Forcés de déménager, des résidents de la Villa Neguac ont perdu l’appétit
« Du jour au lendemain, s'il y en a un qui s'en va à Bathurst puis un autre à Tracadie, il n'y a plus beaucoup de moyens pour ces deux personnes âgées de se rencontrer. »

Les résidents du foyer Villa Neguac ont déjà eu un meilleur appétit. Ils sont tous préoccupés ces jours-ci.
Photo : Radio-Canada / René Landry
Une odeur réconfortante d'oignon et de morue salée se répand partout dans le foyer de soins la Villa Neguac. Malgré tout, des résidents n'ont plus tellement le goût de manger. Ils sont inquiets à l'idée de devoir déménager.
« Monsieur Léo » est assis dans le grand salon, l'air triste.
— Avez-vous mangé?
— Un petit peu.
C'était bon
, dit-il simplement. J'ai braillé toute la nuit, je n'ai pas dormi. Tout ça est stressant. On devient fatigué à force de ne pas dormir. J'ai mangé un petit peu ce matin. Des Corn Flakes.
Pourtant, la morue salée est son mets préféré. C'est dire toute l'angoisse qui ronge Léo Savoie, cet ancien enseignant de 88 ans.
« Quand tu as toujours le coeur qui flotte dans l'eau, ce n'est pas le fun. »
Dans la salle à manger, ils sont tous tranquilles
, note Tina Baisley, une employée.
Il n'y a personne qui parle, personne ne mange. Regarde, la plupart des assiettes n'ont pas été touchées. Des résidents ont seulement mangé un petit peu et les autres pas du tout. Ils ont perdu l'appétit. Même les desserts sont restés là.
« Ils regardent dehors. Ils regardent tout autour. Ils se demandent où ils vont se retrouver. D'habitude, ils mangent, ils rient, ils jacassent. »
Tous les résidents de la Villa Neguac et du Foyer Saint-Bernard, à Neguac doivent aller vivre ailleurs d'ici le 17 février puisque le gouvernement provincial a révoqué le permis d'exploitation des deux établissements, propriétés de l'homme d'affaires Armajeet Jatana.
Visite imposante du ministère du Développement social
Vendredi, en matinée, un groupe d'employés du gouvernement provincial s'est présenté à la Villa Neguac.
Ils étaient cinq
, précise Tania Hébert, une préposée aux soins. C'était du jamais vu.
Ils sont venus faire des évaluations et poser des questions aux résidents
, ajoute sa collègue Cynthia St-Coeur. Il y a un résident qui a refusé de leur parler sans la présence de sa fille ou de son fils. Les employés du foyer n'étaient pas autorisés à assister à ces rencontres dans les chambres.
Jeudi, le ministère du Développement social a précisé que les deux foyers comptent, au total, 26 résidents et que 13 résidents ont déjà des confirmations qu'ils peuvent déménager dans d'autres établissements de la région
.
Dans la région
, soupire Cynthia St-Coeur. Est-ce qu'ils veulent dire dans la région du Nouveau-Brunswick? Parce qu'à Neguac, il n'y a pas de place.
Les employées du foyer jurent qu'aucun résident n'avait encore trouvé officiellement un autre endroit où vivre, vendredi soir, après avoir revérifié cette information à notre demande.
Comme des enfants qui doivent changer d'école
Les résidents, les membres de familles et les employées reconnaissent sans hésiter qu'ils vivent une sorte de deuil.
Certains résidents se connaissent depuis très longtemps
, souligne l'employée Tania Hébert.
Du jour au lendemain, s'il y en a un qui s'en va à Bathurst puis un autre à Tracadie, il n'y a plus beaucoup de moyens pour ces deux personnes âgées de se rencontrer
, ajoute-t-elle. Ce n'est pas vrai qu'un monsieur de 90 ans va aller se promener en auto à Tracadie pour voir son ami.
Elle admet que cela lui rappelle les enfants qui ne peuvent plus se voir, qui doivent changer d'école quand leurs parents déménagent.
Léo Savoie et Robert Breau, par exemple, se connaissent depuis très longtemps.
Je connais Robert depuis au moins 55 ou 60 ans
, tranche le premier. On est des amis depuis longtemps.
Ont-ils fait les 400 coups ensemble?
