À Ottawa, les députés libéraux se préparent à une année difficile
L’incertitude économique réduit l’appétit pour des élections en 2023 dans les rangs libéraux.
Le Conseil des ministres s'est réuni à Hamilton pour discuter entre autres du prochain budget prévu pour mars.
Photo : La Presse canadienne / Nick Iwanyshyn
Les aléas économiques pourraient donner du fil à retordre au gouvernement Trudeau au cours des prochains mois. À l’approche d’un budget crucial, le caucus libéral se réunit à Ottawa vendredi et samedi pour débattre de sa stratégie. Comment trouver l’équilibre entre contrôle des dépenses et aide aux Canadiens?
On nage en plein brouillard
, laisse tomber un élu libéral au bout du fil. Même si le PIB et l'emploi ont moins souffert que prévu ces derniers mois, l'année qui vient pourrait réserver des surprises : inflation, répercussions de l’augmentation des taux d’intérêt et instabilité économique mondiale. Les économistes ont de la difficulté à prévoir ce qui va se passer
, constate la députée de Brossard–Saint-Lambert, Alexandra Mendès.
Plusieurs élus sont conscients que le Parti libéral du Canada (PLC) pourrait être tenu responsable des problèmes qu'affrontent les ménages canadiens.
Radio-Canada s’est entretenue avec cinq élus libéraux en prévision du caucus pour préparer les travaux parlementaires. Certains ont requis l’anonymat afin de parler librement.
Des élus libéraux espèrent que le gouvernement maintiendra l’aide aux plus vulnérables touchés par les perturbations économiques. Comment allons-nous continuer à appuyer les Canadiens?
demande le député ontarien Nathaniel Erskine-Smith.
« Face à des hausses marquées des taux d’intérêt, nous devons envisager des mesures pour empêcher que les gens perdent leur maison. »
Pour les personnes qui vivent seules, ça pèse lourd, l'inflation et le loyer
, a indiqué la députée Alexandra Mendès. La bonification de l’aide au loyer et du crédit de TPS annoncée ces derniers mois par Ottawa était une mesure ponctuelle et limitée dans le temps. Est-ce que d’autres suivront? Aux yeux de certains élus, le PLC doit éviter de s’aliéner les électeurs progressistes.
Toutefois, au même moment, la ministre des Finances envoie un signal de retenue et défend une approche responsable au niveau fiscal
. On ne sait pas comment l’avion va atterrir
, disait Chrystia Freeland, mardi dernier, lors de la retraite du Cabinet à Hamilton, en Ontario.
Sur les banquettes de l’opposition, le chef conservateur répète sans cesse ses attaques contre les libéraux et leurs déficits inflationnistes
. Mercredi, Pierre Poilievre a déclaré que l’inflation est un problème qui peut être décrit en deux mots : Justin Trudeau
.
Même chez les libéraux, certains élus trouvent que le gouvernement a été trop généreux dans son aide pendant la crise sanitaire. Les dépenses faites pendant la pandémie nous ont privés de marge de manœuvre aujourd’hui
, a déclaré un député qui a préféré garder l’anonymat.
La marge de manœuvre budgétaire de Chrystia Freeland pourrait être réduite encore plus si Ottawa signait une entente sur la santé avec les provinces. Est-ce qu’on peut se permettre des mesures d’aide tout en signant une entente sur la santé?
demande un élu libéral.
En même temps, une entente sur la santé permettrait de faire baisser la pression. C’est un enjeu prioritaire dont les députés entendent parler autant à Ottawa qu’à Québec. Mes citoyens me disent : "Je m’en fous qui paie!"
, explique une élue libérale, qui exprime le besoin de laisser de côté les chicanes de compétences pour en arriver à une amélioration des services.
Entre les intérêts politiques, les besoins sociaux et l'incertitude économique, le casse-tête a rarement été aussi complexe pour la ministre des Finances.
« Je ne voudrais pas être la ministre des Finances, particulièrement cette année. »
Traverser la tempête, avant les élections
Ce contexte incertain laisse peu de place, à court terme, aux ardeurs électorales, selon tous les élus libéraux consultés. Personne ne veut d’une élection
, dit le député Nathaniel Erskine-Smith. Je ne sens pas qu’on se prépare pour une élection, pas une minute
, dit un autre député.
Certains élus estiment qu’il n’y a pas de risque sérieux de déclenchement d’une campagne avant le budget du printemps 2024. En contexte de gouvernement minoritaire, l’entente avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) a permis de gagner du temps.
Deux élections provinciales auront aussi lieu cette année en Alberta (mai) et au Manitoba (octobre). Ces scrutins seront très importants pour le NPD
fédéral, qui devra mobiliser ses ressources d’organisation sur le champ de bataille provincial. Dans ce contexte, il serait étonnant que le parti de Jagmeet Singh ait envie d'un scrutin fédéral.Pour l’instant, l’équipe libérale souhaite miser sur les résultats, corriger les lacunes dans les services aux citoyens, y compris les retards en immigration, et faire adopter des projets de loi embourbés, comme la réforme de la Loi sur les langues officielles (C-13) et le contrôle des armes à feu (C-21).
Préparatifs électoraux, malgré tout
Cela n’empêche pas les instances du parti de se préparer pour la prochaine bataille électorale. Les députés ont été avisés qu’ils doivent remplir certaines conditions d’ici le 1er mars 2023 s’ils comptent se représenter.
Le PLCdes fonds totalisant au moins 65 % du plafond des dépenses électorales
prévues pour leur circonscription lors des prochaines élections générales.
Le PLC
est aussi en processus de recrutement d’organisateurs de terrain et de coordonnateurs d’activités de financement, selon les postes affichés sur son site web.Le parti est sur le pied de guerre pour deux raisons. D’abord, ces exigences permettent de fouetter les troupes et de forcer les élus à maintenir un contact avec les électeurs. Ensuite, cela permet d’envoyer le signal aux adversaires que la formation libérale est prête.
Selon nos informations, les élus libéraux sont toujours unis derrière le chef. Il est perçu comme le mieux outillé pour affronter Pierre Poilievre lors des prochaines élections.
L’arrivée du nouveau chef conservateur semble avoir insufflé de la combativité aux troupes libérales. On ne peut pas revenir en arrière avec le dauphin de Stephen Harper
, souligne la députée montréalaise Soraya Martinez Ferrada.
Les attaques frontales de Justin Trudeau contre Pierre Poilievre lors de son discours de la fête de Noël libérale, en décembre, avaient suscité beaucoup d’enthousiasme au sein des 2000 élus, membres et employés réunis au Centre Shaw à Ottawa.
M. Poilievre peut choisir de miner notre démocratie en amplifiant des théories du complot. Il peut décider de se sauver des journalistes quand ils posent des questions difficiles. C’est sa marque de commerce. C’est son choix. Mais quand il dit que le Canada est brisé, c’est là que je trace la ligne
, avait déclaré Justin Trudeau sous les applaudissements.
C’est peut-être un avant-goût du combat à venir, mais le premier round attendra.
Avec la collaboration de Marie Chabot-Johnson