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Convoi des camionneurs : la genèse d’une crise sans précédent

Un manifestant, devant le parlement, avec un drapeau du Canada.

Les manifestants ont revendiqué plusieurs choses : de la levée des mesures sanitaires jusqu'à l'arrestation de Justin Trudeau. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

23 janvier 2022. Un convoi de camionneurs prend la route de la Colombie-Britannique pour arriver à Ottawa, cinq jours plus tard. À ce moment, bien malin celui qui aurait pu prédire que la manifestation allait se transformer en occupation du centre-ville.

Tout au long de son voyage vers la capitale nationale, le convoi est parvenu à rallier de nombreux Canadiens dans leur opposition à la vaccination obligatoire des camionneurs, et ce, sans s’attirer les foudres des autorités policières.

Ils se sont bien comportés. La dynamique était joviale. Il n’y avait aucune indication qu’il allait y avoir des problèmes à Ottawa, explique l’ancien chef de la police d’Ottawa, Charles Bordeleau, à la retraite depuis 2019.

Charles Bordeleau pose pour la caméra.

Charles Bordeleau a travaillé 35 ans au sein des forces de l'ordre. Il a pris sa retraite le 4 mai 2019. (Photo d'archives)

Photo : Marc-André Cossette/CBC

Celui qui l’a remplacé, Peter Sloly, disait, 48 heures avant le début du convoi, avoir bon espoir de gérer la situation. L’avenir lui a donné tort. Critiqué de toutes parts face à une crise qui s’enlisait, il a finalement démissionné au 19e jour de l’occupation.

« Les tactiques des manifestants n’avaient jamais été utilisées auparavant au Canada. Utiliser les camionneurs, le bruit, intimider les citoyens et les commerçants, c’était du jamais vu au Canada. »

— Une citation de  Charles Bordeleau, ex-chef du Service de police d’Ottawa

Le politologue Frédérick Guillaume Dufour explique que certains mouvements contestataires avaient déjà vu le jour ailleurs dans le monde, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. Selon lui, ce n’était qu’une question de temps avant que cette fièvre atteigne le Canada.

L’invasion du Capitole, à Washington, a été célébrée par les réseaux libertariens à travers le globe. Plusieurs voulaient imiter cela. Ces réseaux, et ceux de droite radicale, sont très liés aux États-Unis et au Canada, détaille le professeur au Département de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.

« Ce happening a permis aux communautés virtuelles de se rencontrer pour célébrer. Ces gens n’étaient pas des groupes anarchistes. Il y avait même une mouvance un peu plus hippie. »

— Une citation de  Frédérick Guillaume Dufour, politologue
Frédérick Guillaume Dufour en entrevue Zoom dans son bureau.

Le politologue Frédérick Guillaume Dufour est professeur au Département de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.

Photo : Radio-Canada

À Ottawa, le convoi des camionneurs comptait plusieurs têtes dirigeantes qui mettaient de l’avant un éventail de revendications différentes. De ce fait, les citoyens pouvaient se rattacher à la figure de proue qui leur convenait le mieux.

Des organisateurs disaient vouloir rester à Ottawa jusqu’au moment où ils auraient eu gain de cause sur l’obligation vaccinale. Un organisateur voulait le démantèlement du gouvernement fédéral. D’autres voulaient répéter l’assaut du Capitole, se souvient l’ex-sous-commissaire adjoint à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Pierre-Yves Bourduas.

Selon lui, les déclarations plus radicales revendiquées haut et fort sur les réseaux sociaux de certains organisateurs auraient dû être prises au sérieux.

Pat King lors du convoi.

L'une des figures de proue du mouvement, Pat King (à gauche), a enchaîné les Facebook Live pendant le convoi. (Photo archives)

Photo : AFP via Getty Images/ED JONES

Une erreur importante

L’ancien haut gradé à la GRC a d’ailleurs noté une erreur importante de la police, lorsqu’elle a laissé les camionneurs se stationner sur la rue Wellington, une procédure inhabituelle.

Ça m’a énormément surpris. Pendant les festivités de la fête du Canada, il y a toujours un quadrilatère autour du parlement pour s’assurer que les véhicules n’aient pas accès à la rue Wellington, raconte-t-il, se demandant pourquoi le même protocole n’a pas été établi pour les camionneurs.

Charles Bordeleau est aussi d’avis que la police d’Ottawa n’aurait pas dû les laisser circuler au centre-ville. Il a toutefois convenu que personne n’aurait pu prédire ce qui était pour se passer.

Le sentiment de confort après la fin de semaine

Lors de la première fin de semaine du convoi, les policiers ont laissé toute la place aux milliers de manifestants. Une seule personne a été arrêtée lors des 48 premières heures. Le chef Peter Sloly a même vanté la bonne gestion de ses effectifs.

