•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

ArriveCAN : l’application atterrit devant les tribunaux

Ottawa doit se défendre devant la Cour fédérale d'avoir créé une application qui ne fonctionnait pas pour tous les utilisateurs dans les deux langues officielles.

L'application ArriveCan

L’application ArriveCan, qui était obligatoire pour les voyageurs entrant au Canada durant la pandémie, revient hanter le gouvernement fédéral. Ottawa doit se défendre devant les tribunaux parce que l'application n'était pas offerte en français à tous les utilisateurs. Les détails avec Daniel Leblanc.

Photo : Radio-Canada

Le gouvernement fédéral a reconnu avoir imposé l’utilisation de l’application ArriveCAN, même s’il savait que la fonction de langue d’affichage était défectueuse ou inexistante pendant 18 mois sur les appareils iPhone, a appris Radio-Canada.

Dans un rapport qui n’avait pas encore été rendu public, le commissaire aux langues officielles affirme que l'application a brimé les droits linguistiques des Canadiens.

Le litige se trouve maintenant devant la Cour fédérale, où le gouvernement devra expliquer sa gestion de l’application. Mise en ligne en avril 2020, ArriveCAN servait à enregistrer la preuve de vaccination contre la COVID-19 de tous les voyageurs voulant entrer ou revenir au Canada.

Le plaignant à l’origine de cette cause, Darius Bossé, affirme qu’Ottawa n’aurait pas dû imposer l’utilisation de l’application tout en connaissant les problèmes liés à la langue d’affichage. Voulant entrer au Canada à partir des États-Unis à l’été 2021, M. Bossé a utilisé une version anglaise de l’application qui ne permettait pas de passer à une version en français.

« Lorsqu'on m'exige de faire des déclarations personnelles, sur mon état de santé et emplacement physique, bien pour moi c'est absolument important que la communication avec l'État canadien puisse se passer dans la langue officielle de mon choix. »

— Une citation de  Darius Bossé, avocat et résident d'Ottawa

Une application unilingue

Les problèmes de langue de l’application ont commencé dès son lancement en 2020, selon des documents déposés par Ottawa devant la Cour fédérale.

À cette époque, la version pour iPhone permettait aux voyageurs de choisir une langue d’affichage, mais cette fonction était défaillante parce qu’elle ne respectait pas systématiquement la langue choisie par l’utilisateur, selon un affidavit du gouvernement fédéral.

De plus, la préférence linguistique n’était pas toujours prise en considération par les lecteurs d’écran, qui sont essentiels aux usagers ayant des besoins particuliers.

Une personne ouvre l'application ArriveCAN sur son cellulaire.

L'application ArriveCAN permet aussi de sauvegarder les documents de voyage et les preuves de vaccination afin de les réutiliser lors d'autres voyages.

Photo : La Presse canadienne / Giordano Ciampini

Le gouvernement a admis devant la Cour qu’il a tout simplement décidé de supprimer la fonction de langue, en décembre 2020.

Les utilisateurs se voyaient alors imposer une version de l’application selon la langue d’exploitation de leur téléphone cellulaire, sans directives claires pour la changer au besoin.

Il a fallu attendre jusqu’en août 2021 – après la plainte de Darius Bossé – pour que le gouvernement offre des explications plus claires pour changer de langue d'affichage.

Et ce n’est qu’en octobre 2021 que le gouvernement a mis en ligne une application pour iPhone qui permettait de changer de langue après le téléchargement.

Raymond Théberge.

Raymond Théberge veut que la nouvelle loi sur les langues officielles s'applique aux nouvelles technologies.

Photo : Radio-Canada / Ron Boileau

Le gouvernement fédéral a déposé la version anglaise de ses affidavits devant la Cour fédérale le 26 septembre. Les versions françaises ont été déposées le 1er décembre dernier.

Le gouvernement refuse maintenant de commenter le dossier qui est devant les tribunaux.

Un utilisateur frustré

En déplacement aux États-Unis en 2021, Darius Bossé a tenté d’obtenir la version française de l’application ArriveCAN sans succès.

Ayant accès uniquement à la version anglaise de l’application sur son téléphone portable, il a tenté d’indiquer sur son profil d’utilisateur que le français était sa langue de préférence pour ses communications avec le gouvernement fédéral.

Malgré tout, il a dû continuer à utiliser la version anglaise de l’application lors de sa période d’isolement obligatoire de 14 jours. Selon cet avocat bilingue, le choix de la langue d’exploitation d’un cellulaire est personnel et ne devrait avoir aucune incidence sur ses droits linguistiques.

Darius Bossé.

