Dans la tête des correspondants à l’étranger de Radio-Canada

Les correspondants de Radio-Canada, notamment Philippe Leblanc, Raphaël Bouvier-Auclair et Marie-Eve Bédard, ont participé jeudi soir à l'émission spéciale En direct du monde, diffusée sur ICI Télé.
Photo : Radio-Canada
Comment travailler en zone hostile? Peut-on rester neutre face au danger ou à la détresse? Comment couvrir les effets des changements climatiques ou encore les drames à répétition aux États-Unis, la propagation de la désinformation ou le recul des droits des femmes dans le monde? Voici quelques-unes des questions auxquelles sont confrontés nos correspondants et correspondantes Marie-Eve Bédard, Raphaël Bouvier-Auclair, Tamara Alteresco, Philippe Leblanc, Azeb Wolde-Giorghis et Frédéric Arnould.
La guerre en Ukraine, un impact mondial
C'est le conflit qui a dominé l'année 2022 et dont les répercussions se sont fait sentir partout dans le monde. L'invasion russe de l'Ukraine, le 24 février dernier, a touché le travail de la plupart des correspondants de Radio-Canada, notamment en Europe.
Cette guerre, comme le rappelle Marie-Eve Bédard, était en cours depuis 2014, notamment dans l’est de l’Ukraine, où elle couvrait les bombardements avant l’invasion de l’armée russe. Elle a pu se rendre à Kiev peu avant l’entrée des troupes de Vladimir Poutine dans le pays.
L’une des plus grandes craintes en tant que journaliste, c’est de ne pas être au bon endroit au bon moment. Et dans un pays comme l’Ukraine, qui est quand même assez vaste, ça peut être une source d’angoisse assez importante
, explique-t-elle à l'occasion de l'émission spéciale En direct du monde, diffusée sur les ondes d'ICI Télé jeudi soir.
Tamara Alteresco, elle, se trouvait de l’autre côté de la frontière, côté russe, trois mois avant la décision de Vladimir Poutine de fermer le bureau de Radio-Canada à Moscou.
On avait passé la semaine qui a précédé l'invasion à la frontière et on savait qu’il ne fallait pas bouger de là parce qu’on voyait les images des chars et des dizaines de milliers de soldats déployés
, se rappelle-t-elle. On ne veut pas y croire jusqu’à ce que ça se produise. On se dit toujours qu’il va y avoir une quelconque tractation.
« J’étais à l’hôtel, on attendait un discours de Vladimir Poutine [...] À ce moment-là, on a reçu un message annonçant la fermeture de l’espace aérien et je pense qu’après ça on n’a pas arrêté depuis. »
Philippe Leblanc s'est rendu à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, une ville devenue plaque tournante pour les déplacés
. Moi, j’ai vu de l’entraide, les premiers mouvements de résistance où les gens aidaient les soldats sur le front en leur acheminant des denrées. Tout le monde essayait de faire sa part à sa façon.
Plusieurs de ces réfugiés ont fui vers la Pologne, pays voisin, où se trouvait Raphaël Bouvier-Auclair, qui souligne l'importance des répercussions de cette guerre qui se font sentir encore aujourd'hui en Europe. L’une des scènes qui l’ont le plus marqué est celle des trains transportant les migrants fuyant le conflit. C’est le genre de scène qu’on n’aurait pas cru possible en Europe à cette époque
, dit-il.
Travailler en zone hostile
Des États-Unis à l’Ukraine, en passant par l’Afghanistan, la couverture des violences sous toutes ses formes occupe une grande partie du travail des correspondants à l'étranger. Quels sont les défis logistiques auxquels ils font face lors de leurs déplacements en zone hostile et comment se préparent-ils aux dangers?
Accepter de prendre le risque, c’est quelque chose qu’on fait même avant de partir
, explique Marie-Eve Bédard qui, avant d'être correspondante en Europe, était basée au Moyen-Orient, où elle a couvert plusieurs conflits armés.
« La première des préoccupations est toujours sécuritaire. On s’assure qu’on a des équipements comme des casques, des gilets pare-balles, des téléphones satellitaires, parce qu’on ne sait pas si les télécommunications vont tenir ou pas. »
Parfois, on est surpréparés, mais au moins on ne manque de rien
, poursuit-elle, affirmant compter sur des conseillers en sécurité qui peuvent déterminer certains dangers plus facilement qu'un journaliste.
Tamara Alteresco, quant à elle, concède que la peur est bien présente. J’ai beaucoup moins d’expérience en zone de guerre que Marie-Eve, c’était presque un baptême pour moi [...] Je le vis moins bien, mais il n’y a pas de panique. Il y a l’instinct, on sait quoi faire, on reste calme, et c’est ça qui nous sauve dans la majorité des situations.
Ayant été basées à Moscou, elle et son équipe ont été des témoins directs des répercussions des sanctions occidentales sur la Russie.
Du jour au lendemain, notre situation [...] a dramatiquement changé, confie-t-elle. On n'utilise pas de cartes de guichet [en Russie], tout est payé via [l'application mobile] Apple Pay qui a été bannie. On ne pouvait donc même pas aller à l’épicerie ou à la station-service payer l’essence. On ne pouvait plus transférer de l’argent de Montréal vers la Russie. On s’y était préparés, mais on ne pouvait pas rester pendant des semaines et des semaines en Russie une fois que les sanctions ont été annoncées.