Pendant la journée de samedi, des manifestants ont envahi, sans masque, le Centre Rideau. L’établissement a donc été contraint de fermer ses portes. Lorsque Mathieu Fleury, qui était alors conseiller municipal, a appris la nouvelle, il a senti que ce n’était plus une manifestation, mais bien une occupation.

Le conseiller municipal Mathieu Fleury en audience.

Mathieu Fleury affirme que son témoignage, de plus de cinq heures, à la commission Rouleau lui a permis de tourner la page sur l'expérience du convoi. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Si tu ne viens pas d’Ottawa, tu ne connais pas l’importance du Centre Rideau. C’est un centre de services commerciaux, de transports en commun. La vie du centre-ville d’Ottawa passe par le Centre Rideau, illustre Mathieu Fleury, qui a depuis tiré sa révérence de la politique municipale.

Des manifestants, sans masque, envahissent le Centre Rideau.

Le Centre Rideau est finalement demeuré fermé tout au long de l'occupation. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

« Ensuite, les gens d’Ottawa ont réalisé qu’ils étaient pris en otages. Les espaces publics ont été occupés par des manifestants qui harcelaient [les citoyens]. »

— Une citation de  Pierre-Yves Bourduas, ex-sous-commissaire adjoint à la GRC

Dimanche soir, beaucoup de manifestants ont choisi de rentrer à la maison tandis que les camionneurs n’ont pas libéré la rue Wellington comme beaucoup de gens le croyaient et l'espéraient.

C’est à ce moment que, tactiquement parlant, il aurait dû y avoir une intervention. L’approche de non-intervention a perduré, avec les résultats que l’on connaît, soulève M. Bourduas.

Capture d'écran d'une entrevue virtuelle.

Pendant le convoi, Pierre-Yves Bourduas a été invité à commenter en direct, à la télévision, le travail des forces de l'ordre. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Charles Bordeleau en vient à la conclusion que trois facteurs ont fait en sorte que les forces de l’ordre ont perdu le contrôle de l’opération. Tout d’abord, il a été permis d’apprendre à la commission Rouleau que Peter Sloly et ses deux adjoints n’étaient pas unis. M. Sloly avait également des différends avec ses autres partenaires, dit M. Bordeleau, en parlant des autres corps policiers et de la Ville d’Ottawa.

De plus, la Commission de services policiers n’a pas joué son rôle de gouvernance. Elle a joué son rôle pour les caméras, clame-t-il à propos de l’entité qui a même exposé ses conflits sur la place publique.

Une pancarte où il est écrit, en anglais, de renvoyer Peter Sloly.

Pendant le convoi, des gens ont demandé le renvoi de Peter Sloly. Il a finalement démissionné. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Où était la table blanche?

Mathieu Fleury a occupé le poste de conseiller municipal de Rideau-Vanier de 2010 à 2022. Tout au long de son mandat, c’est Jim Watson qui a occupé les fonctions de maire d’Ottawa.

Je l’ai vu [devenir un leader] à travers les crises. Chaque fois, il a utilisé le même modèle clé en main qui fonctionnait : la table blanche. On voyait Jim Watson, accompagné de l’autorité municipale. Pour la pandémie, c’était la Dre Vera Etches. Pour les tornades et les inondations, c’était Anthony Di Monte. Jim [Watson] avait un plan, un état de la situation et des actions concrètes, explique M. Fleury.

Jim Watson, en compagnie de Bryce Conrad, d'Anthony DiMonte et de Charles Bordeleau.

Jim Watson (à gauche) avait utilisé le concept de la table blanche, ci-dessous en 2018, en compagnie de Charles Bordeleau (à droite). (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Selon Mathieu Fleury, l’utilisation de ladite table blanche aurait pu changer le cours de l’histoire au lieu de laisser la prise de décision au seul Peter Sloly.

Il y a eu un affaissement des responsabilités municipales, analyse l’ex-politicien.

« Si la Ville avait été constante sur ses règlements, on n’aurait pas vu le phénomène de la farce, où on se retrouve à Infoman avec des hot tubs et des concerts. »

— Une citation de  Mathieu Fleury, ancien conseiller municipal à la Ville d’Ottawa

Selon lui, le maire Jim Watson aurait dû déclarer l’état d’urgence bien avant le 6 février, soit au 10e jour de l’occupation. Ainsi, Doug Ford et Justin Trudeau auraient compris l’ampleur de la situation plus rapidement.

Le premier ministre de l’Ontario a, à son tour, déclaré l’état d’urgence cinq jours plus tard. Ensuite, Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février, qui a précédé une importante opération policière.

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