Itinérance à Moncton : près de 5000 $ par mois pour assurer la sécurité de ses propriétés

Des entrepreneurs du centre-ville de Moncton font appel à des agences de sécurité privées pour faire face à l’itinérance et aux problèmes connexes. La facture est parfois salée et peut se chiffrer à plusieurs milliers de dollars par mois.
Pendant des décennies, la rue Saint-George n’a pas eu une réputation très reluisante. C'était une artère mal aimée associée à la pauvreté, à la prostitution et au trafic de drogues.
Puis, il y a quelques années, les choses ont commencé à changer. De nouveaux bars et des boutiques y ont ouvert leurs portes. De nouveaux immeubles résidentiels ont poussé comme des champignons et la Municipalité a débloqué des fonds pour revitaliser le quartier.
C’est dans ce contexte que l’entrepreneur Thierry Le Bouthillier – un promoteur immobilier qui œuvre dans la région depuis longtemps – a décidé de plonger.

Thierry Le Bouthillier a retenu les services d'une entreprise de sécurité privée afin de surveiller ses propriétés de la rue Saint-George.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
On a trouvé bon d’investir, d’acheter les propriétés du coin ici. On a un bloc de propriétés de la rue High à la rue Dominion. Au tout début, c’était un coin confortable et sécuritaire. C'était un coin qui avait du potentiel pour des développements. On avait des projets d'édifices, de constructions
, dit-il.
Jusqu’à tout récemment, lui et les membres de son équipe ont surveillé ces propriétés. Ils demandaient aux gens qui se trouvaient là sans autorisation d'aller ailleurs. Cependant, il y a quelques mois, la situation s’est dégradée.
Vandalisme, drogues, déchets et flânage
Depuis la dernière année, ça a vraiment changé. On arrivait le matin et il y avait des campements près de nos bureaux. Beaucoup d'utilisation de drogues, beaucoup d’aiguilles partout, beaucoup de déchets
, explique-t-il.
Thierry Le Bouthillier et ses employés ont été exposés à des situations de plus en plus explosives.
C’est venu avec un niveau d’agressivité plus élevé. Aussi, le nombre d'individus qui fréquentaient le coin était plus élevé. C’était rendu un peu moins gérable.

Des déchets et toutes sortes d'objets sont souvent abandonnés près de ce bâtiment vide de la rue Dominion, voisin des immeubles de Thierry Le Bouthillier.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Cela a eu un impact énorme sur ses activités dans le quartier. On a des propriétés qui sont quasi vacantes. [...] Les gens sont intéressés, ils voient les photos en ligne, tout est beau, tout est propre. La seconde qu’ils viennent dans le quartier, ils changent d’idée.
Il a donc décidé de se tourner vers une entreprise de sécurité privée.
Tous les jours, vers 17 h – lorsque la soupe populaire du quartier distribue des repas à des dizaines de personnes –, des agents viennent garer leurs voitures afin de bloquer les deux entrées des propriétés.
Ensuite, on a des patrouilles 24 heures sur 24 pour s'assurer que les gens ne viennent pas consommer de la drogue et qu’ils ne viennent pas pour couper des fils. On a eu plein de vandalisme les mois passés. Tout le cuivre a été coupé dans le bâtiment
, dit-il.

Une employée de l'agence de sécurité privée Eastern Safety Services fait le tour d'une propriété de Thierry Le Bouthillier en début de soirée.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Thierry Le Bouthillier affirme que ces services lui coûtent 4830 $ par mois, une dépense dont il aimerait bien se passer, d’autant plus qu’il s’agit en quelque sorte d’une arme à double tranchant.
Quand on a un service de sécurité, souvent, c’est plus dur de louer nos logements. Les gens disent : "Pourquoi y a-t-il de la sécurité? Est-ce qu’on veut vraiment vivre ici?"
On a dû prendre des mesures pour protéger le bâtiment
L’avocat Mathieu Picard, associé chez Fidelis Droit, fait face à des problèmes semblables. Son cabinet se trouve à deux pas de la rue Main depuis 2016.

