« Restreints » au Québec, ils exportent leur cannabis dans les autres provinces
Dans le cadre légal du Québec, la concentration de tétrahydrocannabinol (THC) présente dans le cannabis ne doit pas dépasser 30 %.
C'est jour de récolte pour Alexandre C. Gagné, propriétaire de l'entreprise Teca Canna. Une fois séché, c'est 30 kilos de cannabis qui seront récoltés. Il y a cinq récoltes comme celle-ci dans l'année pour le microproducteur.
Photo : Radio-Canada / Philippe Grenier
L’entreprise de cannabis des Etchemins Teca Canna a fait son entrée à l’automne sur les tablettes de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Mais la réglementation « trop stricte » sur le cannabis au Québec l'amène à devoir exporter le reste de sa production locale dans d’autres provinces, et elle n'est pas la seule.
Après neuf semaines de floraison, c’est jour de récolte pour les employés de Teca Canna dans leur usine de Saint-Benjamin. L’entreprise compte aussi des usines à Beauceville et à Saint-Martin en Beauce.
Ce qui nous distingue, c’est qu’on fait un produit entièrement à la main. On prend le temps de faire chaque étape dans les règles de l’art
, explique le propriétaire Alexandre C. Gagné, qui coupe méticuleusement la tige de la plante verte légalisée au Canada en octobre 2018.
C’est une microproduction de 30 kilogrammes qui sera récoltée une fois séchée. Il y en aura quatre autres dans l’année. Une partie de la production est séchée et se retrouve à la SQDCc’est toujours un plus d'avoir un produit local
, note le producteur.
Mais les affaires se terminent ici avec la Belle Province. La majorité de leurs produits ont une forte teneur en THC
, responsable des effets intoxicants, excédant la concentration de 30 % permise au Québec. La seule province avec cette réglementation.« On perd des ventes parce qu’il y a un bon marché de consommateurs de fleurs ou d’extraits en haut de 30 %, c’est toute cette clientèle qu’on perd. »
Taillé à la main, congelé, le reste du cannabis prendra le chemin des autres provinces. Un produit plus niché
et lucratif
aussi, note Alexandre C. Gagné.
Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) explique par courriel que cette mesure est jugée requise pour mieux protéger les consommateurs. Selon eux, les données probantes démontrent que plus la concentration en THC du produit consommé est élevée, plus le risque de dépendance est accru
. Aucun changement n’est prévu.
Deux poids, deux mesures
L’entreprise Origami Extraction transforme une partie de la production de Teca Canna en haschisch, puis en résine concentrée de cannabis à partir de procédé de transformation sans solvant.
Gabriel Bélanger, ingénieur et président d’Origami Extraction, fait un parallèle avec l’alcool pour expliquer son incompréhension face à cette restriction supplémentaire
. Ce serait une aberration si on disait : le gin au Québec, c’est 15 % [d'alcool]. Si tu veux en acheter à 40 %, tu dois traverser la frontière en Ontario et le ramener.
« On devient forcé de devoir exporter nos produits faits au Québec, en Beauce, dans d’autres provinces. Il faut cogner à leur porte, leur dire qu'on a des produits du Québec, qu'on ne veut pas au Québec, mais on vous offre notre travail. »
La réglementation québécoise trop restrictive
dirige les consommateurs vers le marché noir, selon les deux entrepreneurs.
Le MSSSselon les données disponibles, une approche plus prudente ne semble pas démontrer jusqu’à présent de mouvement important vers les sources illicites et tend plutôt à démontrer une consommation moindre de produits à haut risque
.
Financement difficile
Plus de quatre ans après la légalisation du cannabis, les défis sont encore nombreux pour l'industrie. Il y a une évolution, mais quand même timide. Quand on mentionne qu’on est dans le domaine du cannabis, on se fait encore regarder drôlement
, explique Alexandre C. Gagné.
Financer un projet dans l’industrie du cannabis demeure difficile, voire impossible pour plusieurs. Le premier défi, c’est d’être capable d’ouvrir un compte de banque
, lance d’entrée de jeu Gabriel Bélanger, interrogé sur le sujet. Ça fait plus d’une fois qu’on m’écrit : "On fait affaire avec vous depuis longtemps, mais on a décidé de se retirer de toutes entreprises liées au cannabis, on ferme votre compte dans 90 jours, merci et bonne chance".
Celui qui est aussi chargé de cours du programme de Production et transformation du cannabis au Cégep Gérald-Godin mentionne que les capitaux investis dans son entreprise jusqu’aux premières ventes sont venus des poches des actionnaires.
« On a une approche prudente. »
Seuls les clients entreprise existants de Desjardins sont éligibles pour du financement au niveau des entreprises de cannabis
, confirme Chantal Corbeil, porte-parole principale. Ces derniers doivent avoir toutes les autorisations et les permis. Aucun autre client n’est accepté.
Les deux entrepreneurs sont loin de baisser les bras. Alexandre C. Gagné prépare la phase deux de son agrandissement de l’usine de Saint-Benjamin, qui va débuter cet été. La superficie sera doublée, et il compte engager un employé de plus.
Emballée, étiquetée et photographiée pour la mise en marché dans les locaux d’Origami Extraction, la résine concentrée de cannabis de Teca Canna est maintenant prête à quitter le Québec, non sans regret.