Fin des autopsies médico-légales à Thunder Bay à partir du mois de juin 2023

Dayna Karle est décédée d'une intoxication accidentelle aux opioïdes en 2021; son autopsie a eu lieu à Toronto. Selon les données du coroner en chef de l'Ontario, le nombre de surdoses mortelles à Thunder Bay cette année-là s'est élevé à 42,4 pour 100 000 habitants, soit près de cinq fois la moyenne provinciale.
Photo : Avec la permission de Carolyn Karle
Plus aucune autopsie ne sera pratiquée au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay (CRSTB) pour le compte du bureau du coroner à compter de juin 2023. Tous les cas seront transférés à l’unité provinciale de médecine légale, à Toronto.
Les taux d’homicides et de décès par intoxication aux opioïdes survenus à Thunder Bay figurent systématiquement parmi les plus élevés au Canada.
En 2022, 15 meurtres y ont été recensés. Ce triste record risque de faire en sorte que Thunder Bay redevienne la capitale du meurtre au Canada
, selon Dan Taddeo, chef par intérim du Service de police de cette ville.
Une version précédente de cet article affirmait que le Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay cessera toute autopsie à compter de juin. L'hôpital continuera de pratiquer des autopsies pour ses patients à la demande du personnel médical.
Dans son rapport intitulé Une confiance trahie : les Autochtones et le Service de police de Thunder Bay, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police préconisait en décembre 2018 la création d’une unité de médecine légale à Thunder Bay, idéalement dans le même édifice que le Bureau du coroner régional.
« Notre laboratoire est soumis à des pressions croissantes et ne peut plus assurer cette fonction externe, non liée aux services hospitaliers [...]. »
Le département des communications de l’hôpital a confirmé cette nouvelle par courriel en précisant que les ressources du laboratoire doivent désormais exclusivement répondre aux besoins en matière de soins aigus des patients du Nord-Ouest de l’Ontario [...]
.
Impacts sur les enquêtes et sur les ressources humaines
Inspecteur détective au sein du Service de police de Thunder Bay, Jeremy Pearson constate déjà les effets néfastes que subit son service d’enquête lorsque les corps sont envoyés à Toronto à des fins d'autopsie.
Ce processus entraîne de nombreux délais qui ont un impact non négligeable sur les enquêtes
, affirme l’inspecteur détective Pearson. Les scènes de crime doivent être sécurisées plus longtemps et les enquêtes sont retardées.
Le Service de médecine légale de l’Ontario assure par courriel qu'il se fixe de stricts délais en ce qui concerne la pratique d’autopsies et le retour des corps et [qu'il] travaille de concert avec les services de police afin de partager rapidement toute l’information recueillie et de minimiser leur présence lors des examens
.
Malgré cela, l'inspecteur détective Pearson soutient qu’un agent de l’unité d’identification médico-légale doit souvent accompagner les corps afin de documenter les autopsies et de noter les éléments de preuve qui en découlent.
En 2022, des agents ont été envoyés à Toronto à 15 reprises pour 16 autopsies, selon l’information obtenue par courriel de la part de Scott Paradis, responsable des relations avec les médias au Service de police de Thunder Bay.
Il ajoute que lorsque les agents sont envoyés à Toronto, ils s’attendent à être absents au moins deux jours dans le meilleur des cas, sans compter les délais qui peuvent survenir en raison des conditions météorologiques ou de retards à l'aéroport.
« Des agents dont le travail est – soyons francs – stressant et à l’occasion traumatisant [...] avaient préparé leur valise pour une journée mais sont revenus trois ou quatre jours plus tard. »
Cela pèse lourdement sur les ressources humaines, précise-t-il : Lorsqu’un agent s’absente pour un de ces examens, l’impact qui se fait sentir sur une équipe de trois personnes est significatif.
Impact sur les familles endeuillées
« Il y a aussi un impact notable sur les familles endeuillées qui savent que leur proche n’est pas en ville et qui doivent attendre que le corps soit libéré au salon mortuaire avant de planifier les obsèques. »
Carolyn Karle, fondatrice et présidente de l’équipe DEK, parle d'expérience. Sa fille, Dayna Elizabeth Karle, est décédée le 19 septembre 2021 à la suite d’une intoxication accidentelle aux opioïdes.
« Nous devions tenter de savoir où se trouvait son corps. [...] Je me disais que je ne l’avais pas encore vue : où était-elle? »
Après avoir appris que le corps avait été expédié à Toronto pour une autopsie, Mme Karle raconte avoir ressenti une panique totale, car [elle] ne savait pas à quoi s’attendre
.
Elle croit que ce sera bouleversant
pour les familles qui auront besoin de voir le corps. Elle-même a finalement pu voir le corps de sa fille quelques semaines après son décès
.
Le coroner en chef de l’Ontario, le Dr Dirk Huyer, concède qu’il s’agit d’une épreuve additionnelle pour les familles qui ont déjà subi une perte terrible
, mais il ajoute que les coroners s’efforcent de communiquer le mieux possible avec les familles.
« Oui, le transfert d’un être cher loin de la maison est quelque chose de bouleversant pour les familles. Nous le reconnaissons et le comprenons. »
À quand une unité de médecine légale dans le Nord-Ouest?
Députée de Nickel Belt et porte-parole de l’opposition en matière de santé, France Gélinas constate que là, on fait face à une diminution de services
.
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Compte tenu de l’association du Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay avec l’École de médecine du Nord de l’Ontario, Mme Gélinas soutien qu’en théorie, il n’y a aucune raison pour laquelle le [Nord-Ouest] de la province n’a pas accès à ce à quoi toutes les autres régions de la province ont accès, c'est-à-dire un centre hospitalier responsable des autopsies pour leur région
.
Pas si simple, rétorque le Dr Huyer, qui évoque la grave pénurie mondiale de pathologistes judiciaires.
« Une unité [de médecine légale] est importante […], mais il faut pouvoir la doter d’experts, notamment de pathologistes judiciaires. »
Le Dr Huyer assure que des discussions ont lieu quant à la possibilité d’établir une unité de médecine légale régionale à Thunder Bay, mais il reconnaît toutefois qu'aucun plan concret n'est à l'étude.
Le ministère du Solliciteur général, qui finance de telles unités à Hamilton, Kingston, London, Ottawa, Sault-Sainte-Marie et Sudbury, a décliné notre demande d’entrevue.