Passé Roxham, il faut aussi de la chance pour bien s’établir au Québec
C’est tout un parcours qui attend les demandeurs d’asile une fois qu'ils sont entrés au Canada. Il y a la bureaucratie à satisfaire, le logement à trouver, les mœurs à décoder. Dans un système d'accueil débordé, cette intégration repose en partie sur le hasard et sur les contacts établis.

Julian Alvarez (nom fictif) transporte un matelas neuf vers son petit appartement de l'est de Montréal.
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
« Cuidado! Pasito, pasito…» En espagnol, l’homme guide son assistant dans le cadre de la porte. Il faut y aller doucement : la cuisinière passe tout juste. Après, ça sera au tour du réfrigérateur.
L’équipe est habituée, travaille vite. Julian Alvarez l'aide à monter les meubles dans son nouvel appartement. C’est un jeune père de famille d’origine africaine, récemment arrivé par le chemin Roxham.
Ce demandeur d’asile a choisi Julian Alvarez
comme nom d’emprunt. Il préfère être discret en attendant que les autorités étudient le dossier de sa famille de trois enfants.
Hier, c’est ça qu’on avait pour dormir. Du carton.
Il montre du doigt de minces boîtes brunes aplaties déposées dans le salon. Un lit de fortune pour des demandeurs d’asile arrivés avec rien.
Les meubles donnés par un groupe communautaire remplissent quelque peu le modeste appartement. Sans cela, il n’y aurait rien pour cuisiner, rien pour garder le lait au frais
.
Ces meubles sont essentiels pour commencer une nouvelle vie au Canada. Mais ils ne représentent qu'une première étape dans le long parcours bureaucratique du demandeur d’asile.
Un processus complexe. Mal ajusté aux besoins actuels.

Meral Demirtas, une des interprètes turques qui aident le SIARI lors de séances collectives d'aide aux demandeurs d'asile récemment arrivés par le chemin Roxham.
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
Composer avec une bureaucratie qui semble dépassée
Comme des milliers d’autres, Julian Alvarez et sa famille doivent formaliser leur demande d’asile, une étape essentielle pour obtenir ce qui est connu dans le milieu comme le papier brun
.
Ce document représente la confirmation du dépôt d’une demande d’asile. Par le passé, il était délivré à la frontière. Maintenant, ce n’est plus aussi systématique.
On a l’impression que ça se fait de façon aléatoire
, explique la directrice du Service d'interprète d'aide et de référence aux immigrants (SIARI), Fatma Djebbar. On ne comprend pas trop. J’imagine que les agents frontaliers sont eux aussi dépassés.
Par courriel, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié évoque le volume élevé de demandes et d’autres considérations
non définies pour justifier le fait que certaines demandes ne soient pas traitées sur place.
Chaque jour, un nombre non dévoilé d’arrivants se font donc donner quelques mois pour compléter leur demande par eux-mêmes. Beaucoup réclament de l’aide. Beaucoup se tournent vers le SIARI.
L’automne dernier, les locaux de cet organisme d’aide aux immigrants ont souvent été bondés de gens à la recherche de conseils dans leurs démarches administratives.
C’était l’angoisse
, se rappelle la directrice du SIARI, Fatma Djebbar. C’était : "S’il vous plaît, aidez-nous, aidez-nous!"
Pour aider plus de gens à la fois, le SIARI a mis sur pied des séances communes d’assistance.

Séance collective pour remplir les premiers formulaires nécessaires à une demande d'asile, organisée par le SIARI dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
Une fois par semaine, des dizaines de demandeurs d’asile se regroupent autour de tables et écoutent les consignes pour bien remplir les premiers formulaires de demande d’asile.
L’exercice est cacophonique, multilingue. Et il prend plusieurs heures. C’est ardu, les documents sont assez longs à remplir
, explique Fatma Djebba. En plus, il y a la barrière de la langue.
Et c’est sans compter les risques de se tromper. Ou d’être victime d’un cafouillage administratif inexpliqué. Ottawa assure de son côté avoir simplifié le processus et raccourci les délais de traitement.
À part t’expliquer le chemin, ils ne t’aident pas
Avant de savoir s’ils pourront rester au Canada, les demandeurs d’asile devront rapidement trouver un logement, un emploi et un avocat pour les aider à défendre leur requête.
Pour les aider, le gouvernement québécois finance une série de services. Mais encore faut-il savoir qu’ils existent. Et comment les obtenir.
Cet accès aux services d’accueil est lui aussi en partie le fruit du hasard, déterminé en fonction de l’endroit où sont logés les migrants, lui-même déterminé par les places disponibles à leur arrivée à Montréal.
Les établissements gérés par le Québec hébergent temporairement jusqu’à 1200 personnes. Les autres demandeurs d’asile, soit la majorité, sont logés dans des hôtels administrés par le gouvernement fédéral.
Ceux qui fréquentent les lieux gérés par le gouvernement provincial sont davantage en contact avec les travailleurs sociaux du PRAIDA, un programme spécialisé pour les demandeurs d’asile.
Leur aide a été fondamentale
, confirme un homme arrivé en décembre et venu aux locaux du SIARI avec un compagnon migrant. Sans eux, on serait encore perdus à Montréal.

Deux demandeurs d'asile devenus amis après s'être rencontrés dans un des hôtels où les migrants sont logés temporairement. Cette amitié entre un Africain et un Haïtien les aide à mieux naviguer pendant les premières étapes bureaucratiques de leur installation au Canada.
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
En plus des conseils pratiques, les intervenants du PRAIDA offrent de l’assistance médicale, des vaccins, de l’aide à la recherche de logements.
Il y a moins d’assistance dans les hôtels gérés par le gouvernement fédéral. Des conseils et des adresses sont affichés sur les murs.
Un jeune homme arrivé seul et sans contacts soutient que le personnel y est peu avenant. À part t’expliquer le chemin, ils ne t’aident pas.
Certains groupes communautaires assurent une présence dans les hôtels. Et ceux qui y logent peuvent solliciter l’aide du PRAIDA en se rendant à ses bureaux de Montréal.
Ce gros écart en matière d‘assistance s’expliquerait par des tensions bureaucratiques, selon Maryse Poisson, du Collectif Bienvenue, qui fournit des meubles aux nouveaux arrivants.
Le provincial se soucie d’éducation, de santé, de francisation. Dans les hébergements fédéraux, en général, on va nous dire : "Tout ça, c’est une responsabilité provinciale, ce n’est pas à nous de nous en occuper."
Jusqu’au printemps dernier, Maryse Poisson a travaillé comme intervenante avec le PRAIDA. Elle dit voir beaucoup de demandeurs d’asile mal guidés et pas du tout informés au sujet des services gratuits à leur disposition, comme la scolarisation ou les soins de santé.

Deux des trois filles de Julian Alvarez testent un des matelas neufs offerts par le Collectif Bienvenue.
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
Ces familles vont vraiment galérer pendant plusieurs semaines, parfois pendant quelques mois, seules à la maison, sans savoir vers qui se tourner pour avoir du soutien
, poursuit Mme Poisson.
Julian Alvarez, lui, commence à trouver ses repères. La cuisinière fonctionne, les enfants ont des jouets. Et ce soir, tout le monde dormira sur un matelas neuf.
Le jeune père se promet de se reposer un peu avant le plus important : s’occuper des papiers administratifs
.