Drames à répétition aux États-Unis
Les États-Unis sont, depuis plusieurs années, aux prises avec une flambée de violences par armes à feu qui ne cesse de s’aggraver avec plus de 600 fusillades recensées chaque année depuis 2020. L’une des tueries les plus meurtrières a eu lieu en mai dernier dans une école d’Uvalde, au Texas. Elle a fait 22 morts, dont 19 enfants. Une tuerie que Frédéric Arnould a couverte.
Quand il y a un homme équipé d’un fusil militaire qui abat des enfants à bout portant [...] c’est toujours épouvantable. On se dit à chaque fois que ça va changer, mais rien ne change
, dit-il.
« Quand je couvre un tel événement, je ne peux pas faire abstraction de ma propre situation. Je vis aux États-Unis, j’ai deux jeunes enfants qui vont à l’école en sol américain [...] Ça nous plonge dans la possibilité que ça nous arrive à nous aussi. »
À la différence des zones de guerre, selon lui, il y a une imprévisibilité
qui est toujours omniprésente au niveau de la violence aux États-Unis : On peut aller à l’épicerie, on peut aller à l’école et on peut faire les frais d’une balle perdue [...], mais ça fait partie de notre travail de sensibiliser les gens sur ces fusillades.
Même réalité pour Azeb Wolde-Giorghis, dont le fils a pris part à des simulations de fusillades scolaires. Ce qui est terrible aux États-Unis, c’est que la violence ne finit pas, elle est là tous les jours. Et le paradoxe, c’est qu’après une fusillade, les gens achètent des armes pour se protéger [...] Il y a ce sentiment d’impuissance.
Couvrir la détresse humaine
Des fillettes vendues par leurs parents en Afghanistan, des enfants détenus à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, des orphelins ukrainiens fuyant la guerre en Ukraine… Les correspondants à l’étranger de Radio-Canada ont été confrontés à plusieurs situations de détresse humaine. Mais comment rester neutre face à ces situations-là?
Ce qui se passe en Afghanistan est éprouvant
, souligne Marie-Eve Bédard, qui a visité le pays plusieurs fois au cours des 20 dernières années. Depuis son dernier reportage dans le pays en juin 2022, sur des familles afghanes réduites à vendre leurs filles en mariage, son nom et celui du caméraman Sergio Santos se sont retrouvés sur une liste qui viendrait des services de renseignement des talibans de gens à arrêter et à assassiner
.
Comme femme occidentale, c'est choquant
de voir des parents vendre leurs fillettes, dit-elle, mais si on fait ce métier-là, il faut avoir beaucoup d'empathie pour les gens. Je ne peux pas me mettre à la place de ces familles-là, je n'ai jamais connu leurs réalités et je ne peux même pas l'imaginer
.
À l'autre bout de la planète, Frédéric Arnould a couvert la crise des migrants à la frontière américano-mexicaine, crise qui perdure avec l'affluence toujours plus importante de personnes en quête d'une vie aux États-Unis. Il s'est notamment rendu dans un refuge à Tijuana, au Mexique, où il y avait des centaines de migrants entassés depuis six mois, un an ou plus et qui vivaient dans des conditions évidemment très précaires
.
C'est sûr qu'on est bouleversé humainement
, indique-t-il. On ne peut qu'être ému quand un petit garçon de 5 ans me prend la main et me demande de jouer avec lui en me disant qu'il aimerait venir me voir aux États-Unis. Mais en même temps, on est impuissant parce qu'on ne peut rien faire.
À écouter aussi :
Les correspondants à l’étranger de Radio-Canada au micro d'Alec Castonguay lors d'une édition spéciale de Midi info sur ICI Première.
L'autre guerre, celle contre les changements climatiques
Appelés à sillonner le monde, les correspondants à l'étranger sont aussi témoins des impacts des changements climatiques et de l'augmentation importante du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes.
Pour Raphaël Bouvier-Auclair, l'un des reportages les plus frappants sur les effets des changements climatiques est celui sur la fonte des glaciers en Suisse, produit cet automne. La Suisse a perdu 6 % de la superficie totale de ses glaciers et ça se voit clairement sur le terrain. Il y a eu tellement d’autres exemples cette année, comme les chaleurs extrêmes en Europe
, mentionne-t-il.
« C’était l’année la plus chaude jamais enregistrée en France. La lutte contre les changements climatiques est un sujet qui est vraiment au cœur des préoccupations en Europe. »
Azeb Wolde-Giorghis cite quant à elle le lac Mead, le plus large réservoir d’eau aux États-Unis dont le niveau a considérablement baissé. Et pas moins de 40 millions de personnes dépendent de lui dans sept États, dont l'Arizona, la Californie et le Nevada.
Ce qui est assez incroyable, c’est qu’on voit à vue d’œil le niveau de l’eau baisser [...], mais on a l’impression qu’il y a une espèce de déni chez les gens [...] qui veulent continuer à arroser leur pelouse même s’il n’y a plus d’eau
, explique-t-elle.
« Il y a une urgence climatique. Il y aura de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes, on le voit. On l’a énormément senti en Arizona et au Nevada. »
De son côté, Philippe Leblanc dit avoir été plus porté sur les solutions, notamment dans les rues de Taipei à Taïwan, où, tous les soirs, une mélodie de Beethoven résonne à l'arrivée des camions à ordures pour inciter les citoyens à apporter eux-mêmes leurs déchets.
C’est une façon de les responsabiliser, de les sensibiliser à leur propre consommation et ça démontre qu’on peut faire quelque chose
, affirme-t-il.
« En tant que journaliste, c'est notre travail de montrer les effets des changements climatiques, mais aussi qu’il y a de grandes et de petites solutions et qu’on peut faire une différence. »