Aux sources de la grogne des Péruviens
Un manifestant enveloppé dans le drapeau national du Pérou se tient devant la police lors d'une manifestation près de l'aéroport de Cuzco, le 19 janvier 2023.
Photo : Reuters / STRINGER
CUZCO, Pérou – Depuis le 7 décembre, de nombreux Péruviens, surtout dans les régions autochtones du sud, manifestent pour réclamer la démission de la présidente par intérim Dina Boluarte, ce qui obligerait le Congrès à déclencher des élections au plus tôt.
Ils n’ont pas accepté la destitution du président autochtone quéchua Pedro Castillo. Mais cette crise politique cache un grand mécontentement qui remonte à la nuit des temps, notamment dans la région de Cuzco.

Les manifestations continuent de plus belle, ce soir, à Lima et ailleurs au Pérou pour réclamer la démission de la présidente, Dina Boluarte. Son gouvernement a d'ailleurs déployé l'armée dans l'espoir de calmer la révolte. Un reportage de Jean-Michel Leprince.
La pampa d’Anta
Anta veut dire cuivre
en quéchua. Les hautes montagnes qui enchâssent cette magnifique vallée verdoyante à 3300 mètres d’altitude regorgent d’un cuivre qui n’est pas exploité. Nous sommes à une trentaine de kilomètres à peine de Cuzco, la ville touristique par excellence. Anta est habitée par des descendants des Incas, fiers de leur culture et de leurs traditions.
Anta est en deuil. Un de ses leaders paysans, Remo Candia Guevara, a été tué dans la manifestation du 11 janvier. Une balle de fusil tirée d’une hauteur lui a traversé le thorax. Son frère Romulo est certain que le tir est venu du côté de la police et que Remo était visé, car c’était le seul mort ce jour-là.
Pourquoi? Remo n’était pas un leader paysan national ni même régional. Il représentait l’une des 13 provinces du département de Cuzco.
La famille Candia est en deuil. Double deuil en fait : celui du patriarche Efrain décédé en novembre l’an dernier. Et maintenant Remo, l’un des six enfants de Leopolda Guevare Ismodes de Candia.
L’éducation à tout prix
Dès l’enfance, chaque membre de la famille Candia a sa chacra, son lopin de terre. La famille Candia possède au total deux hectares, une propriété moyenne. Ils y ont un lien spécial avec la terre. Nous respectons la Pachamama, la Terre mère, disent-ils.
Marc Zeisser, Français d’origine et marié à une Péruvienne, est ingénieur agronome spécialisé dans la gestion de l’eau. Il fréquente les communautés rurales de Cuzco depuis 40 ans. La vie, l'agriculture, l'activité paysanne au Pérou, c'est une relation essentiellement culturelle avec le territoire. On a une relation, même magique, religieuse, avec ce territoire, avec les montagnes, les lacs et les rivières
, dit-il.
L’agriculture est un travail pénible et de plus en plus les familles diversifient leurs activités pour mieux survivre. De plus en plus, elles sont conscientes que, pour mieux s’en sortir, leurs enfants doivent étudier.
Les grands-parents Candia et Guevara étaient analphabètes. Mais des deux côtés, ils ont envoyé leurs enfants à l’école. Leopoldina Guevara a fini son primaire. Elle tient une petite épicerie dans l’angle de la maison. Son mari, Efrain Candia, a fini son secondaire. Il était technicien agricole.
Remo était comptable, José est ingénieur-géologue et leurs trois sœurs sont ingénieure, institutrice et administratrice. Une belle réussite. Leurs métiers ne les empêchent pas de consacrer leurs temps libres à leurs chacras, c’est un devoir sacré.
Délaissés et méprisés par Lima
Remo militait pour les droits des paysans d’Anta, pour de meilleurs services. Les régions andines manquent de retombées locales pour les richesses qu’elles envoient à Lima : tourisme, gaz naturel, minerais, produits agricoles. Il manque des services. Anta n’a pas l’eau courante. Cuzco n’a pas le gaz de ville qu’elle produit mais qui va en gazoduc à Lima.
« Il y a un manque de retombées et d'investissement ainsi que de présence de l'État en quantité et en qualité. C'est-à-dire une offre de services de santé, d'éducation, de routes, de communication, d’Internet, etc. »
Les régions manquent également de représentation au Congrès à Lima. C’est pour ça qu’ils demandent des élections le plus tôt possible pour remplacer le président autochtone destitué, Pedro Castillo, en qui ils se reconnaissaient, malgré sa mauvaise gouvernance, et celle qui l’a remplacé, Dina Boluarte.
Ils demandent le respect de leurs traditions, la fin du racisme à leur égard et, surtout, la justice pour Remo.