L'avocat Mathieu Picard, associé chez Fidelis Droit, a investi des dizaines de milliers de dollars afin de se procurer un système de sécurité.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Il dit avoir constaté une dégradation de la sécurité dans le quartier depuis le début de la pandémie.
On a vu des incidents, par exemple des graffitis ou des sans-abri qui entrent dans le bâtiment sans permission. De ce fait-là, on a dû prendre des mesures pour protéger le bâtiment
, dit-il.
Il a fait installer un système de surveillance pour protéger les locataires de l’immeuble.

Mathieu Picard a fait installer de nombreuses caméras de surveillance à l'intérieur et à l'extérieur des locaux de son cabinet.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Il y a des caméras de sécurité, il y a des portes à verrouillage automatique, il y a des capteurs de mouvement, des capteurs d’effraction, mais également une patrouille régulière qui vient surveiller les lieux.
Il affirme que ce système de sécurité a coûté environ 30 000 $ et que les patrouilles coûtent 1000 $ par mois, une dépense qu’il aurait préféré ne pas faire mais qui était nécessaire, selon lui.
Ce sont des choses qu’on voit de plus en plus
Les propriétés de ces deux entrepreneurs sont surveillées par l’entreprise de sécurité privée Eastern Safety Services.
Sa directrice générale, Allanah Blackmore, a elle aussi constaté des changements au centre-ville au cours des derniers mois.

La directrice générale d'Eastern Safety Services, Allanah Blackmore, a elle aussi constaté une dégradation de la situation au centre-ville de Moncton.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
On est exposés à de plus en plus de gens, de consommation de drogues illicites, d’intrusions, d’entrées par effraction, de vols et de cas de possession d’armes. Ce sont des choses qu’on voit de plus en plus
, explique-t-elle.
Elle signale que la demande pour les services de son entreprise a explosé à Moncton, plus particulièrement au centre-ville.
C’est évident. Et ce n’est pas seulement le nombre de clients qui a augmenté : il y a aussi les demandes des clients. Il faut passer plus de temps sur place et il faut parfois dépêcher un nombre plus élevé d’agents.
En faveur du renforcement de la présence policière
Mathieu Picard souhaite que la Ville de Moncton ainsi que les gouvernements provincial et fédéral s'attaquent aux problèmes sociaux de fond tels que l’itinérance, le manque de logements et les problèmes de santé mentale. Parallèlement à cela, il leur demande d’agir pour assurer la sécurité du centre-ville.
La première étape, ce qui préoccupe les propriétaires d’édifices au centre-ville, c'est la sécurité. Il faut le faire par l’entremise d’une présence policière accrue. Je pense que c’est ça, la première solution
, dit-il.

Une voiture d'une agence de sécurité est garée à l'entrée d'une propriété de Thierry Le Bouthillier.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Thierry Le Bouthillier abonde dans ce sens. On se pose la question sur ce qu’il faut faire. Il n’y a pas seulement une solution. Le seul message que j’aurais [à transmettre aux gouvernements], c’est de rétablir l’ordre communautaire
, explique-t-il.
Quitter le centre-ville ou s’accrocher?
Devant ces problèmes, certains entrepreneurs commencent à perdre patience. C’est le cas de Thierry Le Bouthillier. Il a décidé de vendre ses propriétés situées sur la rue Saint-George, entre les rues High et Dominion.
Souvent, on a des offres. Les gens sont intéressés d’acheter. On a des offres qui arrivent des plus grosses villes : Halifax, Montréal, Toronto
, raconte-t-il.
Lorsque les acheteurs potentiels viennent visiter le quartier et constatent les problèmes sociaux qui y règnent, ils changent rapidement d’idée.
Les gens arrivent ici de l’aéroport, ils se stationnent ici sur la rue Saint-George. [...] Ils comprennent vite que le quartier n’est pas celui qu’ils pensaient. Et ensuite, les offres sont mises de côté.
Quant à Mathieu Picard, il n’a pas l’intention d’aller s’établir ailleurs dans le Grand Moncton.
Quitter n’est pas une option pour nous. On aime le centre-ville de Moncton. On aime les gens et on aime faire des affaires ici. On veut travailler avec les parties prenantes pour régler le problème.