Hausse des taux : stop ou encore?
Si l'inflation redescend, le marché de l'emploi demeure toutefois très serré. La Banque du Canada regardera les deux données avant de prendre sa décision sur les taux d'intérêt.

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada
Photo : La Presse canadienne / JONATHAN HAYWARD
Dans les années 1980, l’excentrique chanteur Plastic Bertrand se demandait : « Qu’est-ce que je fais? Je m’arrête ou j’continue? » Le 25 janvier prochain, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, fera face au même dilemme quant au sort à réserver aux taux d'intérêt : « stop ou encore? »
Pour rendre son verdict, l'institution regardera évidemment une multitude de données économiques avec, en premier lieu, l’inflation. Cette dernière est passée à 6,3 % en décembre sur une base annuelle, comparativement à 6,8 % en novembre. D’un mois à l’autre, l’indice des prix à la consommation a retraité de 0,6 %, une première depuis 2020.
Ça confirme les premiers signaux qu’on avait déjà depuis deux, trois mois, que le sommet de l’inflation était derrière nous, et que ça décélère
, affirme l'économiste Clément Gignac. Maintenant, l’enjeu est de voir à quelle vitesse on ira vers la cible de la Banque du Canada de 2 %
, souligne le sénateur, en entrevue avec Radio-Canada.
Pour Benoît Durocher, économiste principal chez Desjardins, la tendance baissière est bien amorcée et va même s'accélérer lors des prochains mois.
C'était grandement attendu, parce qu’on l’avait constaté en faisant le plein d’essence, que le prix avait baissé, ç’a joué pour beaucoup. Excluant les aliments et l’énergie, c’est stable depuis quelques mois. Pas encore de réelle tendance à la baisse, mais c’est une question de temps avant que ça suive
, croit l'économiste Durocher.
Donc, l’inflation est bien loin de la cible, mais elle devrait encore s'affaiblir lors des prochains mois alors que l’effet marqué de la guerre en Ukraine (qui avait dopé l’inflation en 2022) se dissipera dans les données.
En moyenne depuis six mois, l’inflation augmente de 0,2 % mensuellement. Donc, les prix continuent à monter chaque mois, mais à des rythmes quand même beaucoup moins rapides qu'en mars ou avril l’an passé
, poursuit M. Durocher.
Mais la Banque du Canada jette aussi un œil sur le marché de l’emploi. Et celui-ci demeure très dynamique avec une création de plus de 100 000 emplois en décembre. Si en général on applaudit ce genre de performance, ce n’est pas le cas actuellement.
Le seul marché qui inquiète la Banque du Canada, c’est l’emploi. C’est encore très serré, les hausses salariales demeurent importantes… C’est le seul facteur qui pourrait inciter la Banque à garder les taux d’intérêt plus élevés pour un peu plus longtemps.
La Banque du Canada prendra aussi en considération, en vue de rendre sa décision, son enquête publiée lundi sur les perspectives des entreprises. Il en ressort que la confiance de celles-ci continue de s’affaiblir notamment en raison du poids des taux d’intérêt dans leurs finances.
Hausse ou pause?
Compte tenu de la situation actuelle, la Banque du Canada va-t-elle hausser son taux directeur qui se situe actuellement à 4,25 %? Là-dessus, les économistes ne s’entendent pas.
Il y a ceux qui tablent sur une hausse modérée de la Banque du Canada avant d’y aller d’une pause pendant quelques mois.
Les banques centrales ont tiré les leçons des années 1970, elles veulent absolument que l’inflation soit sous contrôle. Donc, elles vont être portées à augmenter les taux à nouveau
, avance M. Gignac.
Ce sera mesuré, 25 points de base, poursuit-il. Je ne m’attends pas à une hausse importante. Par la suite, on va avoir des pauses. On va rester sur les lignes de côté.
Même constat pour Benoît Durocher de Desjardins qui table sur une autre hausse.
Ce sera la dernière, en janvier. On va l’appeler la hausse de l’assurance. Un 25 points de base supplémentaires. Et rendu en mars, on va avancer encore plus dans le temps, et je pense que la Banque va être rassurée à ce moment-là qu'on s’en va dans la bonne direction
, dit-il.
Desjardins prévoit d’ailleurs une récession en 2023. D’ici le mois de mars, il devrait avoir des données économiques moins favorables qui seront publiées. Et il devrait y avoir un statu quo après la décision de janvier
, poursuit M. Durocher.
Mais pour Deloitte, qui publie ce matin une étude sur les perspectives économiques et prévoit aussi une récession en 2023, la banque centrale devrait plutôt annoncer une pause la semaine prochaine.
Je pense qu’ils vont s'arrêter. Ils doivent attendre l’impact de ce qu’ils ont fait. On n’a pas encore tout vu. Le marché immobilier est déjà en baisse, le nombre de ventes a baissé de plus de 30 %. Le prix a déjà commencé à chuter. Le secteur de la construction est frappé très fort
, analyse-t-il.
À quand une baisse?
Certains économistes consultés tablent sur une baisse de taux vers la fin de l’année, au moment où l’inflation devrait avoir redescendu tout près de 3 %.
Vers la fin 2023, on devrait commencer à baisser les taux
, croit M. Durocher.
Mais il n’est pas exclu qu’un événement géopolitique ou des décisions politiques puissent changer à nouveau la trajectoire des taux.
Gardez à l'esprit que les taux d'intérêt ont monté beaucoup, mais ils sont encore plus bas que l’inflation. Cela dit, il faudra aussi prendre en compte le budget fédéral et les budgets provinciaux
, rappelle Clément Gignac. Si les gouvernements y vont encore avec de la stimulation budgétaire, comme on a vu, on ne peut pas exclure que les banques centrales augmentent encore les taux.
Mais même si les taux baissent, il serait étonnant qu’ils retournent au même niveau qu’avant la pandémie, c’est-à-dire au plancher, croit Deloitte.
Même si l’inflation rejoint 1 % à 3 %, on ne doit pas s’attendre à une baisse rapide des taux d'intérêt
, confirme Mario Iacobacci, de Deloitte. Ils vont commencer à les baisser en fin d’année, mais ça sera plus l’année prochaine. Et on ne va pas rejoindre les taux qu’on avait avant. On va plutôt rester vers les 3 %. Ce qui veut dire qu’on sera dans un autre monde par rapport à la situation prépandémique.