L’Ukraine et le glissement républicain
Les divisions dans le camp républicain pourraient avoir un impact sur l’aide américaine à l’Ukraine.

Le nouveau président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, devra composer avec des divisions dans ses rangs sur l'aide à apporter à l'Ukraine.
Photo : Getty Images / Alex Wong
La prise de contrôle désordonnée de la Chambre des représentants par les républicains soulève d’importantes questions sur l’engagement futur des États-Unis envers l’Ukraine. L’influence grandissante du « caucus de la liberté » risque de compliquer d’éventuelles négociations au Congrès.
Les félicitations de Volodymyr Zelensky n’ont pas tardé. Quelques instants après l’élection de Kevin McCarthy au poste de président de la Chambre des représentants, à l’issue d’une semaine houleuse, le président ukrainien a envoyé un message sur Twitter. Nous comptons sur votre appui continu et de l’aide supplémentaire des États-Unis pour nous rapprocher de notre victoire commune
, a-t-il écrit.
Volodymyr Zelensky est très conscient que la dynamique politique vient de changer aux États-Unis, son principal allié dans le conflit qui l’oppose à la Russie.
Compte tenu de la courte majorité républicaine au Congrès, Kevin McCarthy a dû faire d’importantes concessions à l’aile la plus à droite de son parti pour s’emparer du marteau du président.
Selon des médias américains, il a promis un vote sur un cadre budgétaire qui viendrait plafonner les dépenses au seuil de celles de 2022, visant un retour à l’équilibre en 10 ans. Cela pourrait potentiellement entraîner une baisse de 10 % dans le budget de la défense.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est adressé à une réunion conjointe du Congrès américain le 21 décembre dernier.
Photo : Reuters / EVELYN HOCKSTEIN
L’aide à Kiev pourrait en pâtir. Franchement, il faut que l’on regarde l’argent envoyé en Ukraine et qu’on se demande s’il n’y a pas un meilleur moyen de protéger l’Amérique
, a déclaré le représentant Jim Jordan de l’Ohio, loyaliste de Donald Trump qui s’est rallié au nouveau président de la Chambre.
En novembre, Kevin McCarthy avait déclaré que, si les républicains devaient reprendre le contrôle de la Chambre, il n’y aurait plus de chèque en blanc
pour l’Ukraine.
Le bruyant caucus de la liberté
Si beaucoup de républicains modérés sont toujours en faveur d’une aide soutenue à l’Ukraine, une minorité très audible y est opposée. Le caucus de la liberté
a démontré la semaine dernière sa capacité à exploiter la courte majorité des républicains à la Chambre à son avantage et ainsi mettre de l’avant ses priorités.
Des représentants, comme la controversée Marjorie Taylor Greene, militent pour couper le financement à l’Ukraine afin de réinvestir aux États-Unis et de renforcer la frontière avec le Mexique, par exemple.
Les contribuables américains payent pour renforcer plusieurs pays partout dans le monde avec de l’aide étrangère, alors que les États-Unis sont en train de s’écrouler sous nos yeux
, a-t-elle écrit sur Twitter après la visite du président ukrainien en décembre.

Marjorie Taylor Green, arborant en Chambre un masque sur lequel est inscrit « Trump a gagné ».
Photo : Reuters / Bill O'Leary
Matt Gaetz, le représentant de la Floride, avait déclaré en novembre : Je ne voterai pas pour un dollar de plus à l’Ukraine
. Le même mois, Thomas Massie, un élu du Kentucky, reprochait au gouvernement américain d’avoir dépensé plus pour l’Ukraine que pour les routes et les ponts aux États-Unis en 2022.
Cette rhétorique est propulsée encore plus loin par des figures importantes du mouvement ultraconservateur. Tucker Carlson, le sulfureux animateur de Fox News, consacre de longs segments à l’aide à l’Ukraine.
Les démocrates au Congrès veulent vous empêcher de savoir où sont allés les 100 milliards de dollars envoyés à l'Ukraine
, a-t-il déclaré cette semaine.
Qu’est-ce que Zelensky et sa femme ont fait avec l’argent? [...] Des gens s’enrichissent!
a-t-il ajouté, alimentant ainsi des théories du complot.
J’aimerais savoir comment l’argent est dépensé
, a souligné le sénateur républicain J. D. Vance, connu pour ses positions controversées, invité à son émission.
Un changement de l’opinion républicaine
Les sondages des derniers mois indiquent que l’humeur des électeurs républicains est en train de changer vis-à-vis de l’aide à Kiev.
Plus de 52 % des électeurs républicains s’opposent à de l’aide supplémentaire à l’Ukraine, selon un sondage de YouGov pour le compte de CBS News mené entre le 4 et le 6 janvier 2023*.
En novembre dernier, un sondage mené pour le compte du Chicago Council on Global Affairs montrait que 55 % des électeurs républicains étaient en faveur d’une aide militaire à l’Ukraine**. Ce chiffre s’élevait à 80 % en mars dernier et à 68 % en juillet.
Le leadership républicain ne peut pas ignorer ce glissement dans l’humeur de sa base.
La prochaine bataille
Certains élus républicains sont estomaqués de voir le vent tourner dans les rangs républicains en faveur d’un désengagement militaire. J’ai l’impression d’être dans la quatrième dimension
, a déclaré mercredi le représentant républicain du Texas Tony Gonzales.
Historiquement, les républicains ont une approche belliciste [hawkish] concernant la défense. Il semble que cela a changé.
Reste que des ténors du Parti républicain sont toujours d’ardents défenseurs de l’aide à l’Ukraine. L’engagement envers Kiev est juste du point de vue moral
et il est au cœur des intérêts américains
, a déclaré le leader de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, en décembre.

Kevin McCarthy a dû surmonter les divisions dans son caucus pour être élu président de la Chambre des représentants.
Photo : Getty Images / Win McNamee
Fragilisé par une élection difficile, le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, devra trouver le moyen de faire le pont entre les modérés et les ultraconservateurs dans ses rangs.
Des mesures pour assurer plus de transparence et de reddition de compte sur les dépenses liées à l’Ukraine pourraient lui permettre de trouver une voie de passage dans l’hémicycle.
L’aide à l’Ukraine n’est pas menacée à court terme. Le plan de 45 milliards de dollars adopté à la fin de 2022, alors que la Chambre était toujours contrôlée par les démocrates, viendra à échéance en septembre 2023.
Toutefois, quand les débats reprendront, ils pourraient être mouvementés et causer de nouveaux déchirements dans les rangs républicains.
Cette fois, ce n’est pas seulement le leadership de Kevin McCarthy qui sera mis à l’épreuve. L’issue des discussions pourrait avoir un impact majeur, bien au-delà des frontières américaines.
Un recul de l’appui américain à l’Ukraine pourrait changer la nature du conflit, forcer ses alliés à revoir leur stratégie et les obliger à bonifier leur aide. Cela inclut le Canada.
Méthodologie :
*Ce sondage de YouGov pour le compte de CBS News est basé sur les données récoltées auprès de 2144 répondants entre le 4 et 6 janvier à l'aide d'un questionnaire en ligne. Une marge d'erreur ne peut être calculée sur un échantillon non probabiliste.
**Ce sondage d'Ipsos pour le compte de Chicago Global Affairs est basé sur les données récoltées auprès de 1030 répondants entre le 18 au 20 novembre à l'aide d'un questionnaire en ligne. Une marge d'erreur ne peut être calculée sur un échantillon non probabiliste.