Darius Bossé, avocat et résident d'Ottawa

Photo : Radio-Canada / Simon Lasalle

Après avoir porté plainte, Darius Bossé a eu gain de cause devant le Commissariat aux langues officielles au printemps 2022.

Dans son rapport d’enquête, le Commissariat note que l’Agence de la santé publique du Canada était au courant des difficultés d'exploitation de l’application dans la langue de son choix sur les iPhone.

Le rapport ajoute que l’Agence n’a pas informé le public […] ni de ce fait ni de la façon de procéder pour accéder à l’application dans sa langue officielle de préférence.

En juin 2022, Darius Bossé s’est tourné vers la Cour fédérale pour tenter de prouver que l’Agence a bafoué ses droits linguistiques en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur les langues officielles. Il revendique des dommages et intérêts de 22 500 $.

La Constitution prévoit qu’on a le droit [...] d’être servi par le gouvernement fédéral dans la langue officielle de son choix. Pour moi, c’est important que la Cour fédérale puisse reconnaître formellement cela, explique-t-il.

Dans un affidavit déposé en Cour fédérale en septembre dernier, le responsable de l’application ArriveCAN, Chulaka Ailapperuma, a confirmé avoir fait face à de nombreuses difficultés technologiques en lien avec la langue d’affichage sur les plateformes Apple, en 2020 et 2021.

Daniel Leblanc

Une solution possible

Un expert embauché par Darius Bossé répond dans un affidavit distinct que le gouvernement aurait dû donner la possibilité aux utilisateurs d’ArriveCAN de changer de langue d’affichage à l’intérieur même de l’application.

Le fondateur de l’entreprise Sidekick Interactive Inc., Gregory Cerallo, donne l’exemple d’applications bilingues créées par Environnement Canada, la SAQ ou Hydro-Québec, qui offrent toutes cette fonction.

Selon mon expérience, insérer ou maintenir une fonction de langue personnalisée dans une application mobile pose un défi supplémentaire, mais pas insurmontable, affirme Gregory Cerallo.

Il calcule que le développement de cette fonction aurait coûté 72 000 $ en frais supplémentaires.

En tout, Gregory Cerallo estime que le développement d’une application comme ArriveCAN n’aurait pas dû coûter plus de deux millions de dollars.

Le gouvernement fédéral a plutôt dépensé des dizaines de millions en lien avec la création et la mise en œuvre de l’application.

Les langues officielles malmenées à Ottawa

Les libéraux de Justin Trudeau sont arrivés au pouvoir en 2015 en promettant de renforcer l’utilisation des langues officielles au sein du gouvernement fédéral. Sept ans plus tard, leur bilan en la matière est de plus en plus critiqué, surtout en ce qui a trait à la protection du fait français au pays.

Plusieurs nominations de personnes ne parlant pas le français à des postes clés, dont la gouverneure générale du Canada et la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, ont été contestées.

La modernisation de la Loi sur les langues officielles se fait encore attendre, près de quatre ans après avoir été promise en campagne électorale.

Le projet de loi C-13, qui découle de cette promesse, sera de nouveau devant le comité des langues officielles de la Chambre des communes, cette semaine.

Le commissaire aux langues officielles veut que les langues officielles soient respectées, même lorsque le gouvernement fédéral utilise de nouveaux outils technologiques.

On doit s'assurer que la loi est technologiquement neutre, c'est-à-dire peu importe le médium, peu importe la plateforme, peu importe l'application technologique, elle doit être en mesure de répondre aux besoins des deux communautés de langues officielles, explique Raymond Théberge.

Aux yeux de l’opposition officielle, le bilan du gouvernement libéral en matière de langues officielles est exécrable.

« Il faut être cohérent, il faut être rigoureux, il faut avoir la volonté de protéger les deux langues officielles. Mais la plus vulnérable, ce n’est pas l’anglais, c’est le français. »

— Une citation de  Joël Godin, député conservateur
Joël Godin prend la parole.

Joël Godin lors de la période de questions

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Joël Godin ajoute qu’il faudra amender C-13 pour faire en sorte qu’une seule agence, c’est-à-dire le Conseil du Trésor, soit responsable de veiller à ce que l’appareil fédéral respecte la Loi sur les langues officielles.

L'avocat Mark Power, spécialiste des questions linguistiques, est aussi d'avis que le bilinguisme officiel doit être sous la supervision d'une autorité centrale à Ottawa.

On doit penser en français et en anglais [...] et quand une institution fédérale ne s'y prend pas correctement, une agence centrale, le Conseil du Trésor, doit intervenir pour corriger le tir à long terme. L'avenir du français passe par des mécanismes qui forcent la fonction publique à penser au français en amont, avant le fait, et non après, en essayant de réparer des pots cassés, avance-t-il.

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...