La PDG d’Hydro-Québec annonce sa démission : « Ce n’est pas une décision politique »

Sophie Brochu quittera ses fonctions de PDG d'Hydro-Québec le 11 avril prochain.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
La présidente-directrice générale d'Hydro-Québec, Sophie Brochu, quittera ses fonctions le 11 avril prochain. Elle assure que son départ, qui surviendra avant la fin de son mandat de cinq ans, n'est pas une décision politique.
La nouvelle est tombée en avant-midi, mardi. Dans une note aux employés d'Hydro-Québec, puis par communiqué, Sophie Brochu a annoncé qu'elle quittait ses fonctions au sein de la société d'État dont elle avait pris les commandes en pleine pandémie de COVID-19, en avril 2020.
Le tumulte lié à la pandémie est en grande partie derrière nous et Hydro-Québec se trouve aujourd'hui en bonne posture
, a-t-elle écrit.
« Après mûre réflexion, j'estime que le moment est propice pour passer le flambeau. »
Lors d'une rencontre virtuelle avec les employés en après-midi, Mme Brochu a tenu à régler tout de suite
la question. Ce n'est pas parce que je ne m’entends pas avec Pierre Fitzgibbon [ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie] que j’ai pris cette décision-là. Et ce n'est pas parce que ça ne va pas bien avec le gouvernement
, a-t-elle dit.
En entrevue avec Patrice Roy sur ICI RDI, en fin de journée, Sophie Brochu a assuré qu'elle avait vraiment l'impression d'avoir accompli [son] mandat : je pars le cœur serein
.
Son départ, a-t-elle insisté, n'est pas une décision politique
.

Sophie Brochu a annoncé qu'elle quitterait son poste le 11 avril prochain, avant la fin de son mandat. Entrevue avec la présidente-directrice générale d'Hydro-Québec.
En octobre dernier, les médias avaient fait état de possibles dissensions entre la dirigeante d'Hydro-Québec et le ministre Fitzgibbon, ce que ce dernier avait nié. Ces tensions auraient été liées à l'approbation de grands projets industriels qui seraient contraires aux objectifs gouvernementaux du Québec.
Mardi, en s'adressant à ses employés, Sophie Brochu a rappelé qu'au moment où François Legault réfléchissait à la composition de son Conseil des ministres, elle l'avait mis en garde sur le fait qu’il y avait là, probablement, une concentration de pouvoirs importants en mettant ensemble économie et énergie
. Après l'élection qui avait reporté la Coalition avenir Québec au pouvoir, le premier ministre Legault avait tendu la main à Sophie Brochu, selon des informations émanant de l'interne à Hydro-Québec.
Mme Brochu avait alors confirmé à ses employés son intention de demeurer en poste. Mais, du même souffle, elle avait reconnu s'être posé des questions sur la gouvernance
.
À Pierre Fitzgibbon, qui avait déjà la responsabilité de l'Économie dans son précédent gouvernement, François Legault a finalement confié, en plus, l'Innovation et l'Énergie, ce qui inclut Hydro-Québec.
Le comité « fonctionne, la parole est libre »
Sophie Brochu affirme avoir pris la décision de démissionner pendant les Fêtes. Auparavant, le 19 décembre, avait eu lieu la première réunion du Comité sur la transition énergétique et l'économie.
Ce comité, créé et présidé par le premier ministre François Legault, répond aux préoccupations qu'elle avait relativement à la gouvernance d'Hydro-Québec, dit Sophie Brochu. Je me suis dit : "Ce truc-là fonctionne, la parole est libre et là, la décision va être éclairée."
Quand je regarde le tour de table et que j'entends le ministre des Finances, le ministre de l'Environnement qui parle de son transport, le ministre de l'Économie qui parle de ses industries, le ministre des Affaires autochtones qui dit : "Un instant, il faut bien faire les choses", j'ai confiance dans la mécanique que le premier ministre a mise en place.
Selon Sophie Brochu, quelqu'un d'autre d'Hydro-Québec
doit désormais porter la voix de la société d'État. Et il y a une équipe de direction qui est très costaude, qui est en interaction à peu près quotidienne avec le gouvernement du Québec.
« Il existe – et c'est très sain, c'est nécessaire – une certaine tension, normale, entre le gouvernement et Hydro-Québec. Si ce n'était pas le cas, franchement, c'est parce qu'on n'aurait pas de pouls dans les veines; on serait morts. »
Les points de vue autour de la table sont complémentaires, insiste-t-elle. Ce n'est pas que M. Fitzgibbon et moi, on puisse avoir des divergences, ce n'est pas ça qui fait que je pars. Je vous dirais même : si c'était ça, je resterais! Je me battrais à mort.
« Ce n'est pas une vision d'un ministre, aussi intelligent soit-il, avec beaucoup de pouvoirs, qui peut prendre une direction in abstracto d'enjeux plus globaux, et M. Fitzgibbon le comprend lui-même. »
Sophie Brochu affirme n'avoir aucun emploi dans sa mire pour le moment.
Quant à la possibilité de se lancer en politique, non seulement y ferme-t-elle la porte, mais [elle] l'emmure
.
Non, jamais. Non. Je n'ai pas d'appétit pour ça, pour cette joute-là. Je n'ai pas la peau de crocodile qu'avait Madeleine Albright [ancienne secrétaire d'État des États-Unis].
Sophie Brochu affirme du même souffle être en pleine forme
. Et j'entends bien le demeurer
, ajoute-t-elle.

