fédéral à mettre sur pied
, a-t-il écrit sur son compte Twitter. Plus tôt ce mois-ci, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a menacé de retirer son soutien au gouvernement libéral de Justin Trudeau si ce dernier ne présente pas de projet de loi sur la couverture des soins dentaires cette année.
Avec la collaboration de Pascal Poinlane et de Raphael Beaumont-Drouin