Je ne peux pas le dire
, lance-t-il dans un rare éclat de rire.
La paie de Monsieur Robert
Plusieurs employées de la Villa Neguac ont répété ces derniers jours que la perte de leur emploi était le cadet de leurs soucis, qu'elles se préoccupaient davantage du sort de leurs amours
, les résidents.
Robert Breau les a toutes prises un peu par surprise avec une proposition qui venait du fond du coeur.
Il s'inquiète pour nous alors qu'il ne sait même pas où il va aboutir d'ici quelques semaines
, témoigne Tina Baisley. Il m'a demandé si on allait être payées pour nos heures. Je lui ai répondu qu'on n'était pas certaines. Il a dit qu'il fallait prendre sa paie pour nous payer. Je lui ai dit non, qu'on allait s'organiser.
La fille de Robert Breau, Claudette, ne s'étonne pas.
Depuis ce matin, il nous appelle en pleurant
, raconte-t-elle. Il pleure pour ses bonnes petites filles qui travaillent pour lui. Il leur donnerait le petit peu qu'il a.
Quand Claudette Breau a fait son entrée dans le grand salon du foyer de soins, c'est comme si l'énergie venait de changer.
Celle qui est serveuse au restaurant Chez Raymond, à Neguac, est visiblement à l'aise avec tout le monde et fait rire les employées comme les résidents.
Puis, elle parle de son père qui a été un businessman respecté dans la région, propriétaire pendant longtemps du magasin général. Il a aidé beaucoup de monde.
Là, je viens de parler au téléphone avec mon amie Carmel Robichaud, tu sais, l'ancienne députée libérale
, claironne-t-elle. Elle va venir faire un tour.
Les élus critiqués par des employées
Le maire de Neguac, Georges Savoie, assure qu'il veut tout faire ce qui est possible pour sauver les lits
. Il laisse planer l'espoir qu'un nouveau propriétaire puisse éventuellement gérer les deux établissements.
Malgré tout, le maire, tout comme le député progressiste-conservateur de Baie-de-Miramichi-Neguac et ministre , Réjean Savoie, essuient les critiques à peine voilées de plusieurs employées du foyer.
On ne les a pas vus
, lance Cynthia St-Coeur. On les a seulement vus à la télévision. Je ne veux pas être méchante, mais ça aurait été très apprécié par les résidents de voir les élus venir les appuyer sur place.
L'ex-politicienne Carmel Robichaud, qui a notamment été ministre des Services familiaux et communautaires dans le gouvernement de Shawn Graham, vient d'arriver. Elle semblée étonnée que le maire et le député Savoie ne soient pas venus faire un tour.
Que ferait-elle si elle était aujourd'hui une élue?
J'exigerais un moratoire d'au moins trois mois, pour donner du temps de trouver des solutions, des acheteurs
, répond-elle sans hésiter.
« Est-ce que c'est comme cela qu'on traite nos aînés aujourd'hui? J'ai tellement le coeur gros. »
Tout ça n'a aucun sens,
ajoute-t-elle.Ils sont dans leur maison. Est-ce qu'on peut sortir des gens de leur maison en plein hiver? Ça ne se fait pas.
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Fausse joie et espoirs
Jeudi, durant la période du dîner, le bruit a couru parmi les résidents que le foyer allait être vendu.
C'était une femme qui devait acheter la place
, précise Léo Savoie. Mais, au souper, ce n'était plus la même histoire. Ce n'était qu'une rumeur, ce n'était pas vrai. On a tous eu une fausse joie.
Entre-temps, les employées, qui sont un peu laissées à elles-mêmes depuis le départ en septembre de la directrice, continuent de s'assurer que tout se passe bien.
On fait notre routine comme on doit la faire
, dit Cynthia St-Coeur.Il faut s'occuper des médicaments, des bains, du nettoyage. On voit à ce que les résidents aient leurs médicaments et de la nourriture.
Savez-vous ce que mon père m'a dit?
, demande Claudette Breau, qui repasse dans le salon.
Il m'a dit que si ça se réglait, si le foyer était racheté, on ferait un gros party aux employées.
« Monsieur Robert » ne l'a pas précisé, mais il y aurait sûrement, aussi, un repas festif.