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Enquête

Hydro-Québec sous-utilise des barrages en pleine saison de pointe hivernale

Le potentiel perdu atteint 1000 mégawatts, au moment où le gouvernement Legault cherche à produire plus, en raison de la forte demande.

La centrale de Rivière-des-Prairies, entre Montréal et Laval, fonctionne au tiers de sa capacité.

La centrale de Rivière-des-Prairies, entre Montréal et Laval, fonctionne au tiers de sa capacité.

Photo : Radio-Canada / Daniel Thomas

Les turbines de plusieurs barrages sont à l'arrêt au Québec, en plein dans la période froide de l'année où Hydro-Québec doit maximiser sa production, révèle une enquête de Radio-Canada. Grâce à des sources et à des documents internes, nous avons pu dresser le portrait de cette sous-utilisation, estimée à 1000 mégawatts (MW).

Entre Montréal et Laval, la centrale hydroélectrique de Rivière-des-Prairies a le potentiel d'alimenter 12 000 foyers, avec ses 52 MW de puissance. Mais elle ne produit que 13 MW ces temps-ci, car quatre des six turbines sont à l'arrêt depuis des mois. Elles ont besoin de réparation et Hydro-Québec est en réflexion plus large sur l'avenir de la centrale.

Pendant ce temps, on peut voir l'eau non turbinée se déverser à travers l'évacuateur. Le barrage au fil de l'eau ne peut pas emmagasiner comme une centrale à réservoir. C'est du gaspillage de puissance et d'énergie perdues, selon une source haut placée à la société d'État, qui n'a pas l'autorisation de parler publiquement.

Vue aérienne du barrage de Rivière-des-Prairies. On voit clairement le déversement d'eau non turbinée, à travers l'évacuateur.

Vue aérienne du barrage de Rivière-des-Prairies. On voit clairement le déversement d'eau non turbinée, à travers l'évacuateur.

Photo : Google Earth

Beaucoup plus au nord, la plus importante centrale du Québec n’offre pas non plus son plein potentiel. Selon une communication interne que nous avons obtenue, un problème de transformateur empêche la centrale Robert-Bourassa (LG-2) d’injecter sa pleine puissance sur le réseau. Le déficit est de 700 MW (12 % de sa capacité).

À La Grande-1 (LG-1), c’est 116 MW (8 % de sa capacité). Autant de puissance perdue, à cause de réparations en cours. Une reprise n'est pas prévue avant le 7 février, alors que des journées très froides s'en viennent, dès vendredi.

C'est un scénario loin d'être idéal pour Hydro-Québec qui s'efforce chaque année de faire les réfections au printemps, à l'été et à l'automne. Selon un document confidentiel résumant les enjeux de production, Hydro-Québec doit maximiser la production en hiver.

« Nous visons à minimiser les indisponibilités de longue durée [plus de trois jours] entre le 15 novembre et le 31 mars afin d’avoir suffisamment de puissance disponible pour faire face à une vague de froid qui pourrait survenir à tout moment. »

— Une citation de  Document interne d'Hydro-Québec

Si la société d'État ne maximise pas sa puissance en prévision des périodes de forte demande, soit une centaine d'heures très froides de l'hiver, elle doit réduire les quantités d'électricité vendues à l'extérieur, et donc dire adieu aux profits associés, particulièrement lucratifs en période hivernale.

La centrale La Grande-1 (LG-1) est située près de Chisasibi, dans la région de la Baie-James.

La centrale La Grande-1 (LG-1) est située près de Chisasibi, dans la région de la Baie-James.

Photo : Hydro-Québec

Hydro-Québec indique que la capacité de production totale s'élevait malgré tout à 97,6 %, à la mi-janvier, soit environ 900 MW sur 37 000 MW de puissance installée du parc de production. Mais ça, c'était avant les difficultés vécues à LG-2. Il n’a pas été possible d’obtenir une mise à jour plus récente.

Mardi, autant le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie Pierre Fitzgibbon que la société d'État ont fait part des immenses besoins de puissance supplémentaire. De nouveaux projets industriels requièrent 23 000 MW additionnels et on ne pense pas pouvoir satisfaire la majorité d'entre eux.

Le déficit de maintenance en cause?

En Mauricie, selon nos sources, plusieurs barrages ne fonctionnent pas à pleine capacité, en raison de la désuétude et du manque d'entretien. Par exemple, la centrale La Gabelle perd presque la moitié de sa capacité (60 MW sur 131 MW) à cause de problèmes de transformateurs qui font le lien entre la centrale et le réseau de transport.

Toujours en Mauricie, la centrale La Trenche perd un potentiel de 50 MW (16 %), depuis octobre 2020 et d’autres barrages de la région ne turbinent pas à 100 %.

