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Les dépenses militaires mondiales s’emballent

Un an après l'invasion de l'Ukraine, comment l'environnement de sécurité a-t-il changé?

Des soldats devant un char d'assaut Leopard 2.

Des soldats allemands attendent la visite du chancelier Olaf Scholz, de passage au centre d'entraînement militaire d'Ostenholz, le 17 octobre 2022.

Photo : Getty Images / David Hecker

L’invasion russe n'a pas renversé les tendances, mais elle a plutôt accéléré des mouvements existants, estime Lucie Béraud-Sudreau, directrice du programme de recherche Dépenses militaires et production d’armement, au Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

Les dépenses en armement des pays membres de l’UE et du Royaume-Uni, en baisse après la crise économique de 2008-2009 et l’adoption de politiques d’austérité, avaient commencé à augmenter en 2014, à la suite de l'invasion de la Crimée par la Russie, observe-t-elle.

L'Europe était sur une trajectoire d'augmentation avant le 24 février 2022 [...] L'invasion russe a accéléré cette tendance qui était déjà là.

Une citation de Lucie Béraud-Sudreau, du SIPRI

Les pressions américaines, et notamment les remontrances très publiques de l’ex-président américain Donald Trump, avaient également contribué à ce que les pays membres de l’OTAN rehaussent leurs dépenses militaires. Après le 24 février 2022, ce réinvestissement a acquis une nouvelle urgence.

Lors d'un sommet extraordinaire, en mars 2022, les membres de l'OTAN ont ainsi convenu d'accélérer [leurs] efforts en vue de consacrer 2 % du PIB à leurs dépenses militaires, comme convenu en 2014 à Glasgow.

En 2014, seuls trois États sur les 30 membres de l’OTAN consacraient à la défense au moins 2 % de leur PIB. Au premier semestre de 2022, ils étaient neuf.

Guerre en Ukraine

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Un véhicule blindé est en feu, un corps gît dans la rue.

La Grèce, la Lituanie, la Lettonie et la Slovaquie sont les pays qui ont le plus augmenté leur participation en proportion de leur PIB.

L’Allemagne n'y est pas encore, mais le chancelier Olaf Scholz s'est engagé le 27 février 2022 à atteindre la cible, annonçant du même souffle une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards d’euros sur cinq ans pour moderniser son armée.

Nous devons donc nous demander : quelles sont les capacités de la Russie de Poutine? Et de quelles capacités avons-nous besoin pour faire face à cette menace, aujourd’hui et à l’avenir? Il est clair que nous devons investir beaucoup plus dans la sécurité de notre pays afin de protéger notre liberté et notre démocratie.

Une citation de Extrait du discours d’Olaf Scholz, le 27 février 2022, devant le Bundestag

Avec cette annonce, l'Allemagne va devenir le pays qui dépense le plus pour son armée devant la France, et potentiellement aussi devant le Royaume-Uni, note Lucie Béraud-Sudreau. Cela peut venir changer des dynamiques politiques en Europe.

Le Japon est un autre pays qui a entrepris un tournant majeur cette année, avec le doublement de son budget militaire en cinq ans pour atteindre 2 % de son PIB. Il a également participé pour la première fois à un sommet de l’OTAN cet été, en tant qu’observateur, avec la Corée du Sud.

On constate une augmentation générale de la conflictualité dans les relations internationales, observe Lucie Béraud-Sudreau.

Un état de délabrement avancé

Les pays occidentaux auront toutefois fort à faire pour combler leur retard.

Les années 1990 et le début des années 2000 ont été des années de désinvestissement massif dans les forces armées, note Justin Massie, professeur au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique.

Entre 1992 et 2022, le nombre de chars d’assaut européens a chuté de 77 %, celui des avions de chasse de 57 % et celui des navires de combat de 39 %, selon des données de l’International Institute for Strategic Studies, reprises par la firme McKinsey.

Des décennies de baisse des budgets de la défense ont conduit à une réduction spectaculaire des forces armées européennes et ont généré d'importants déficits de capacités.

Une citation de Rapport du Center for Strategic and International Studies (CSIS)
Un soldat en treillis militaire devant un char d'assaut.

Démonstration d'équipement militaire au stand de Rheinmetall, au salon international consacré à la défense et à la sécurité terrestres et aéroterrestres Eurosatory, à Paris, le 14 juin 2022.

Photo : Getty Images / Kiran Ridley

Au cours des 20 dernières années, les armées européennes ont ainsi perdu plus du tiers de leur capacité.

C’est le soi-disant dividende de la paix, note Sean Monaghan, chercheur invité au CSIS. Cela n'était pas considéré comme un problème jusqu'en 2014 et l’invasion de la Crimée.

L’industrie à la traîne

Les récentes annonces de réinvestissement prendront cependant bien du temps à se traduire par des changements concrets, soulignent les analystes. Les fabricants de matériel de guerre ne sont tout simplement pas prêts.

L'industrie a de la difficulté à suivre la cadence, note Justin Massie. Elle ne peut passer du jour au lendemain d’une production à petite échelle, comme c’était devenu la norme, à celle requise pour soutenir l’effort de guerre en Ukraine.

Des véhicules blindés en construction.

Le personnel de l'usine Roshel, à Mississauga, travaille à plein régime pour fournir 200 véhicules blindés au gouvernement canadien.

