Avec le webmagazine Le Nénuphar, Jacinthe Blais fait rayonner le Manitoba
Jacinthe Blais a choisi Sainte-Anne pour aller à la rencontre du monde.
Jacinthe Blais est l'éditrice du magazine en ligne franco-manitobain "Le Nénuphar".
Photo : Radio-Canada / Mathilde Gautier
Jacinthe Blais fait partie de ces personnes qui ont vécu plusieurs vies en une seule. Plus jeune, après avoir fait le tour du monde, elle rentre à Montréal, où elle a grandi, et y fait la connaissance de son mari japonais. La famille part quelques années plus tard à Vancouver pour ensuite s’installer définitivement à Sainte-Anne, au Manitoba, il y a 26 ans.
On ne connaissait pas du tout le Manitoba. Ce qui était important pour nous, c'était que les enfants puissent aller à l'école en français, mais il ne fallait pas que cela soit trop loin de Steinbach, alors notre choix s'est porté sur Sainte-Anne
, explique Jacinthe Blais.
Il y avait une école francophone, mais aussi une clinique, un hôpital, c'était idéal et ce n'était pas loin de Winnipeg
, se souvient-elle.
Arrivée le 1er avril 1996, la famille s’installe dans une maison de Sainte-Anne avec un grand jardin que Jacinthe Blais entreprend alors de rénover tout en cherchant un emploi et en s’occupant de ses deux enfants en bas âge.
Elle ne connaît encore personne et c’est toute une vie qu’elle a à construire au Manitoba. C’est dans ces conditions de nouvelle arrivante que sa vie bascule du jour au lendemain.
Jacinthe Blais apprend qu’elle est infectée par une bactérie dangereuse et elle va alors passer proche de la mort.
J'ai été attaquée par une bactérie mortelle, la meningococcemia, qui affecte habituellement des jeunes de 18 à 25 ans et qui est très rare
, raconte-t-elle.
Après 4 mois passés à l'hôpital, j'ai réussi à sortir. On a dû amputer mes deux jambes, mais j'ai conservé mes bras et c’est une grande chance parce que les gens qui survivent habituellement perdent leurs quatre membres
, confie-t-elle.
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Jacinthe Blais survit et commence à travailler à la bibliothèque de Sainte-Anne puis à Radio-Canada. Elle trouve ensuite un poste à la Division scolaire franco-manitobaine et s’insère peu à peu dans la communauté.
C'étaient des emplois temporaires, mais qui me permettaient de reprendre ma place, de me faire connaître, de faire connaître mes capacités, mes compétences, mes talents
, relate-t-elle.
Elle travaille aussi pour le comité culturel de Sainte-Anne où elle participe au journal mensuel local qui s’appelle Qu'est-ce qui se passe?
Cette expérience éditoriale la conduit à réfléchir à un magazine de plus grande envergure qui couvrirait la région avec des articles de fond.
Elle réalise le coût de l’impression et cherche d’autres solutions. Une amie lui conseille alors d’entreprendre un blogue. L’idée fait son chemin et elle lance le magazine mensuel franco-manitobain Le Nénuphar en mai 2017.
Si, aujourd’hui, l’objectif de Jacinthe Blais est de présenter le Manitoba au reste du monde après avoir constaté que des personnes de tous horizons lisent Le Nénuphar, l’origine du magazine est toute autre.
Le combat de la francophonie
Passionnée de lecture depuis l'enfance, Jacinthe Blais admet que ce sont toutes ces lectures qui lui ont permis de s’ouvrir au monde et de maîtriser la langue française.
Avant d'arriver à Vancouver, je n'avais lu que des livres en français dans ma vie, alors mon anglais n'était pas fameux, mais mon français était très fort
, constate-t-elle.
Une des raisons pour lesquelles Jacinthe Blais lance Le Nénuphar est pour soutenir la francophonie au Manitoba. C'était pour servir de référence aux jeunes surtout, et aux Franco-Manitobains en général
, explique Jacinthe Blais.
J'avais été désolée de voir que dans l'école de mes enfants, on parlait anglais dans les corridors. Quand ma fille était adolescente, on lui disait qu'il fallait qu'elle parle anglais pour faire partie de la "cool gang"
, constate-t-elle.
Après avoir appris l'histoire du français au Manitoba, avoir appris à quel point les gens s'étaient battus pour pouvoir conserver leur langue, c'était déplorable de constater que le français n'était pas la fierté des jeunes. Au contraire, on était fier de parler anglais
, poursuit-elle.
Aujourd’hui, après un quart de siècle passé au Manitoba, Jacinthe Blais réalise que c'est facile d'être assimilé
et qu'il est d'autant plus important de trouver des solutions pour maintenir la langue française.