Un barrage hydroélectrique vue du ciel

La centrale La Gabelle sur la rivière Saint-Maurice

Photo : Hydro-Québec

En Outaouais, aux dernières nouvelles, la centrale Bryson n’était pas en mesure de délivrer toute sa puissance. Une perte de 20 MW, soit le tiers de sa capacité.

Le mois dernier, la PDG démissionnaire d'Hydro-Québec Sophie Brochu avait reconnu un sous-investissement en maintenance depuis 10-12 ans dans les infrastructures.

En décembre, la vérificatrice générale du Québec a conclu, dans un rapport, que la société d’État n'était pas outillée pour faire face au vieillissement de ses actifs, alors que les équipements à remplacer continueront à se multiplier dans les prochaines années.

Un manque à gagner

Selon les documents que nous avons obtenus, la sous-utilisation de la centrale La Trenche fait perdre 1,1 million de dollars à la société d'État. Le manque à gagner pourrait atteindre 2,7 millions pour Rocher-de-Grand-Mère et près de 3 millions pour La Gabelle.

Le potentiel de la centrale de Rivière-des-Prairies (52 MW) pourrait répondre à un ou plusieurs des 150 projets de 5 à 50 MW sur la table du gouvernement.

Ce barrage permet aussi d'alimenter un grand centre urbain de consommation, sans les défis du transport d'électricité sur de très longues distances.

« Normal » et « modeste », selon Hydro-Québec

Il est normal que des groupes turbine-alternateur ne soient pas en production en tout temps dans notre réseau, soit pour des raisons de maintenance ponctuelle ou encore parce que nous n’en avons pas besoin en raison de la demande, explique le porte-parole d'Hydro-Québec, Francis Labbé.

« En effet, la production d’électricité doit en tout temps être équivalente à la demande, qui fluctue d’heure en heure. »

— Une citation de  Francis Labbé, porte-parole d'Hydro-Québec

Son collègue Maxence Huard-Lefebvre, nous a toutefois expliqué, en décembre, que le cycle de retrait des groupes turbines doit se faire hors [période de] pointe et que nous profitons des périodes où la consommation est moins élevée pour procéder à des travaux, puis les remettons en service avant la pointe hivernale.

Le représentant d'Hydro-Québec regardant droit dans l'objectif de la caméra, lors d'une entrevue télévisée.

Maxence Huard-Lefebvre, porte-parole d'Hydro-Québec.

Photo : Radio-Canada

En ce qui concerne Rivière-des-Prairies, sa production est (très) modeste, malgré son envergure, explique Hydro-Québec. Nous réfléchissons au meilleur scénario à adopter. L’analyse se poursuit, ajoute le porte-parole.

Des fermetures complètes envisagées

Selon des documents obtenus par Radio-Canada, Hydro-Québec évalue la fermeture potentielle d'une demi-douzaine de petites centrales québécoises, parmi lesquelles

  • Grand-Mère (88 MW)

  • Hart Jaune (48 MW)

  • Rivière-des-Prairies (52 MW)

  • Sept Chutes (22 MW)

  • Saint-Narcisse (16,5 MW)

Fermer Rivière-des-Prairies coûterait de l’argent non seulement à Hydro-Québec, mais aussi au transporteur pour radier des actifs (de raccordement de la centrale) estimés à 20 millions de dollars. Selon un document de la Régie de l’énergie, un nouveau poste et deux nouvelles lignes souterraines ont été installées en 2009.

Du « gaspillage », selon un cadre

Une source haut placée à la société d'État n'en revient pas des réponses du service des communications. Si 50 MW c'est "modeste", parlez-en aux clients industriels qui attendent une alimentation, ils apprécieront.

Dans un contexte de pénurie énergétique, les petites centrales deviennent importantes, indique ce cadre. Il rappelle qu'Hydro-Québec vient d'acheter 13 barrages aux États-Unis pour 2 milliards de dollars, et certains d'entre eux ont une puissance aussi petite que 6 MW.

« L’aspect qui choque, c’est le gaspillage. De l’autre côté, on demande aux gens de moins consommer et de faire de la sobriété. »

— Une citation de  Un cadre d'Hydro-Québec, qui s'est confié à Radio-Canada

À titre de comparaison, face aux plus de 1000 MW inexploités, Hydro-Québec a obtenu l'an dernier des gains de 150 MW grâce à la tarification dynamique et de 14 MW avec le programme Hilo.

Une maintenance pour ajouter de la puissance

Hydro-Québec explique que certains travaux de maintenance permettront d'ajouter de la puissance à des centrales existantes, une approche qui se poursuivra de manière importante dans les années à venir.

On souhaite amorcer des projets visant l’ajout de 2000 MW de puissance dans nos centrales hydroélectriques existantes d’ici 2035, mentionne le porte-parole Maxence Huard-Lefebvre.

Il donne l'exemple de travaux qui seront réalisés à la centrale de la Trenche, qui permettront d’augmenter sa capacité d’environ 50 MW. Ces travaux débuteront en 2024.

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