Photo : Radio-Canada / Raphaël Tremblay

En plus de se réapprovisionner, les partenaires de l’OTAN fournissent de l'équipement militaire à l’Ukraine.

Le Canada a ainsi récemment annoncé l’acquisition d’un système avancé de missiles sol-air (NASAMS) aux États-Unis pour l'offrir à l'Ukraine. C'est de l'équipement que les militaires canadiens réclament depuis plus d'une décennie, rappelle M. Massie. On a tellement sous-investi qu'on ne peut même pas donner [cet équipement], parce qu'on ne l’a pas; on est obligé de l'acheter à l'étranger.

Les tonnes de roquettes, missiles, obus, artillerie et autres munitions fournies à l'Ukraine ont vidé les réserves occidentales. Une analyse des stocks américains montre que cela pourrait prendre de cinq à huit ans pour que les États-Unis regarnissent leurs coffres de munitions tels qu'ils étaient avant le 24 février, note M. Massie.

On manque de munitions, parce qu'on ne croyait pas que les guerres allaient durer aussi longtemps. On prévoyait des guerres courtes avec peu de munitions et la possibilité, éventuellement, d’en développer davantage.

Une citation de Justin Massie, professeur à l'UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique

Les États-Unis ont fourni 5500 missiles antichars Javelin à l'Ukraine, ce qui représenterait le tiers de leurs réserves. Lockheed Martin en produit 2100 annuellement.

Et cela, sans compter tout ce dont l’Ukraine aura encore besoin.

Il y a la question de remplacer ce qu'on a donné pour s'assurer qu'on a ce qu’il faut pour notre sécurité territoriale, mais aussi la pression internationale de continuer de supporter les efforts de la défense d'Ukraine, explique Annessa Kimball, professeure de science politique à l’Université Laval et directrice du Centre sur la sécurité internationale.

D’autant plus qu’avant d’enclencher la production, les constructeurs veulent être certains d’avoir des engagements à long terme.

On ne va pas commencer à construire une nouvelle usine si on n'est pas sûr d'avoir des contrats sur 10 ans, illustre Lucie Béraud-Sudreau.

C’est le cœur du débat aujourd'hui, est-ce que l'industrie va être capable de suivre l'augmentation de la demande? C'est un peu une course contre la montre.

Une citation de Lucie Béraud-Sudreau, du SIPRI

Des coûts faramineux

Les gouvernements, eux, font face aux pressions de l'opinion publique.

Joe Biden parle devant des panneaux sur lesquels est écrit « Nous nous tenons avec l'Ukraine ».

Le président américain, Joe Biden, a visité l'usine du fabricant d'armes Lockheed Martin à Troy, en Alabama, le 3 mai 2022, pour remercier les employés de leur contribution à l'armement de l'Ukraine.

Photo : Getty Images / NICHOLAS KAMM

Les coûts des types d'équipements dans lesquels on investit aujourd'hui sont faramineux, explique Justin Massie. De plus, les problèmes de pénurie de personnel et de chaînes d'approvisionnement limitées poussent les prix à la hausse, précise l’expert. Dans le milieu de la défense, ils explosent encore plus que l'inflation normale.

Ce sera le cas pour les deux grands programmes de modernisation pour le matériel canadien, soit l'achat des avions de chasse F-35 et le renouvellement de la flotte de navires de combat.

Quand on regarde les sommes que ça va coûter, ce sont les plus grandes dépenses de l'histoire militaire du Canada, tellement c'est coûteux de produire des équipements à la fine pointe de la technologie.

Une citation de Justin Massie, professeur à l'UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique

Cet effort devra être soutenu dans le temps, souligne-t-il. Les scénarios post-guerre exigent beaucoup d'armement. Peu importe comment la guerre en Ukraine va finir [...] il y aura une hostilité profonde entre les peuples ukrainien et russe. C’est comme les Israéliens avec leurs voisins. Quand on est dans un pays qui se sent menacé, on s'arme en vue du prochain conflit.

Un soldat tire un missile Javelin.

Des soldats ukrainiens tirent un Javelin de fabrication américaine lors d'un exercice.

Photo : AP

En outre, les Européens devront, dans les années à venir, assumer une plus grande part de leur défense que ce qu’ils avaient l’habitude de faire. Les États-Unis, sur lesquels ils ont toujours compté, pivotent vers une autre région du monde : l’Indo-Pacifique. La stratégie de sécurité nationale américaine l’exprime très clairement : la Chine est la principale menace, note Sean Monaghan.

C’est pour cette raison que les Européens doivent se préparer à assumer eux-mêmes leur défense, souligne-t-il.

En plus d’augmenter de manière substantielle leur budget militaire, ils doivent surpasser le problème de la fragmentation de leurs capacités défensives. Chaque pays européen a sa propre base militaro-industrielle, déplore Sean Monaghan. Cela signifie que leurs dépenses de défense sont fragmentées et ne sont pas utilisées de la meilleure façon possible.

C'est le numéro d'équilibriste que les nations européennes devront surmonter : s'armer le plus rapidement possible, mais d'une manière qui leur donne la capacité à plus long terme de se défendre.

Une citation de Sean Monaghan, chercheur invité au CSIS

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