La PDG d'Hydro-Québec annonce son départ, deux ans avant la fin de son mandat. Quels seront les défis de son successeur? Entrevue avec Normand Mousseau, directeur scientifique de l'Institut de l'Énergie Trottier, professeur à l'Université de Montréal.
Pierre Fitzgibbon remercie Sophie Brochu
Sur Twitter, mardi, le premier ministre Legault a tenu à remercier Sophie Brochu pour sa contribution. Citant le contrat d'approvisionnement conclu avec l'État de New York, ainsi que le développement de la filière éolienne, M. Legault affirme que cela a été un plaisir de travailler avec elle pour l'avenir du Québec
.
Également sur Twitter, le ministre Fitzgibbon a remercié Sophie Brochu en ces mots : Tu es une leader naturelle et dynamique, une inspiration pour plusieurs. Merci pour ta contribution au secteur public.
« Je suis certain que tu continueras de tracer la voie pour de nombreux décideurs de demain. »
En vertu de la Loi sur Hydro-Québec, la nomination du PDG de la société d'État doit faire l'objet d'une décision du Conseil des ministres. Le conseil d'administration d'Hydro-Québec affirme qu'il est en mesure
de recommander des candidats au gouvernement Legault en vue de remplacer Mme Brochu.
Un contrat de 30 milliards $ US pour Hydro-Québec
Avant de faire le saut à Hydro-Québec, Sophie Brochu avait dirigé pendant 22 ans Gaz Métro, aujourd'hui Énergir.
Son passage à Hydro-Québec a été marqué par la conclusion d'un contrat d'approvisionnement d'électricité de 30 milliards de dollars américains avec l'État de New York. En octobre dernier, Hydro-Québec a également réalisé la plus importante acquisition de son histoire aux États-Unis avec la société Great River Hydro.
Sous la gouverne de Sophie Brochu, Hydro-Québec a également révisé ses prévisions stratégiques pour constater la fin des surplus d'électricité. La société d'État aura besoin de nouveaux approvisionnements d'ici 2027. Mme Brochu a plaidé à plusieurs reprises qu'il faudrait entamer une conversation sur les habitudes de consommation des Québécois et sur l'utilisation de l'électricité pour attirer des projets industriels.
En campagne électorale, en septembre 2022, François Legault avait évoqué la possibilité que le Québec s'engage dans la construction de nouveaux barrages hydroélectriques. Selon des prévisions, le Québec pourrait manquer d'électricité d'ici 2030.
Il y a anguille sous roche
Pour le chef de l'opposition officielle, le libéral Marc Tanguay, Hydro-Québec fait face à d'énormes défis en ce qui concerne l'avenir énergétique du Québec
. Réagissant sur Twitter au départ de Mme Brochu, le député de LaFontaine a dit souhaiter que le gouvernement Legault nomme une personne qui aura les hautes compétences nécessaires
.
« Transparence et dialogue national sont requis. »
Pour Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire, il y a anguille sous roche
.
« Est-ce qu'il y a eu ingérence politique? Est-ce que l'indépendance de la société d'État était menacée? »
Le député solidaire de Gouin affirme que Mme Brochu avait dit qu'elle démissionnerait si elle sentait que le gouvernement s'ingérait
dans les affaires de la société d'État. Selon lui, son départ est troublant
.
Pierre Fitzgibbon doit sans délai
s'expliquer à ce sujet, insiste Gabriel Nadeau-Dubois, parce que Pierre Fitzgibbon n’est pas le propriétaire d’Hydro-Québec. Le propriétaire d’Hydro-Québec, c’est le peuple québécois.
Après seulement deux ans en poste?
, a pour sa part tweeté le député péquiste de Matane–Matapédia, Pascal Bérubé.
Toujours sur Twitter, son collègue député du Parti québécois Joël Arseneau a ajouté cette question : Au fait, combien de rencontres de ce nouveau Comité sur l’économie et la transition énergétique le premier ministre a-t-il présidé depuis le mois d’octobre?
Développement économique et transition énergétique
Au micro de Midi info sur ICI Première, mardi, Sylvain Audette, professeur invité au Département de marketing de HEC Montréal, a avancé l'hypothèse que des divergences de vues à long terme entre Mme Brochu et le gouvernement Legault aient mené au départ de cette dernière.
De l'avis de M. Audette, aussi membre associé de la Chaire de recherche en gestion du secteur de l’énergie, le gouvernement Legault entend utiliser la compagnie
, qui est le service public Hydro-Québec, pour attirer des entreprises, des industriels
dans des secteurs tels que ceux de l’hydrogène et des batteries, entre autres.
MM. Legault et Fitzgibbon, rappelle le professeur en marketing, sont deux anciens dirigeants d'entreprises, qui aujourd'hui gouvernent une province. C'est sûr qu'eux, ils veulent faire un peu de microgestion.
« Un gouvernement ne devrait pas se mêler des affaires d'une entreprise de service public. »
Le Québec, par ailleurs, doit s'engager dans une transition énergétique, ce qu'illustre le plan stratégique d'Hydro-Québec, poursuit M. Audette.
Mais cette transition-là pourrait entraîner des pénuries d'électricité pour les abonnés du service public. Le gouvernement veut, de surcroît, ajouter une pression qui va venir de l'externe en attirant des industries et en leur donnant, peut-être, un passe-droit
.
Entre Mme Brochu, à 100 % engagée dans la transition énergétique d'Hydro-Québec
, et le gouvernement, qui poursuit son plan de développement économique, il s'est peut-être produit "un clash" incroyable
, avance Sylvain Audette.
Selon le professeur de HEC Montréal, la personne qui succédera à Sophie Brochu devra connaître très bien le secteur énergétique pour informer le politique et dire : "Écoutez, c'est comme ça que ça fonctionne, c'est un secteur fortement réglementé partout dans le monde et qui a besoin d'avoir un arbitrage sur le long terme. Et non tous les quatre ans, à chaque élection."
Avec les informations d'Olivier Bourque et de Thomas Gerbet
Avec les informations de La Presse canadienne