Ce n’est la faute de personne, ce n'est pas un défaut, c'est la nature des choses qui fait que si tu ne lis pas en français, tu n'écoutes pas le français, si tu ne parles pas le français, tu vas perdre ton français
, confie-t-elle avec lucidité.
Alerter et sensibiliser sur la santé mentale et le handicap
Les premières chroniques du magazine Le Nénuphar se mettent en place grâce aux proches de Jacinthe Blais qui lui proposent des textes sur les villages du Manitoba, sur le bien-être, sur la psychologie et sur les handicaps.
À travers ces chroniques, Jacinthe Blais souhaite sensibiliser le plus de monde possible à des questions qui lui tiennent à cœur.
L’une d’entre elles, L’histoire inédite d’Éliane
, sera publiée durant 5 ans. Elle relate l’histoire de sa cousine qui a subi de graves séquelles au cerveau après une simple tamponnade de voitures sur un terrain de stationnement.
Ma cousine est devenue la tête d'affiche pour l'Association des traumatisés crâniens du Québec. C'était une athlète qui faisait du vélo de montagne, c'était une jeune fille qui avait tout son avenir devant elle
, confie Jacinthe Blais.
Le but est d’alerter des dangers de l’alcool au volant et peut-être de sauver des vies.
Jacinthe Blais a aussi voulu créer une chronique sur la santé mentale, ayant elle-même des difficultés à accéder à des services de santé mentale en français à Sainte-Anne.
« Si on ne peut pas expliquer ses symptômes dans sa langue, ça, c'est terrible. »
Ne parvenant pas à contacter de professionnels qui parlent français, elle décide de créer elle-même une rubrique en faisant des recherches sur Internet et de présenter des symptômes importants comme ceux de la dépression saisonnière.
Le handicap est aussi abordé dans Le Nénuphar, notamment par le biais de petites grenouilles nouvellement créées qui apparaissent sur le site du magazine.
Ces grenouilles ont été créées en vue de futures chroniques qui nécessitent la collaboration du public, Les Nénustoires. Le but est que les gens puissent partager leur expérience et témoigner de leurs conditions
, précise Jacinthe Blais.
Les cinq grenouilles sont toutes porteuses de handicaps différents comme les handicaps moteur, psychologique ou visuel.
Les handicaps peuvent être nombreux et différents, mais une chose est certaine, la plupart des personnes handicapées sont marginalisées par l'attitude des gens envers eux, mais aussi par leurs difficultés à fonctionner dans un monde ordinaire. Pourtant, elles ont beaucoup à offrir, beaucoup de compétences
, confie Jacinthe Blais.
Pour Jacinthe Blais, il est important d'alerter sur ces enjeux de santé publique. Il est aussi important d’adapter l’environnement de travail aux spécificités des personnes en situation de handicap et d'aider tout le monde à trouver une place dans la société.
Jacinthe Blais constate aussi les difficultés auxquelles elle est en permanence confrontée au niveau de l'accessibilité, surtout en hiver avec la neige sur les trottoirs. De même, un trottoir accidenté présente de nombreux enjeux pour les personnes en situation de handicap moteur.
Avec les prothèses, c'est extrêmement dangereux parce que je ne sens pas le sol. Dernièrement, je n’ai pas pu me rendre à la poste à cause d’un trou dans la chaussée. Une fois sortie de ma voiture, j'avais trop peur des dénivellations et je n’ai pas réussi à monter sur le trottoir
, rapporte Jacinthe Blais.
Elle écrit à la ville de Sainte-Anne pour signaler le problème, mais ne reçoit aucune réponse. Ce sera finalement le personnel de la poste qui fera boucher le trou quelques mois plus tard.
C'est le genre de situation qui peut te rendre très dépressif. Là, on passe des situations où il y a des obstacles physiques qui t'amènent à une situation qui affecte mentalement
, poursuit-elle.
Cela peut avoir des répercussions sur tes relations et avec les gens autour de toi, parce que tu n'es plus capable de fonctionner comme une personne normale
, s’attriste Jacinthe Blais.
Pour Jacinthe Blais, ne pas rendre plus accessible le mobilier urbain aux personnes en situation de handicap, cela revient à stigmatiser et ostraciser une partie de la population dont on ne prend pas en compte les besoins
.
Ce reportage est publié dans le cadre d’un partenariat avec des bibliothèques de plusieurs villages francophones au Manitoba. Nos journalistes seront dans diverses bibliothèques entre janvier et mars et animeront, entre autres, des ateliers. N’hésitez pas à les saluer!