La transition équitable, le nouvel épouvantail de Danielle Smith

Danielle Smith ne cesse de faire monter la pression dans sa lutte contre Ottawa.
Photo : La Presse canadienne / Jason Franson
Depuis le début de 2023, la première ministre albertaine brandit un nouvel épouvantail dans sa lutte contre Ottawa : la transition équitable vers une économie faible en carbone éliminerait jusqu’à 2,7 millions d’emplois au Canada, selon elle. Danielle Smith fabrique cette crise de toutes pièces, car elle en a besoin pour améliorer ses chances électorales et faire diversion de ses propres lacunes.
Depuis des mois, le gouvernement fédéral mène des consultations sur un projet de loi sur la transition équitable
. Alors que la planète délaisse de plus en plus les énergies fossiles, vache à lait de l’économie albertaine, Ottawa veut mettre sur pied un plan pour aider les travailleurs des secteurs concernés par cette transition, notamment en les formant pour occuper de nouveaux emplois.
Cette semaine, trois chroniqueurs de Postmedia ont signalé l’existence d’une note préparée pour le ministre fédéral des Ressources naturelles à ce sujet. Cette note indique que 2,7 millions d’emplois de différents secteurs partout au pays pourraient être transformés
par la transition énergétique, dont 202 000 dans le secteur de l’énergie. L’Alberta détient la part du lion de ces emplois en énergie, soit 187 000 d’entre eux.
Mais Danielle Smith tire des conclusions hâtives : elle affirme que ces emplois ne seront pas transformés
, mais carrément perdus. Plus encore, elle accuse le gouvernement fédéral de vouloir éliminer ces emplois.
Le projet de loi fédéral n’a pas encore été déposé. Ottawa nie vouloir éliminer ces emplois.
Alors, pourquoi de telles accusations?
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L’utilité de l’épouvantail en politique
Malgré son accession au pouvoir, Danielle Smith a eu un automne difficile, miné par de multiples frasques. Elle n’a pas réussi à se rendre plus attrayante auprès de l’électorat général, malgré les mesures anti-inflationnistes qu’elle a annoncées.
Elle continue d’être moins populaire que son parti dans les sondages, un problème, à cinq mois des élections provinciales.
Historiquement, en Alberta, taper sur la tête d’Ottawa a toujours été payant politiquement. Or, Danielle Smith a passé l’automne à le faire, avec son projet de loi sur la souveraineté de l’Alberta, qui a soulevé la controverse depuis le début.
Danielle Smith a donc besoin de rediriger l’attention du public, mais sans reparler de cet outil législatif qu’elle ne semble pas prête à utiliser, bien qu’elle ait dépensé beaucoup de capital politique pour le faire adopter.
La première ministre avait donc besoin d’un nouvel épouvantail. Ce thème de la transition équitable
lui offre les munitions dont elle avait besoin pour faire diversion. Il lui permet aussi d’attaquer son adversaire néo-démocrate Rachel Notley, en l’associant à Justin Trudeau et à cette potentielle perte d’emplois.
En prétendant qu'Ottawa veut éliminer tous les emplois du secteur énergétique, Danielle Smith crée de la peur auprès de l’électorat et l'incite à se rallier derrière elle.
La peur est une motivation forte en politique : il est bien plus motivant de voter contre un parti, un candidat ou une idée que pour l’un d’eux.
Danielle Smith a devant elle une adversaire expérimentée, Rachel Notley, qui a elle-même déjà occupé le siège de première ministre pendant quatre ans. Le Parti conservateur uni a passé les dernières années à brandir l’épouvantail du Nouveau Parti démocrate au pouvoir, mais celui-ci s’est maintenu haut dans les sondages depuis trois ans.
Il est parlant que la nouvelle première ministre carbure autant aux émotions négatives : elle montre ainsi qu’elle joue sur la défensive.
Bien des personnes en Alberta verront toutefois cette instrumentalisation pour ce qu’elle est et préféreraient que la première ministre participe aux importantes discussions fédérales et provinciales sur la transition énergétique, plutôt que de créer une polémique de toutes pièces.
En brandissant cet épouvantail, Danielle Smith bloque toute discussion constructive sur cette transition qui est déjà en marche.